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L’engin invisible de la crise économique (1)

22 mars 2009 – On assigne à la crise une foule de causes : chute immobilière et implosion des prêts à risque, endettement démesuré des consommateurs et retranchement de ceux-ci, cupidité des institutions financières, salaires et bonis excessifs de leurs dirigeants, etc. Derrière toute ces causes s’en dessine une seule, centrale : les dérivés financiers présentement en mode d’implosion.

Depuis le début de la crise financière et économique, les grandes banques de la planète affichent trimestre après trimestre des pertes astronomiques et presque incompréhensibles. Ces pertes, à leur tour, engendrent une méfiance généralisée et amènent les banques à interrompre le crédit qu’elles destinent normalement aux entreprises, étranglant ainsi l’économie réelle.

Si ces pertes démesurées avaient été limitées à seulement un ou deux semestres, on peut faire l’hypothèse que la crise serait déjà en voie de guérison. Mais non, les pertes se se reproduisent à intervalles réguliers et l’économie se retrouve de plus en plus asphyxiée.

Un peu d’amplification, svp.

La question s’impose: pourquoi ces pertes astronomiques à répétition? Enlevons les produits dérivés du portrait. Supposons que les banques n’auraient eu dans leurs portefeuilles que des prêts classiques : hypothèques résidentielles et commerciales, prêts aux entreprises et aux individus. Dans un tel scénario, on peut se demander s’il y aurait même eu une crise immobilière, pour commencer; et, dans l’affirmative, on peut croire qu’elle serait probablement déjà en train de se résorber au lieu de s’intensifier.

Le discours orthodoxe refuse d’imputer aux dérivés toute causalité à la crise. On dit qu’il s’agit d’outils neutres qui peuvent être utilisés à bon ou à mauvais escient. Malheureusement, plusieurs les ont utilisés à mauvais escient.

Concédons ce point pour l’instant. (Nous y reviendrons plus loin.) Mais tout le monde reconnaît au moins que cette mauvaise utilisation des dérivés en a fait d’immenses amplificateurs de la crise. Comment cette mécanique a-t-elle opéré?

On se retrouve avec un engin découpé en trois étages. Au premier plancher, on trouve tous les prêts traditionnels, notamment les hypothèques. Au-dessus, les banques ont érigé deux étages supplémentaires qu’on appelle le domaine du crédit structuré. À l’étage 1, on trouve ces mêmes actifs (hypothèques, prêts auto, etc.), mais sous forme titrisée, c’est-à-dire qu’ils ont été vendus à divers acheteurs : investisseurs institutionnels, autres banques, fonds de couverture, etc. Puis, au-dessus de cet étage, on retrouve ces mêmes actifs titrisés dans des filiales anonymes de banques où ils sont transformés en dérivés et découpés en multiples tranches de risque, tranches auxquelles les agences de crédit comme Moody’s et Standard & Poor’s assignent des cotes hautement favorables. C’est ici qu’on trouve tous ces produits exotiques dont les acronymes épuisent les ressources de l’alphabet : CDO, MBS, CBO et, ultimement les fameux PCAA qui ont tant fait perdre d’argent à la Caisse de Dépôt.

À chaque étage correspond un niveau accru de levier. Au premier plancher, celui des prêts d’origine, une banque a par exemple avancé à un emprunteur un prêt couvrant 90% de la valeur d’une maison. Au premier étage, l’acheteur d’une hypothèque titrisée a, à son tour, acheté ce titre grâce à un emprunt couvrant 90% de son achat. Enfin, à l’étage suivant, la structure même des dérivés crée un effet de levier inhérent sans compter le fait que leur acheteur s’est, à son tour, endetté. C’est ainsi qu’à partir d’un marché hypothécaire d’une valeur d’environ 10 billions de dollars, on se retrouve avec une superstructure de dérivés dont la valeur est 10 à 20 fois celle du marché de base dont ils « dérivent ».

Or, à cause de l’effet de levier, toute perte à la base sur la valeur d’une maison ou d’un prêt est multipliée cinq, dix et même vingt fois au dernier étage. C’est tout cet édifice d’emprunt et de dettes qui est maintenant en implosion.

Assurances tous risques

Mais les choses ne se limitent pas au crédit structuré. S’ajoutent les autres pans des swaps sur taux d’intérêt, les swaps sur devises et, surtout, les swaps sur défaillance (en anglais : credit default swaps ou CDS).

Cette dernière catégorie des CDS a connu une croissance explosive depuis 2001, passant en moins de cinq à 57,3 billions $US (57,3 mille millards) au 30 juin 2008, selon la Banque des règles internationaux. Un swap sur défaillance est tout bêtement une police d’assurance sur un actif financier. Par exemple, un investisseur qui juge que ses obligations de General Motors sont trop fragiles peut acheter auprès d’institutions, l’assureur AIG notamment, une assurance contre tout défaut de paiement de la part de GM. Moyennant une prime mensuelle, AIG garantit à l’investisseur qu’il lui remboursera la valeur de son obligation si GM fait défaut.

En fait, un investisseur n’a même pas besoin de détenir des obligations de GM pour se doter d’une telle assurance. Il peut quand même se procurer cette assurance et, aussitôt après, vendre le titre de GM à découvert en bourse, essayant ainsi de faire en sorte que GM ne puisse pas rembourser ses obligations. Du coup, il pourra empocher sa police d’assurance, sans compter le profit qu’il fera avec sa vente à découvert! La logique est simple : imaginez que les gens pourraient prendre une assurance sur la vie de leurs voisins. Ce serait une invitation voilée à l’assassinat…

Cette catégorie des CDS a joué un triple rôle d’accélérateur. D’abord, munis de leurs polices d’assurance, les banquiers se sont permis les montages financiers les plus risqués. Ensuite, les CDS ont contribué à écraser les écarts de rendement entre les taux sur les bons du Trésor et les taux corporatifs, rendant ainsi le crédit de plus en plus bon marché. Troisième rôle : parce que le coût du crédit était de moins en moins cher, les banques devaient faire des prêts de plus en plus gros simplement pour maintenir leur niveau de rendement.

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Classé dans Actualité, Yan Barcelo