À 23 heures, heure de Montréal, CNN annoncait l’élection de Barack Obama avec 338 grands électeurs. John McCain a, pour sa part, réuni 156 grands électeurs (résultats provisoires). The Huffington Post titre cette nuit : « Hope and Victory win ». Et le New-York Times affirme en UNE : « Obama – Racial Barrier Falls in Heavy Turnout ».
Ne nions pas la joie que nous éprouvons à l’idée de voir disparaître une administration qui a marqué les esprits de la pire opinion qui se puisse trouver sur cette planète. Ne rejetons pas le plaisir que nous éprouvons à la victoire de Barack Obama, plus un centriste qu’un homme de droite. Quoique … Ne soyons toutefois pas dupes. Cette victoire ne sera que de courte durée. Il faut éviter de céder, à travers ce moment historique, au chant des sirènes qui ne nous mènera que vers des déceptions et de grandes désillusions.
En 2004, quelque 120 millions d’électeurs avaient voté contre 105 millions en 2000. Ce mardi, entre 130 et 137 millions d’Américains se sont prévalus de leur droit de vote. Plus de 30 millions d’électeurs d’une trentaine d’États ont voté par anticipation. 213 millions d’Américains étaient en âge de voter. Un record de tous les temps.
Selon le Center for Responsive Politics, les coûts de la plus coûteuse des campagnes électorales américaines, pour élire le 44ième président des États-Unis, pourraient s’élever à 2,4 milliards de dollars. En ajoutant les législatives, ces coûts pourraient atteindre près de cinq milliards de dollars. Barack Obama s’est prévalu du financement privé pour sa campagne récoltant plus de 605 millions de dollars. Bienvenue en Amérique.
De son programme électoral, quelle sera la première décision de Barack Obama ? Il s’est engagé à maintenir les baisses d’impôts de George W. Bush pour les foyers dont les revenus annuels n’excèdent pas 250.000 dollars, soit 95% des foyers américains. Il annulera les baisses d’impôts pour les revenus élevés (plus de 200.000 dollars pour un célibataire et plus de 250.000 dollars pour un couple de salariés) avant leur expiration prévue en 2010. Il souhaite une restructuration du système de régulation financière. Il entend également imposer un renforcement du contrôle des actionnaires sur les rémunérations et bonis versés aux dirigeants d’entreprises. En santé, Barack Obama renoue avec une vieille obsession toute américaine : l’assurance santé disponible au plus grand nombre sans pour autant proposer un système de couverture santé universelle, à l’exception des enfants. Côté environnement, Barack Obama a promis d’investir 150 milliards de dollars en dix ans dans le développement des technologies énergétiques alternatives, ce qui pourrait également déboucher sur la création de 5 millions d’emplois. En d’autres mots, il propose d’investir dans les technologies propres et de créer une banque d’investissement pour les projets de transports et de communications moins consommateurs d’énergie.
Au plan de la diplomatie, il est intéressant de noter que l’Europe a pris les devants en proposant un véritable partenariat entre l’Europe et les États-Unis. Le 44ième président américain reviendra-t-il au multilatéralisme tant souhaité par les Européens ? Pour Bernard Kouchner, la réalité est que : « Nous sommes les partenaires des Américains et nous le ferons savoir au plus vite au nouveau président quand il sera élu ». Il faudra voir comment se traduira ce nouveau partenariat lorsque Barack Obama sollicitera de l’Europe une présence et un investissement accrus en Afghanistan. Il faudra également surveiller s’il sera en mesure de suivre le calendrier de retrait des Boys en Irak. Rien ne garantit qu’il fermera toutes les bases militaires en Irak, en raison des intérêts stratégique des États-Unis dans la région.
Il faudra également suivre attentivement l’évolution des relations entre l’Europe et les États-Unis sur la question du Moyen-Orient, notamment et plus précisément sur les relations entre Israël et la Palestine. Barack Obama s’est déjà compromis en prônant l’indivisibilité de Jérusalem. Quel territoire pour créer un pays restera-t-il à la Palestine ? Obama s’oppose par contre à la politique de colonisation dans les territoires palestiniens tout en prônant l’isolement du Hamas et du Hezbollah tant qu’ils n’auront pas renoncé au terrorisme et reconnu le droit à l’existence d’Israël. L’attitude d’Obama vis à vis de Téhéran suscite des craintes maintes fois formulées au sein de la communauté juive et de la droite religieuse américaine.
Au plan géopolitique, il sera intéressant de voir évoluer Obama, qui se dit ouvert au dialogue international, sur la nouvelle politique étrangère russe et sur le développement des armes stratégiques en Europe. Comment réagiront les 27 de l’UE à l’idée, si elle est reprise en compte par Barack Obama, de Georges W. Bush d’élargir le champ de l’OTAN vers la Géorgie et l’Ukraine ?
Au plan scientifique, le nouveau président américain est favorable aux recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines. Il a déclaré qu’il lèverait les limites imposées par Bush pour les laboratoires publics. Fait intéressant à noter : les conseillers scientifiques de Barack Obama sont issus de l’univers académique, comme Harold Varmus, prix Nobel et ancien directeur des NIH (National Institutes of Health), ou Don Lamb, physicien à l’Université de Chicago. Les conseillers scientifiques de John McCain sont eux majoritairement issus du monde politique. Barack Obama et son colistier Joe Biden se sont clairement prononcés pour l’enseignement unique de la théorie de l’évolution à l’école, rejetant celui du « dessein intelligent », connu également sous le nom de créationnisme.
Sur la question plus sensible de l’Accord de libre-échange nord-américain, mis en vigueur le 1er janvier 1994, Paul Cellucci, ancien ambassadeur des États-Unis au Canada, nommé par Georges W. Bush, avait déclaré que les démocrates constituaient une véritable « menace » pour l’entente de libre-échange. Les démocrates se montreraient enclins à plus de protectionnisme. En pleine crise financière, il faudra voir comment le peuple américain, qui aurait une tendance plus forte de repli sur soi, réagira à l’hypothèse de ne pas rouvrir l’entente. Raymond Chrétien, ancien ambassadeur du Canada à Washington, ne pense pas qu’Obama va rouvrir l’accord. Cité par le Journal de Montréal, monsieur Chrétien soutient que des procédures au niveau de l’environnement et de la protection des ouvriers américains suffiraient, comme elles ont suffi en 1993 pour le président Clinton. Le Canada reste l’un des principaux fournisseurs d’énergie des États-Unis et pourrait évoquer des taxes à l’exportation, ce qui refroidirait toute tentation de rouvrir l’ALENA.
Barack Obama a beau être adulé de par le monde entier, il hérite d’un pays en ruines. Les États-Unis sont endettés comme jamais auparavant et sont empêtrés dans des guerres sans issue à court terme. À Manassas, en Virginie, pour son dernier discours, une foule de plus de 100.000 personnes était venue entendre discourir le candidat démocrate. « Je me sens remonté à bloc. Je me sens prêt », lui a servi comme elle s’y attendait Barack Obama. La Virginie est républicaine depuis plus de 40 ans.
Il faut se rappeler quels sont les lobbies qui ont soutenu Barack Obama : les secteurs de la finance, du spectacle, de l’informatique, de l’environnement. Dans celui de l’industrie pharmaceutique, une grande partie de son soutien financier est allé à John McCain (51%) et une autre partie à Barack Obama (49%). De grands patrons, comme Bill Gates (Microsoft), Eric Schmidt (Google), Robert Wolf, président de la banque UBS outre-Atlantique, Leo Corbett, membre du directoire d’EMI Music et Orin Kindler, directeur général de Pfizer, ont apporté leur soutien à Barack Obama. Ce qui contredit quelque peu l’adage selon lequel, globalement, les républicains roulent pour les riches et les démocrates pour les pauvres.
Pierre R. Chantelois