L’enthousiasme manifesté par certains dans les milieux culturels quant à la promesse libérale d’exempter les produits culturels québécois de la TVQ révèle la profondeur du malaise que ceux-ci traversent. Il y a nettement confusion des genres. Rappelons que les Québécois ont prouvé à maintes reprises qu’ils peuvent manifester autant d’enthousiasme envers des artistes et des œuvres d’ici que d’ailleurs, peu importe la différence dans les prix sur le marché, pour peu que cela les intéresse. Mais la cultur, est beaucoup plus qu’un chiffre de vente et c’est là où le bât blesse.
Ce qu’il y a de pervers dans l’idée de détaxer les produits culturels québécois, c’est de laisser entendre que l’industrie culturelle québécoise d’ici n’a pas tant besoin de soutien par les contribuables que de soutien par les consommateurs. Par opportunisme politique, on oublie que la culture est un objet hybride, en partie bien public qui contribue au mieux-être de la société, en partie bien privé consommable qui contribue à l’enrichissement d’une branche industrielle de cette même société.
La culture n’est pas seulement, je dirais même pas principalement, un produit «Fait au Québec» ou «Made in USA». Elle est d’abord un besoin fondamental de toute société.
Que certains artistes s’enrichissent, que certaines entreprises culturelles soient un succès qui retentit même au-delà de nos frontières, cela est excellent. Par contre, il y a des œuvres moins commercialisables ou même pas du tout commercialisables, il y a aussi des auteurs et même des artistes qui rejoignent des publics restreints, qui n’en sont pas moins essentiels.
Si l’on se fie à certains matamores, ces œuvres, ces auteurs, ces artistes, ne devraient pas être subventionnés. L’idée de rendre les produits culturels plus concurrentiels en diminuant leur prix à la caisse par rapport aux produits culturels étrangers va exactement dans la même ligne de pensée. Ce qui compte pour tout ce beau monde, c’est le chiffre d’affaires. Hors du guichet point de salut.
Stanley Paen a bien résumé, en 2005, tout le MAL à la culture qui résulte d’une telle approche : «partout, on suit le courant néolibéral, on parle de profits, d’entreprises culturelles, d’industries culturelles. (…) Le néolibéralisme objectivise tout, et la culture à ses yeux est un objet, une marchandise. Elle n’est plus aussi précieuse, un surplus d’âme ou ce qui nous définit – et ce, quoi qu’ils en disent dans leurs discours. Il faut se battre contre cette objectivation de la culture.» (Statut de l’artiste et financement de la culture.)
Les analyses sur les retombées économiques de la culture ne manquent pas. Celles sur les retombées sociales ou psychosociales sont beaucoup plus rares (un exemple de ces retombées sociales est celles qu’engendre l’ASCO, une entreprise montréalaise d’économie sociale en culture).
Si nous reconnaissions d’abord la culture comme processus de médiation, «au cœur des rapports entre les membres d’une collectivité et le monde qu’ils construisent» (Jean Caune, La médiation culturelle : une construction du lien social), peut-être pourrions-nous alors en saisir toute l’importance en tant que productrice de ce qui donne un sens à la vie en société.
Le paradoxe de la culture non commerciale qui refuse de jouer le jeu du marché, qui se veut à la limite marginale par rapport à la sphère marchande, c’est qu’elle peut contribuer à sortir des groupes et individus de la marginalité. Ce n’est pas pour rien que les travailleurs sociaux utilisent l’art dans leurs pratiques favorisant l’insertion sociale.
Même pour le «citoyen ordinaire», la réduction de la culture à sa consommation est dangereuse. Le dispositif social et technique qui peut donner lieu à la mascarade du 8 décembre prochain ne repose-t-il pas précisément sur cette culture de consommation où tout fluctue selon l’offre et la demande? Le «nouveau Charest» est sur toutes les tablettes, tandis que le Marois se vend mal et que le Dumont a l’air d’un fromage atteint de listériose que les électeurs s’apprêtent à jeter à la poubelle. Nous referions le même exercice dans six mois que cela pourrait tout aussi bien être l’inverse.
Au contraire, la culture qui se veut à la fois lieu et occasion de regard critique sur la société, est présentée comme un luxe que nous ne pouvons plus nous payer. Tellement plus nous payer que s’est en privant l’État de revenus qu’on prétend soutenir la culture. La vérité, c’est qu’elle est dangereuse.
Plusieurs artistes ont vite réalisé qu’il n’y avait pas de quoi applaudir dans la promesse libérale. Mais le MAL était fait.
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Jean Caune sera parmi la trentaine d’intervenants du Canada, d’Espagne, des États-Unis, de France et de Grande-Bretagne qui convergeront vers Montréal les 4 et 5 décembre prochain, à l’occasion du 5e forum international sur l’évolution des pratiques de démocratisation de la culture au Québec et dans le monde.
Si « consommation » est identifié à « commercialisation », je suis bien d’accord avec vous. On ne peut pas mettre un prix sur la culture, et on ne doit pas l’approprier pour en conditionner l’usage au paiement de son prix.
On peut néanmoins s’approprier des objets culturels – incluant des Van Gogh – et en faire une objet de spéculation. L’État a le devoir de veiller à ce que cette appropriation de l’objet ne mette pas en péril l’utilisation qui en est faite au service de la culture.
Ainsi, il m’est indifférent que le Van Gogh appartienne a un milliardaire, pour autant qu’on puisse le voir sans entraves autres qu’administratives. C’est le prix d’entrée au musée qui me dérange, par les droits de quiconque s’en déclare propriétaire, mais que les balises qu’on lui impose transforment en gardien de l’oeuvre d’art.
« Consommer », toutefois, peut ne pas vouloir dire commercialiser mais simplement avoir accès à la la culture et en tirer ce qu’elle à offrir. Dans ce sens, il me semble bien que sa consommation est le seul critère qui importe, car une culture qui ne serait pas mise a profit serait morte et dénuée d’intérêt.
L’État qui finance la création culturelle doit donc s’assurer qu’elle correspond bien à un désir de la population, car si ce n’est pas cet intérêt qu’elle suscite qui lui donne sa valeur, comment jugera-t-on objectivement des fonds publics à y investir ?
Pierre JC Allard
http://nouvellesociete.org/703.html
Certaines oeuvres n’existeraient tout simplement pas si le critère était de seulement correspondre au désir de la population. Il faut que l’État (ou un mécénat éclairé) ait aussi la possibilité de subventionner les artistes qui vont au-delà du seul désir. En ce qui concerne le mot consommation, il s’inscrit dans la continuité de production dans un système marchand pour qui la seule valeur est monétaire. Je ne dis pas qu’un tel système ne permet pas de réaliser des oeuvres remarquables et je ne dis pas non plus qu’un système où la culture n’est pas vu en tant qu’objet commercial ne peut pas produire des insipidités. Je prétends seulement que notre système de valeurs est trop axé sur la culture en tant qu’objet de consommation, au détriment de la culture qui a d’autres soucis que de vendre.