Archives quotidiennes : 10 décembre 2008

La Déclaration universelle des Droits de l’Homme a soixante ans. A-t-elle bien vieilli ?

Les grands principes qui composent la Déclaration universelle des Droits de l’Homme s’inspirent directement de deux grandes chartes : la Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et la Déclaration d’indépendance américaine de 1776. Le principe premier, énoncé dans le premier article de la Déclaration, stipule que : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».

Les Nations unies célèbrent, ce 10 décembre 2008, les 60 ans de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Un monde infranchissable!

Un monde infranchissable!

Il est décédé en 1996. L’œuvre de sa vie fut d’avoir rédigé la première version de la déclaration. En une seule semaine, le canadien John Humphrey proposa un document qui contenait 48 articles. La particularité de cette première ébauche fut qu’elle couvrait non seulement les droits civils et politiques, mais aussi les droits sociaux, culturels et économiques.

Professeur de droit à l’Université McGill, John Humphrey est invité en 1946 à siéger à un comité du Secrétariat des Nations Unies dont le mandat est de proposer un énoncé sur les droits de l’Homme. Il fonde la Division des droits de l’homme du Secrétariat de l’ONU. John Humphrey est investi de la responsabilité de guider une équipe de 18 membres qui produira un plan directeur de 400 pages. Ainsi naît la « Magna Carta de l’humanité », ainsi qualifiée par Mme Eleanor Roosevelt, que John Humphrey a guidée jusqu’à son adoption par l’Assemblée générale en 1948. La Déclaration a été ratifiée par une proclamation de l’Assemblée générale le 10 décembre 1948 par 48 votes avec 8 abstentions seulement.

Le Comité de rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme a accueilli des sommités mondiales telles que le prix Nobel français René Cassin, le Dr Charles Malik, du Liban, et le Dr P.C. Chang, de Chine.

John Humphrey est originaire du Nouveau Brunswick. Il n’a pas eu une enfance facile; son père est décédé avant qu’il atteigne l’âge d’un an et sa mère alors qu’il n’en avait que onze. De plus, à six ans, on a dû lui amputer le bras gauche en raison d’une grave brûlure. Sans se laisser décourager par ces handicaps, il a poursuivi ses études à la Mount Allison University, à Sackville, au Nouveau-Brunswick, puis à l’Université McGill, à Montréal, d’où il a obtenu quatre grades universitaires pour ensuite y devenir professeur de la faculté de droit.

De retour au Canada en 1966, John Humphrey retourne à McGill où il consacre son temps et son énergie à l’enseignement, à la promotion et à la défense des droits de la personne. Il devient président-fondateur de la section canadienne de la Commission internationale de juristes et contribue à la mise en œuvre d’Amnistie internationale Canada de même que de la Fondation canadienne des droits de la personne.

La contribution de Joseph Humphrey est occultée pendant un certain nombre d’années. C’est un représentant français qui est surnommé « père de la Déclaration universelle » et qui se voit attribuer le prix Nobel, en 1968. Cependant, des chercheurs découvrent plus tard l’ébauche rédigée par le Canadien et comportant ses notes manuscrites. On lui remet alors le prix des Nations Unies pour les droits de l’homme. Dans une entrevue, Humphrey déclare humblement : « Dire que j’ai rédigé l’ébauche seul serait un non-sens […] La version définitive est le fruit du travail de centaines de personnes ».

Selon le grand avocat canadien Julius Grey, qui a travaillé avec John Humphrey, ce dernier « avait une conception individualiste des droits fondamentaux. Ce qui comptait était la liberté et la dignité de chacun et non pas l’épanouissement des groupes. Selon lui, il appartient aux majorités représentées par les élus d’adopter des lois sociales et de signer des traités sociaux, mais chaque citoyen devait jouir d’un recours pour sauvegarder ses propres droits fondamentaux. Contrairement aux libéraux du 19e siècle, Humphrey comprenait qu’il y avait une dimension économique aux droits de l’homme et que la liberté est inutile pour celui qui crève de faim, mais il rechignait devant les revendications des groupes. La Déclaration universelle reflète cette position ».

Aujourd’hui, soixante ans plus tard, qu’en est-il des droits humains dans le monde  ? Faire un tour du monde sur la question serait improductif. Je centrerai donc ma démarche autour de quelques pays qui ont ou qui font évoluer cette Déclaration, que le juriste français René Cassin a qualifiée de premier manifeste que l’humanité organisée ait jamais adopté.

Quelle déclaration bizarre que celle de Bernard Kouchner! Sur la base qu’il y a contradiction permanente entre les droits de l’Homme et la politique étrangère d’un État, il confesse qu’il a eu tort de demander la création d’un secrétariat d’État aux Droits de l’Homme. Et le ministre des Affaires étrangères de la France pousse plus loin sa réflexion : « On ne peut pas diriger la politique extérieure d’un pays uniquement en fonction des droits de l’Homme. Diriger un pays éloigne évidemment d’un certain angélisme ». Et ce dont il est question, ici, selon Bernard Kouchner, c’est de la structure, pas des personnalités. La Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) n’a-t-elle pas été le guide même du « droit d’ingérence » si cher à Bernard Kouchner  ? Ce qu’il semble donner d’une main, Bernard Kouchner le retire de l’autre : il déplore du même souffle la « régression » du droit humanitaire au profit de la souveraineté des États. De la Birmanie au Darfour, on voit « glisser la responsabilité de protéger, le droit d’ingérence et l’intervention humanitaire ». Cherchez l’erreur.

Pour le juriste Mario Bettati, l’un des concepteurs du « droit d’ingérence humanitaire », la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) et les 72 conventions ou chartes internationales qui en découlent « sont des outils juridiques de première importance. Mais en matière de droits de l’Homme, le bilan ne pourra jamais être satisfaisant ».

En Chine, il se trouve des leaders d’opinion qui n’hésitent pas à défendre des principes qui peuvent sembler l’apanage du monde occidental. Mao Shaoping est avocat. Il est un des 300 défenseurs chinois des droits de l’Homme qui ont appelé publiquement à l’extension des libertés et à la fin du système de parti unique en Chine. « Cette charte porte les mêmes idées et valeurs que la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, comme la liberté de la presse, la liberté d’association, l’indépendance de la justice, la liberté de religion et la protection de l’environnement. Elle ne comporte rien qui s’oppose à la constitution de la Chine ».

Dès lors que le « French Doctor » voit une contradiction entre l’application des droits humains et les politiques de l’État en affaires étrangères, le président Nicolas Sarkozy justifie, dans le cadre de ce soixantième anniversaire, sa philosophie qui consiste à tendre la main à certains régimes peu soucieux ou respectueux de ces mêmes droits. « Si nous (leaders politiques), nous ne prenons pas le risque d’aller au contact de ceux qui ne défendent pas et n’appliquent pas des idées qui sont universelles, si nous ne le faisons pas, qui le fera  ? »

Fabienne Bugnon, Directrice générale de l’Office des droits humains du Canton de Genève, propose une excellente réflexion dans la Tribune de Genève : « Combien de pays en guerre, combien de personnes déplacées, torturées, ostracisées ou persécutées pour leurs idées ou tout simplement par le fait d’être nées au mauvais endroit, au mauvais moment ? La planète est en danger, les droits humains sont galvaudés, bafoués; ici on assassine, là on viole, on mutile ou on prive des droits les plus élémentaires en toute officialité et sous le regard désabusé de celles et ceux qui devraient veiller au respect de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, c’est-à-dire nous toutes et tous! »

Pendant que dans le monde, des pays vont célébrer sans vergogne le soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Canada montre à quelle hauteur il tient la démocratie parlementaire. Le gouvernement conservateur minoritaire de Stephen Harper a mis les clés dans la porte de la Chambre des communes, de crainte d’être l’objet d’une motion de défiance. Ce faisant, il retarde à l’infini le rappel d’Omar Kadhr, emprisonné à Guantanamo. Torturé physiquement et psychologiquement, Omar Kadhr, l’enfant-soldat, est oublié parce que Stephen Harper feint d’ignorer cette réalité et refuse obstinément son rapatriement. Pour ne pas heurter, entre droite conservatrice canadienne et extrême-droite religieuse américaine, les convictions profondes de Georges W. Bush.

Pierre R. Chantelois

Une vidéo de 2006 pour nous rappeler l’enfant-soldat.

13 Commentaires

Classé dans Actualité, Pierre R Chantelois