L’engin invisible de la crise économique (2)

L’engin invisible de la crise économique (2)

(Suite de la semaine dernière prochaine…)

Yan Barcelo

L’origine du mal

Un tel argument renverse complètement l’explication orthodoxe : l’implosion immobilière a été certes le déclencheur de la crise financière et économique, comme on nous le serine partout, mais la cause de ce déclencheur tient aux dérivés. Sans la boulimie des banques pour leur création systématique d’actifs titrisés et de crédit structuré, il n’y aurait sans doute pas eu de crise immobilière. L’accès au crédit facile a incité de plus en plus de gens à payer de plus en plus cher pour des maisons de plus en plus dispendieuses. Jusqu’au jour où la bulle a éclaté.

Or, la « beauté » de l’affaire tient au fait que tous ces produits dérivés financiers exotiques (CDO, CDS, etc.) sont hors bilan. Qu’est-ce à dire? Les montagnes de dettes potentielles qu’ils portent n’apparaissent pas dans les bilans trimestriels et annuels des banques. Seuls y apparaissent les gains et les pertes générés hors bilan par ces produits. Quand tout allait bien, les profits étaient pharamineux : en 2007, les profits du secteur financier accaparaient 30% de tous les profits des entreprises américaines! Maintenant que tout va mal, les pertes sont inversement proportionnelles.

Pourquoi tous ces produits sont-ils hors bilan? Parce que la valeur initiale d’un dérivé est zéro. Il n’a aucune valeur de départ qu’on peut inscrire dans les livres d’une compagnie. Ce n’est qu’avec le passage du temps, au gré des règlements entre les deux parties signataires du contrat, que les pertes ou les gains paraissent aux livres.

Nous avons donc la réponse à la première question : pourquoi les banques affichent-elles trimestre après trimestre ces pertes gigantesques et inexplicables? Elles perdent de l’argent non seulement au premier plancher de leurs prêts et hypothèques classiques, elles en perdent encore plus aux deux étages supérieurs. Et ces deux étages supérieurs agissent comme une machine détraquée qui produit systématiquement des pertes colossales.

Et on peut supposer que ces pertes ne se rattachent pas seulement aux portefeuilles hypothécaires. Dans l’univers financier, les pertes hypothécaires ne sont qu’un seul type d’actif qui est présentement en implosion. Il y a aussi les titres boursiers, les prix du pétrole et des matières premières, les devises de plusieurs pays, etc. Tous ces actifs réels sont les bases sous-jacentes de valeurs dont des millions de dérivés « dérivent » leur valeur. Au fur et à mesure que ces valeurs s’écroulent, ces pertes se répercutent sur multiples autres catégories de dérivé.

Littéralement, nous avons affaire à un château de cartes en voie de s’écrouler. Enlevez une carte n’importe où dans un château de cartes et tout l’ensemble s’écroule. C’est – on peut le supposer – ce qui est en train de se passer.

Pourquoi dire « on peut le supposer »? Parce qu’on ne le sait pas vraiment. Étant donné que tout ceci se passe dans l’obscurité du hors bilan des banques, nous sommes condamnés à l’ignorance, aux suppositions, aux hypothèses. Y a-t-il moyen de savoir l’ampleur des pertes potentielles qu’abrite le monde des dérivés? Peut-on savoir quelle est l’ampleur des risques auxquels sont exposées les banques dans leurs portefeuilles de dérivés? La réponse est non. On est totalement à la merci des révélations qu’elles nous font trimestre après trimestre.

On peut seulement contempler, ébahis, la taille de la superstructure des dérivés, soit 683 billions de valeur notionnelle au 30 juin 2008 selon la Banque des règlements internationaux (environ 12 fois le PIB mondial). Et se demander avec appréhension : l’ensemble de ce château de cartes va-t-il s’écrouler? Si c’est le cas, il n’y aura jamais assez d’argent sur cette planète pour combler le trou qui en résultera.

Plusieurs spécialistes du domaine des dérivés nous disent que nous arrivons probablement au bout des pertes liés aux dérivés. Les plus grosses radiations ont maintenant été faites, pensent-ils. Espérons ardemment qu’ils ont raison. Mais ce n’est pas certain. Car maintenant, quelques autres grosses cartes dans le château sont en danger de s’écrouler.

À ce moment, la plus à risque de ces cartes est celle des hypothèques commerciales. C’est une conséquence logique de la chute précédente de l’immobilier résidentiel. À cause de l’implosion de ce secteur et de ses conséquences négatives pour l’économie, les consommateurs se sont repliés. De plus, des communautés entières sont dévitalisées par des maisons abandonnées. Tout ceci se répercute maintenant sur les entreprises de détail qui, faute de consommateurs, sont de plus en plus nombreuses à fermer leurs portes et à faire défaut sur le paiement de leurs hypothèques. Déjà, c’est une carte qui chambranle dangereusement.

Si cette carte s’écroule, nous aurons à faire à une nouvelle ronde de pertes épiques dans les banques.

Et quand cette carte aura tombé, laquelle suivra, écrasée sous la pression des précédentes? Une hypothèse qui a cours : on se demande si les pays, qui ont empilé des déficits monstrueux pour venir au secours de leurs secteurs financiers respectifs, seront en mesure de financer leurs dettes dans les marchés nationaux et internationaux. Déjà, l’Allemagne a connu deux ratés dans sa tentative d’émettre ses obligations gouvernementales…

On verra en temps et lieu quelles quantités de pertes additionnelles l’engin des dérivés va déglutir si d’autres cartes du château s’écroulent. Mais une chose est certaine : oubliez toutes les explications causales de la crise (bulle immobilière crevée, retrait des consommateurs, etc.). La crise actuelle n’a qu’une cause : l’engin détraqué des produits financiers dérivés. Il faudra bien un jour attaquer directement le monstre au lieu de l’alimenter systétiquement comme le font à l’heure les gouvernements.

11 Commentaires

Classé dans Actualité, Yan Barcelo

11 réponses à “L’engin invisible de la crise économique (2)

  1. @Yan Barcelo

    Excellent article.

    Merci de le rappeler de nouveau. Ça fait depuis des mois que je répète la même chose, désabusé des grands médias qui refusent de rapporter objectivement sur la cause première de la crise actuelle:

    Les produits financiers dérivés.

    Une bulle de 700 000 milliards à 1 500 000 milliards de dollars selon les chiffres de la Banque des règlements internationaux (BRI), ou Bank for International Settlements (BIS) en anglais.

    Dire que la bulle des subprimes n’était que de 23 000 milliards!

    https://les7duquebec.wordpress.com/2009/03/17/l%E2%80%99assouplissement-quantitatif/

  2. Garamond

    On va s’en remettre… Déjà, on vend des maisons, à l’encan, à moitié prix, c’est-à-dire à leur valeur réelle, non gonflée par l’inflation.
    Toutes ces pertes sont des pertes virtuelles. Imaginez un verre de bière avec un collet de 3 pouces. La broue s’estompe, il reste la vraie bière, un peu moins, sans doute, mais pas de quoi vider le verre…

  3. JCPomerleau

    M Barcelo vous êtes limpide.

    J’aimerais attire votre attention sur le Laboratoire Européen d’Anticipation Politique (Leap), le premier organisme a avoir identifié la naissance de la crise systémique globale, dont l’épicentre est La Très Grand Dépression US. Laquelle découle de la modification du cadre règlementaire regissant les institutions financières américaines.

    En prévision de la rencontre du G 20, voici la lettre ouverte du Leap au dirigeants (en fait qui dirigent ? Sinon les banques ): http://www.leap2020.eu/Lettre-ouverte-Sommet-du-G20-de-Londres-la-derniere-chance-avant-la-dislocation-geopolitique-mondiale_a3009.html

  4. Fernand Cloutier

    Billet LOGIQUE
    Ce sera la suite logique des choses.
    LEAP l’avait PRÉVU depuis quelques années.
    Les médias RÉGULIERS financés par la haute finance et les économistes à leurs solde MAQUILLENT et MANIPULENT la vérité avec la CONSPIRATION de nos CHERS gouvernements.
    L’avenir sera TERRIBLE pour la population, famine, maladie, révolte,etc.

  5. À propos du LEAP, il est écrit dans cet article:

    Le LEAP est dirigé par Frank Biancheri, qui est aussi le Président du comité directeur du parti «Newropean», dont ont peut lire, sur leur site, qu’il est le «premier mouvement politique trans-européen (…) car l’UE est trop importante pour être laissée aux mains des partis nationaux et des bureaucrates.»

    Les visées mondialistes de Newropean sont clairement affichées. Leur «manifeste» indique : «Pour la planète, un des problèmes centraux au 21ième siècle sera de répondre à cette question : «Comment combiner l’immense diversité de taille, de culture, de puissance des pays du globe en évitant que la loi du plus fort prédomine ?» La réponse ne peut-être que l’abandon de leur souveraineté pour les États membres de l’Union européenne. Bien sûr, le LEAP ne l’indique pas directement, mais il ne peut être question d’autre chose quand, dans leur programme politique (point 4), ils proposent un «siège unique au conseil de sécurité de l’ONU ; une politique de défense européenne commune ; une politique d’immigration qui aille de pair avec une politique de développement ; un rôle européen proéminent pour reconstruire le système international».

    Le LEAP, qui fait parvenir ses bulletins d’informations à plus de 50′000 acteurs économiques et politiques en Europe, ne serait-il pas plutôt l’organe de propagande de Newropean, un parti politique en faveur d’un mondialisme pro-européen ?

    Comme dit le proverbe : «Les ennemis de nos ennemis ne sont pas toujours nos amis.» Et dans ce sens, le LEAP à manifestement intérêt à nous annoncer que des bouleversement sociaux catastrophiques vont avoir lieux aux États-Unis, de sorte promouvoir avantageusement un mondialisme hégémoniquement européen. Mais il n’est pas nécessaire d’être un fin analyste pour savoir que cette crise systémique globale va faire apparaitre des révoltes et des contestations. Elle sont d’ailleurs déjà en marche, et les appareils répressifs travaillent d’arrache-pied pour mettre au point des plans d’urgence et des scénarios pour contrecarrer émeutes et révolutions populaires (voir notre article «But et techniques de la guerre psychologique») .

    Plus que jamais, il est nécessaire d’analyser les informations qui nous parviennent et, à chaque fois, de se poser les questions sur les objectifs des organisations qui en font la promotion.

    Il est tout d’abord nécessaire de comprendre que nous sommes entré dans une phase essentielle pour les tenants de l’économie mondiale, pour qui cette crise systémique globale est l’ultime instrument pour redessiner la carte du monde et, à terme, faire éclore ce «gouvernement mondial» qu’ils n’ont de cesse de présenter comme étant la «solution finale» à tous les problèmes de la planète.

    A cette «guerre économique» auquel se livrent les puissances financières internationales pour se partager les parts du pouvoir, il va bientôt être nécessaire d’associer une «guerre psychologique», dont le but sera de contraindre les populations à accepter l’abandon des derniers principes démocratiques qui régissent leur existence.

    Générer des situations anxiogènes afin de manipuler les masses par la peur pour faire entériner des changements qui, en temps normal, auraient été inacceptables est un grand classique de l’Histoire du monde. Plus récemment, dans un genre différent mais qui n’est toutefois ni sans lien ni sans similitudes, les «évènements du 11 septembre» nous ont démontré ce à quoi une démocratie était capable de renoncer en terme de libertés individuelles, sous prétexte de «lutte contre le terrorisme».

    A l’approche du G20, qui se tiendra à Londres le 2 avril prochain, les chefs d’Etats réunis à cette occasion ne manqueront de définir les principes de base de cette «gouvernance mondiale». Et c’est dans ce cadre qu’il faut analyser les informations du LEAP quand il indique que ce G20 sera la «réunion de la dernière chance» pour arrêter un plan d’action «convaincant et audacieux». (Article provenant de Mecanopolis)

    De quoi faire réfléchir…

  6. gaetanpelletier

    Très bon! Merci!
    J’avais l’intention de visionner un film d’horreur…
    Je vais laisser tomber.
    Finalement, c’est comme calfeutrer le Titanic avec du chewing-gum…
    Excellente émission Les francs-tireurs.
    Détroit en …lambeaux. Des quartiers complets abandonnés. Des pilleurs de maisons qui arrachent la tuyauterie pour la revendre.
    Prix d’une maison abandonnée: 1$.
    Prix d’une maison encore en état de fonctionner: 10,000$.
    Et la soupe populaire est plus que populaire…

  7. Pingback: LA JEUNE NOIRE BAMBOUZLÉE « LA VIDURE

  8. Pingback: Le nouvel ordre mondial s’affiche publiquement « Les 7 du Québec

  9. Pingback: » Clip Vidéo Résistance International Vigilance Démocratique Citoyenne » LE NOUVEL ORDRE MONDIAL S’AFFICHE PUBLIQUEMENT

  10. MAGHRAOUI GHIZLANE

    Je pense que la crise économique que connaît le monde actuellement aura une influence défavorable sur la population. A cause de licenciement, on va tomber dans l’augmentation du taux de chômage au niveau mondial, le plus souvent dans les pays en voie de développement qui ont déjà un taux de chômage élevé et un pouvoir d’achat très faible.
    D’une autre coté, elle a un avantage c’est que il va rester que les meilleurs Entreprises, les Entreprises forte et rentable.
    En tous cas, il faut trouver une solution le plus vite possible pour résoudre se problème avant de tomber dans des problèmes plus graves que la crise.
    Maroc

  11. Pingback: Le Nouvel Ordre Mondial, c’est quoi? | Le savoir est une arme

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