Archives quotidiennes : 6 février 2009

L’épouvantail du protectionnisme sert drôlement bien certains intérêts

Alors que le premier ministre Jean Charest dit publiquement craindre que des politiques protectionnistes nuisent à la conclusion d’un accord de libre-échange avec l’Union européenne, nous devrions plutôt nous poser sérieusement la question du risque de déficit démocratique que comportent de tels accords. La possibilité pour une entreprise étrangère de « poursuivre des gouvernements directement dès qu’elles estiment qu’une mesure particulière du gouvernement, un règlement ou une loi d’intérêt public a enfreint leurs « droits » » que prévoit l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), devrait à elle seule nous faire sérieusement réfléchir.

Peu se souviennent, sans doute, du projet d’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI) qui comportait un mécanisme de règlement des différends identique à celui de l’ALÉNA. L’AMI allait plus loin encore que l’ALÉNA et aurait fait en sorte qu’aucun secteur tant privé que public ne puisse être exclu de son champ d’application. Le ministre canadien du commerce international de l’époque, Sergio Marchi, avait justifié ainsi la position favorable à l’AMI de son gouvernement : «la plupart des Canadiens trouvent qu’il est juste de donner aux entreprises (…), qu’elles soient étrangères ou nationales, le droit d’engager des procès en dommages et intérêts lorsqu’elles se sentent lésées par les pouvoirs publics canadiens.» Adieu veaux, vaches et démocratie !

Marchi avait-il en tête le cas d’Ethyl Corporation lorsqu’il a fait cette déclaration? Cette entreprise américaine avait en effet obtenu, en vertu de l’ALENA, une compensation de 13 M$, le retrait de la mesure bannissant l’additif MMT – un additif qui pose pourtant un risque pour la santé publique – et en prime l’admission publique par le gouvernement canadien que le MMT ne posait aucun risque (ce qui s’est avéré faux mais le MMT est toujours présent au Canada).

L’AMI a finalement été abandonné avant sa mise en oeuvre en 1988, mais l’ALÉNA et son mécanisme de règlement des différends sont toujours bien vivants. Un tel mécanisme pourrait bien être inclus dans l’éventuel accord avec l’Union européenne. J’écris au conditionnel, car tout se passe en catimini.

La dernière entreprise à s’être prévalu du mécanisme de règlement des différends de l’ALÉNA, UPS, a heureusement été déboutée. Il n’empêche que le mécanisme constitue une véritable épée de Damoclès maintenue au-dessus de la tête de nos législateurs.

C’est un secret de polichinelle que Jean Charest a des ambitions politiques qui vont au-delà du Québec. Son intervention favorable à un nième accord de libre-échange qui viendrait consacrer la montée de ce qu’Ignacio Ramonet qualifiait, en décembre 1997, de «pouvoir sans société» indique bien de quel bois d’œuvre il se chauffe.

Il se trouve que Charest est un ardent défenseur de l’abolition des «barrières non tarifaires» entre les provinces canadiennes. Or, l’Accord sur le commerce intérieur canadien, entré en vigueur en 1995, avait contribué à la défaite du gouvernement fédéral contre Ethyl Corporation, comme le démontre David Schneiderman de l’Institut Parkland (Université de l’Alberta) dans un article paru en 1999 (MMT Promises: How the Ethyl Corporatio Beat the Federal Ban).

Pour en revenir à Ramonet, celui-ci reprochait aux marchés financiers et aux entreprises géantes de faire un lobby constant en faveur des appareils internationaux qui réduisent la marge de manoeuvre des États : le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale, l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

L’OMC en particulier est devenue un véritable monstre froid, hors de contrôle de la démocratie parlementaire.

Les tribunaux formés dans le cadre du mécanisme de règlement des différends de l’ALÉNA concourent aussi à transformer nos parlementaires en eunuques quand vient le temps de faire prévaloir le bien public sur l’intérêt des entreprises privées.

Certains pourtant s’opposent à une renégociation de l’ALÉNA, sous prétexte que ce serait faire le jeu du protectionnisme. Or, il y a une énorme marge entre un très hypothétique retour au protectionnisme et le maintien d’accords ou la poursuite de négociations débouchant sur des accords qui limitent la capacité de nos gouvernements de veiller au grain en notre nom.

Ramonet écrivait de plus, toujours en 1997, que «la mondialisation du capital financier est en train de mettre les peuples en état d’insécurité généralisée.» L’injection de plus de 200 milliards de dollars par le gouvernement fédéral dans les banques canadiennes et le déséquilibre budgétaire considérable qui en découlera démontrent à quel point il avait raison de sonner l’alarme.

Avec la venue au pouvoir de Barack Obama, nous avons la chance de revoir l’ALÉNA et d’éliminer la possibilité pour toute entreprise de faire tomber une décision prise dans notre intérêt par nos élus.

Ne ratons surtout pas cette opportunité.

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Classé dans Actualité, économie, Michel Monette