Le 7 septembre dernier, le Premier ministre du Canada, Stephen Harper, déclenchait des élections anticipées dans l’espoir de former un gouvernement majoritaire. En agissant ainsi, Stephen Harper allait à l’encontre de l’esprit et de la lettre de la Loi sur les élections à date fixe que son propre gouvernement avait fait adopter quelques mois plus tôt au Parlement du Canada. Pour justifier sa décision, Stephen Harper évoquait le fait que son gouvernement minoritaire était paralysé par l’obstruction des partis d’opposition. Stephen Harper a déclenché une élection prématurée pour profiter de la faiblesse de ses adversaires. Mal lui en prit. Dès l’annonce du déclenchement des élections, Harper se voyait avec une très confortable avance sur son principal rival, le parti libéral de Stéphane Dion.
Ce 14 octobre était donc jour de vote au Canada. La campagne électorale n’a duré que 37 jours.
En 2006, le parti de Stephen Harper ne faisait élire que 126 députés. Pour obtenir une majorité, Stephen Harper devait donc remporter une victoire dans 155 des 308 circonscriptions canadiennes. Quelque 23,4 millions d’électeurs, répartis dans 308 circonscriptions, ont été appelés aux urnes. À peine 55 pour cent se sont prévalu de leur droit de vote. Le plus faible taux depuis des décennies. D’un océan à l’autre, le vote a commencé à 11h GMT dans la province de Terre-Neuve (est) et s’est terminé mercredi à 2h GMT en Colombie britannique (ouest).
En 2008, la question se posera : qui sort gagnant de cette élection précipitée ? Au moment d’écrire ces lignes, le Parti conservateur obtient de meilleurs résultats qu’en 2006 avec 143 députés élus. Les libéraux suivent avec 78 députés, le Bloc québécois avec 48, les néo-démocrates avec 37 et deux indépendants ferment la marche.
Le Parti conservateur formera donc à nouveau un gouvernement minoritaire. Retour à la case départ. De 126 députés qu’il avait fait élire en 2006, le parti de Stephen Harper pourra compter sur 143 députés. Pour être majoritaire, il lui fallait remporter la victoire dans 155 circonscriptions sur 308. La situation au Québec n’a pas bougé pour Stephen Harper.
C’est au Québec que la majorité a échappé à M. Harper. Le Bloc québécois, isolé dès le départ, dénoncé par d’anciens membres aux dents longues et à la rancune tenace, mis au pilori par les fédéralistes sur la pertinence de sa présence à Ottawa, a maintenu le cap avec 48 députés élus dans les 75 circonscriptions fédérales du Québec, soit les deux tiers de toute la députation québécoise. Il a protégé en quelque sorte sa représentation à la Chambre des Communes. Les conservateurs qui croyaient au moins doubler leur nombre de sièges au Québec ont, au Québec, mené une campagne sans stratégie et sans connaître véritablement la culture de ce peuple profondément gaulois. S’il n’y a pas eu hécatombe, ils n’ont pas su non plus se donner un gouvernement majoritaire malgré l’incroyable impopularité du chef du Parti libéral du Canada, Stéphane Dion.
Le Bloc québécois, fort de victoires de 54 députés en 1993 et de 2004, doit tout de même constater une érosion de son électorat. Les pertes ou l’absence de gains se sont fait cruellement sentir dans la capitale provinciale, la ville de Québec, et dans le Saguenay.
Le parti libéral a fait piètre figure. Résultats : 78 députés élus. Les Néo-démocrates : 37. L’Ontario, qui compte 106 des 308 sièges, a basculé dans le camp du Parti conservateur, pour le plus grand malheur de Stéphane Dion. Son message n’a vraiment pas passé au sein de la population canadienne. Centrer sa campagne sur l’instauration d’une taxe sur le carbone pour favoriser une réduction des gaz à effet de serre a été une erreur stratégique de taille car l’opposition accusait le chef libéral d’imposer une nouvelle taxe dans un temps où la conjoncture économique mondiale est au plus mal. Ce fut son cheval de Troyes. Par la suite, il a, trop peu trop tard, réorienté son discours vers l’économie, scandant que son adversaire est « déconnecté des réalités ».
Stéphane Dion a beau dire qu’il aime le Canada plus que jamais, même en ce « soir de défaite », il a beau montrer qu’il ne semblait pas près de céder sa place à la tête du parti, il a beau clamer que les « Canadiens lui demandent d’être chef de l’opposition », des sources libérales anonymes, consultées par la Presse canadienne, ont affirmé mardi soir que le parti devait transformer le congrès de mai 2009 en course à la direction. Le député élu, et ex-candidat au poste de chef du Parti libéral, Michael Ignatieff, a soulevé à la télévision publique de Radio-Canada que des changements nécessaires au sein d’un parti qui doit « prendre ses responsabilités ». C’est avec des mots à peine voilés qu’Ignatieff s’en est ouvert : « Oui, il faut réexaminer notre leadership, mais je fais partie de ce leadership, et nous devons tous nous demander pourquoi notre message n’est pas passé auprès des Canadiens ».
Le plus inquiétant, avec de tels résultats, réside dans le fait que Stephen Harper pourrait profiter, rapidement, de l’extrême faiblesse du Parti libéral au Parlement pour soumettre à nouveau des projets de lois aussi impopulaires que le durcissement des sentences envers les jeunes contrevenants. Harper veut imposer des peines pouvant aller jusqu’à la prison à vie pour des jeunes de 14 ans reconnus coupables de meurtre. Il veut aussi que leur identité ne soit plus protégée. Il lui suffirait d’assujettir ces projets de loi à des votes de confiance. Il sera donc urgent pour le Parti libéral du Canada de se choisir un nouveau chef car le gouvernement Harper pourrait être défait plus rapidement que prévu.
D’ici là, du fonds des Prairies, toujours fidèles au Parti conservateur qui a balayé presque toutes les circonscriptions, Stephen Harper pourra se demander, comme plusieurs dans le reste du Canada : « What does Quebec want ? »
Pierre R. Chantelois