Nous avons passé la semaine dernière un seuil important dans la désintégration de notre société démocratique. Je ne fais pas allusion aux quelques centaines de milliards que l’État a choisis de consacrer au renflouement des banques à charte canadiennes.
Contrairement à François Marginean, cette décision tout à fait prévisible m’apparaît comme une indélicatesse, mais sans grande portée concrète, un peu comme la profanation du sacré ou la mutilation des cadavres ennemis… Être privé, mort, de quelques appendices, auxquels vivant on tenait beaucoup, est certes d’une inconvenance choquante, mais ne change pas la donne : le mal est fait.
Changer de colonnes 100 milliards ou un trillionde dollars dans les livres comptables est une injure, mais sans importance réelle, puisque le système monétaire est décédé. Ces sommes ne seront de toute façon jamais remboursées, n’exigeront jamais une heure de travail supplémentaire et n’enlèveront jamais un grain de riz à qui que ce soit.
L’événement pernicieux de la semaine dernière est plus sournois; c’est que Gesca ait décidé en catimini de ne plus publier, sur les blogues de Cyberpresse, aucun commentaire des lecteurs sans qu’il ait fait l’objet d une modération préalable. Gesca n’en a rien dit. Ce sont des blogueurs de Cyberpresse qui ont eu la décence d’en avertir la population. Ils ne pouvaient pas faire plus.
Cette décision n’est pas anodine. Elle signifie, d’abord, qu’aucun échange conversationnel n’est plus possible sur ces blogues, car le rythme en est irrémédiablement brisé; on tue ainsi la mince chance qu’avait encore la population de développer une interactivité sur le plan des idées. Elle signifie, surtout, que seule la pensée « correcte » selon les critères de Gesca peut désormais être diffusée efficacement à la population, puisqu’il n’existe pas d’alternative au Québec disposant d’une couverture adéquate.
Nous avons vu un signe avant-coureur de ce verrou posé au dialogue citoyen quand, il y a quelques semaines, tous les chroniqueurs et blogueurs de Gesca, sont montés au front à l’unisson, à la stalinienne, pour s’opposer à la tentative de coalition entre le PLC et le NPD qui aurait permis de se débarrasser du gouvernement Harper et d’éviter cette « indélicatesse » dont nous parlions plus haut.
C’est chose faite, qu’on comprend à quel point il était nécessaire pour le capitalisme que celle coalition ne prenne pas le pouvoir et ô combien il aurait été gênant que des ministres du NPD puissent voir cette affaire de plus près! Évidemment, la combinaison d’un Dion faible et d’un Layton soutenu pas un Duceppe tout aussi à gauche aurait été délétère pour les Desmarais de ce monde…
Ce péril maintenant n’existe plus, avec un Ignatieff bien formé sur place à la pensée USA – et qui pourra remplacer un Harper qui sera devenu trop ostensiblement inacceptable – dès que le « good cop » Obama aura mis en place la nouvelle stratégie de domination du capital. Ignatieff sera aussi copain avec Barack que Harper avec Bush… la vie continue.
Il suffit de voir comment cet Ignatieff – ci-devant totalement inconu – est devenu du jour au lendemain le candidat vedette à la direction du PLC et la coqueluche des médias, pour comprendre qu’une pensée concertée et bien organisée est venue d’en haut pour le nommer .
En attendant, qu’il soit là, on a du voir au plus pressé. On ne peut voir que comme une réaction de panique l’attitude de Gesca révèlant son total contrôle du contenu rédactionnel de ses feuilles de chou. Ayant révélé son jeu un peu par inadvertance, toutefois – et constaté qu’il n’en résultait pas des émeutes chez la plèbe – le Système avance maintenant d’un autre pas vers le parfait contrôle du pouvoir, passant, naturellement, par le parfait contrôle de l’opinion publique.
Qund on bouge on se déséquilibre… C’est le moment de contreattaquer. On doit exiger la nationalisation par le gouvernement de Québec des medias de masse, Gesca et, puisq’on y est, Québécor, qui ne se rend pas sympathique…
On nationalise. Les equipes rédactionnelles demeureront inchangées. La propriété des quotidiens passera à l’État et leur gestion à un Conseil de Presse désigné par l’ensemble des journalistes. D’autres changements à l’information seront nécessaires et seront appliqués, quand on n’y aura réfléchi et que la population aura été invitée à se prononcer sur ces changements, mais, pour l’instant, voyons au plus pressé: mettons le réseau d’information et les mécanismes d’interprétation de la nouvelle à l’abri des manigances des financiers.
C’est le premier pas et le plus facile à faire pour une réappropriation de la démocratie. On peut exiger du pouvoir politique qu’il pose les gestes nécessaires pour donner au peuple la gouverne sur les média, mais chacun de nous peut aussi, individuellement, poser des gestes en ce sens en n’achetant pas de journaux, en ne s’abonnant pas aux journaux, en faisant savoir clairement aux annonceurs qu’on cherchera préférablement l’information commerciale dont on a besoin dans les médias spécialisés gratuits qui se contentent d’informer et ne tentent pas de faire passer subrepticement leur vision du monde. On peut tous discuter. Mais il faut cesser de manipuler en prétendant qu’on informe…
Pierre JC Allard