Devant la crise économique états-unienne qui nous tient en haleine, et en plus en crescendo, il y a bien sûr deux solutions diamétralement opposées, soit plus de réglementation pour encadrer le monde de la finance, soit un abandon total de la mainmise étatique sur l’économie. Je peux vous avouer ici que le dilemme est pour moi puissant. Deux lectures récentes m’ont influencé dernièrement sans que je puisse vraiment pencher d’un côté ou de l’autre. Il s’agit du billet « La fin d’un modèle », du Hou-Hou Blog, et de « Le château de cartes financier s’effondre » de Martin Masse pour le Blogue du Québécois Libre. J’espère pouvoir trancher à la fin de ce billet, mais je ne suis pas très optimiste.
Le premier, Houssein, prend pour preuve la restructuration des banques d’investissements indépendantes Morgan Stanley et Goldman Sach en société financière de portefeuille (Bank Holding Company — beaucoup plus sujette aux réglementations étatiques) pour affirmer que le « système financier hors de tout contrôle » est en faillite, et que c’est « un aveu des géants de la finance, un aveu d’échec : nous avons gaffé, nous n’y arriverons pas tous seuls, nous avons besoin de l’aide de l’État, et de garde-fous qui nous empêcheraient de faire des conneries dans le futur. »
Le deuxième, le libertarien, explique que le gros du problème concerne directement l’intervention de l’État, et pas seulement la réglementation : « on se prépare déjà à d’autres faillites en chaîne, le système financier étant construit sur une gigantesque fraude pyramidale, dont la base est constituée par la monnaie papier ne valant rien que nos banques centrales impriment en quantité industrielle depuis des années, et dont elles inondent les marchés par des politiques de taux d’intérêt maintenus artificiellement bas et d’autres techniques d’intervention encore plus directes. »
Voilà pour la mise en situation. Nous sommes en face de deux réalismes bien distincts qui prennent chacun le pouls de la situation selon leurs paradigmes bien impossibles à concilier, au premier abord. Tandis que le premier culpabilise les financiers quasi à outrance, le deuxième refuse totalement d’admettre leurs torts. Mais Martin Masse a beau écrire que la « cause première n’est pas la “cupidité des marchés” », il faut bien admettre que les requins de la finance nagent dans l’eau du système en place et qu’ils se sont servis où ils pouvaient se servir. Un changement vers « moins de réglementation et plus de liberté dans les marchés financiers » ne les rendra pas moins voraces et plus soucieux des répercussions sociales et environnementales de leurs activités. Ça, je n’y crois pas. L’hommerie ne disparaîtra pas par magie en coupant les tentacules de la bête nommée État.
Tant que le système économique n’aura pas été remanié en profondeur, j’aurai tendance à me ranger du côté d’Houssein, tout en prônant un retour à une économie basée sur autre chose que de l’air… ce qui sied très bien à la pensée de Martin Masse. En espérant que cela ressemblera à faire de la haute voltige sans filet de sécurité.
J’aimerais terminer avec un commentaire trouvé sur le carnet de Gérald Filllion, qui cite les mots, éclairants, du professeur d’économie Bernard Élie, de l’UQAM, ce qui me semble faire le pont entre les deux :
Toute crise économique est toujours due à un surinvestissement, qui a pour but d’atteindre une croissance de plus en plus élevée. La crise qu’on connaît aujourd’hui a été provoquée par cette recherche d’avoir toujours des rendements maximums en ce qui a à trait aux bénéfices des sociétés financières, peu importe les conséquences. La spéculation et toutes ces aventures de crédit sont complètement déconnectées de la réalité « vraie ». Actuellement, une des principales caractéristiques de notre capitalisme, c’est l’hyperconsommation et l’endettement au détriment de l’épargne. C’est, en quelque sorte, une fuite en avant en faveur de la consommation. La maximisation des rendements et des profits, toutes les crises économiques commencent comme ça…
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@ Renart L’éveillé: Je vous félicite de ne pas conclure. La réalité qui est mouvante comme la vie s’amuse a mettre un paire de baffes à ceux qui pensent que le passé permet vraiment de prévoir l’avenir, alors que le protagoniste principal est toujours « The Mule », ce mutant que le Hari Seldon d’Asimov prévoyait, mais sachant qu’il ne pouvait pas en prévoir l’impact.
Évidemment, Martin Masse a tout bon quand il dit que c’est la création de monnaie excédentaire qui a conduit à la crise – je suis de ceux qui le prédisent depuis 15 ans ! ( http://nouvellesociete.org/H.html ), mais Hayek lui-même mettait en garde contre une vision étroite de la catallaxie. Ce n’est pas parce qu’on accepte la loi de la gravité qu’il faut renoncer au parachute !
Chaque société est un cas d’exception. Dans une société d’interdépendance, l’État est le parachute. Ce n’est pas l' »État », une entité abstraite, qui a perdu le contrôle du système monétaire, mais des acteurs en chair et en os qui ont bâti ce système avec ses failles pour en tirer avantage. Ce qu’ils ont fait avec un parfait cynisme, sachant que le système était mortel mais optimisant leurs gains en fonction de son espérance de vie et de sa mort attendue
Il n’y a que deux (2) défenses contre les bâtisseurs de systèmes d’arnaques : 1) que l’État assure le redistribution des jetons à la hauteur de ce qu’il faut pour que puissent fonctionner les « lois du marché « ; 2) attendre – ou provoquer – une explosion qui permettra de mettre leur têtes au bout d’une pique. Ça sent la poudre.
Pierre JC Allard
Problème: maximiser les profits c’est le métier des traders et même la base du capitalisme.
Difficile d’ajouter une règle pendant la partie qui va à l’encontre de la règle de base.
Dans 5 ou 10 ans une nouvelle crise à coup sûr, les traders les plus filous auront trouvé la parade à la prochaine réglementation.
Un éternel recommencement, à moins qu’on aille directement dans le mur en faisant écrouler le chateau de cartes jusqu’en bas.
Mais alors là, c’est une autre histoire…
Le mur approche lentement mais sûrement. Je ne suis pas un expert économique, mais je suis prêt à parier que ces événements étaient prévisibles et inévitables.
Bon billet Renart… Moi qui croyais, bien naivement j’en conviens, que les acteurs du monde des finances feraient preuve d’un peu plus de discipline depuis l’entrée en vigueur des normes (accord de Bâle, Sarabnes-Oxley…) qui les gouvernent… N’ont-ils pas appris des scandales Enron, SBC, Adelphia, etc? Voilà qu’on apprend que certains employés de Fannie May, Freddie Mac, Lehman Brothers et AIG sont sous enquête par le FBI. Non seulement y’a-t-il eu (encore une fois) spéculation débridée et appel à une surconsommation sauvage, mais voilà qu’on apprend que des vautours ont encore profité de la situation.
Qu’il est beau ce libre-marché…
PJCA,
je me demande bien comment l’État pourrait s’organiser pour provoquer une explosion de la sorte sans laisser d’odeur de poudre…
Emachede,
« Difficile d’ajouter une règle pendant la partie qui va à l’encontre de la règle de base. »
vu comme ça…
Mais il faut bien surtout que le jeu soit agréable (à vivre).
Redge,
« Je ne suis pas un expert économique »
Oh! moi non plus! Écrire ce billet était une bonne raison d’en apprendre plus.
Lutopium,
des fois je me dis que certains spéculateurs et financiers devraient être accusés de crime contre l’humanité, surtout dans le contexte d’interdépendance mondiale…
Renart, en parlant de crime contre l’humanité, tu devrais lire cette article de la BBC: http://news.bbc.co.uk/2/hi/science/nature/7632318.stm
J’ai écris un petit texte sur ce sujet fort inquiétant sur mon nouveau blog. Désolé pour la pub un peu facile, tu peux éditer mon commentaire si tu veux! 😉