La plupart des gens, ce matin, vont se lever et vaquer à leurs occupations tout comme la semaine ou le mois dernier. On n’a pas encore vraiment pris conscience des conséquences de la crise financière qui vient de se produire. Nous sommes comme la victime d’un accident, encore sous le choc, qui ne ressent pas encore la douleur et regarde son bras sectionné avec incrédulité.
Il faut arrêter l’hémorragie et on va lui poser un garrot. Il est essentiel, bien sûr, de faire tout de suite ce qu’il faut faire. Il faut nationaliser les institutions financières, rembourser la dette publique pour créer un afflux de liquidités, remettre sous contrôle de l’État et donc des citoyens le pouvoir de battre monnaie, car tout cet argent qu’on a connu et qui est là n’a plus aucune valeur ; la confiance est devenue le seul étalon.
On connaîtra une intervention de l’État à laquelle notre société capitaliste ne nous a pas habitués. On devra accepter des contrôles inusités sur l’économie, une mise en veilleuse, peut-être, de certaines libertés que nous tenons pour acquises. Il y aura un mauvais moment à passer. Il faudra parler bien davantage de cette crise et des façons d’en sortir. Nous le ferons, mais nous ne le ferons pas ici en 1 000 mots.
Aujourd’hui, avant d’entreprendre courageusement le traitement, prenons juste une minute pour comprendre d’abord que la crise était inévitable. Elle était inscrite dans les gènes de notre société qui avait atteint l’abondance, mais où s’étaient développés des malformations structurelles et des dysfonctionnements dont les signes les plus apparents étaient la misère et la violence. Une injustice omniprésente.
Nous avions développé une société d’abondance, bâtie sur la complexité et donc la complémentarité, sans vouloir comprendre que cette complémentarité allait de paire avec un interdépendance croissante et que la solidarité comme la liberté devenaient donc incontournables. Nous étions dans un cul-de-sac. Cette crise va nous forcer à remettre les facteurs de production dans le bon rapport de forces et à prendre une autre direction, créant une nouvelle société.
Une minute donc pour comprendre la crise, deux pour comprendre qu’au-dela de la crise les choses seront différentes. C’est en le comprenant qu’on retrouvera l’espoir, mais ne l’oublions surtout pas, car si un garrot est nécessaire, le moment critique est quand on l’enlève … Aujourd’hui, il faut vivre avec la crise. Demain il faudra vivre dans une nouvelle société. Quelle société ?
Cette nouvelle société se définira par une nouvelle façon de produire, de gouverner et d’offrir des services à la population. Le but d’une société est d’apporter à l’individu la satisfaction de ses besoins objectifs, sans porter atteinte à la liberté de chacun de chercher à satisfaire aussi tous ceux de ses désirs qui ne s’opposent pas aux besoins et à la liberté d’autrui.
La mission de l’État est de mettre en place et de gérer les structures qui permettront de protéger les sociétaires, d’assurer la communication entre eux, de favoriser leur mieux-être, leur enrichissement et leur épanouissement personnel selon les critères qu’eux-mêmes auront choisis. Pour le faire, une nouvelle société se réclamera toujours de la démocratie pour tout ce qui fera consensus, mais par-delà la démocratie elle créera un espace libertaire.
Le gouvernement démocratiquement choisi d’une nouvelle société ne prendra que les décisions qui doivent lier nécessairement tous les sociétaires pour que leur but commun soit atteint. Cette mission accomplie; pour tout ce qui n’est pas ainsi essentiel, il laissera le pouvoir de décision aux individus et à des structures organisationnelles auxquelles ceux-ci adhèreront librement.
La société en gestation sera tolérante et permissive. L’État assurera la sécurité et l’ordre public en mettant l’accent sur la prévention et la protection, plutôt que sur le châtiment et la réhabilitation. La résolution des conflits sera immédiate et gratuite, reposant sur une justice d’équité et souvent sur l’arbitrage.
La nouvelle société sera entrepreneuriale, mais garantira à tous un travail et un revenu adéquat. L’État n’y produira pas lui-même des biens et services, mais en assurera la disponibilité et en contrôlera la qualité. Les ressources naturelles y seront exploitées dans l’intérêt commun. Il sera mis fin à leur gaspillage et l’environnement sera protégé, mais une nouvelle société sera essentiellement humaniste. Gaïa y restera au service de l’Homme, non l’inverse.
Dans la société en gestation, la propriété privée est respectée, personne n’est spolié et la richesse n’est pas confisquée, mais les ressources financières globales sont mises en mouvement au profit de l’entrepreneuriat. L’enrichissement passif par la simple accumulation d’intérêts nous a conduit a la situation actuelle ; cette accumulation sera désormais contrecarrée par une inflation contrôlée et une politique fiscale qui taxera le capital plutôt que le revenu ou la consommation.
Dans une nouvelle société, l’éducation repose sur une relation personnalisée entre un enseignant et un apprenant, la santé sur une relation permanente entre l’individu et son médecin, à laquelle interviennent au besoin des spécialistes, mais où le patient est toujours le capitaine du navire. L’État prend en charge le coût des services essentiels, mais par capitation, en respectant le libre choix des utilisateurs de services et en y soumettant la rémunération des fournisseurs.
Une nouvelle société remettra continuellement en question toutes ses méthodes comme ses politiques. Elle aura le préjugé favorable au changement qui découle de la certitude que l’on marche dans la bonne voie. Vers plus de justice.
Qu’on marche vers la paix, aussi, car une société juste a pour destinée manifeste de devenir globale, servant de cadre à une confédération mondiale qui respecte les diverses cultures, chacune dans son aire. Ceux qui n’ont rien sont aidés à atteindre au plus tôt le seuil à partir duquel ils n’auront plus à l’être.
La nuit vient de tomber. Ce ne sera pas tout de suite la joie, mais l’aurore viendra et il y aura un jour meilleur. Pensons y deux minutes… Puis mettons nous au travail.
Pierre JC Allard