La réglementation financière à venir
Yan Barcelo (5 avril 2009)
À la rencontre du G-20 à Londres, les dirigeants du monde nous ont promis pour la deuxième fois la mise en place d’une nouvelle règlementation pour tenir en laisse la bête financière. L’annonce peut laisser songeur quand on sait que le jour même, le congrès américain assouplissait largement les règles d’écriture comptable pour les banques. On peut donc s’attendre à ce que les rapports trimestriels des banques pour la période de janvier à avril soient « miraculeusement » blanchis de pertes compromettantes.
Ce modeste blog n’a certainement pas la prétention de dicter aux grandes puissances le cadre règlementaire qu’elles doivent maintenant inventer.
Toutefois, pour la gouverne de tous les petits investisseurs, épargnants, travailleurs et ménages qui doivent composer avec un budget de plus en plus restreint, il y a lieu de voir ce qu’un tel cadre règlementaire doit absolument mettre en place. Si quelques mesures fondamentales ne sont pas implantées, on ne fera que remettre à plus tard un nouveau rendez-vous avec la catastrophe financière qui, cette fois-là, sera probablement encore plus destructrice. Déjà que le nouvel assouplissement comptable alloué aux banques américaines promet d’enfouir plus profondément dans les bilans leurs actifs toxiques.
Trois mesures simples règleraient le problème une fois pour toute.
1) Interdire tout actif hors bilan. Un dérivé financier n’est ni un actif ni un passif selon les concepts actuels de la comptabilité. Aucun déboursé n’est reçu ou payé au départ. C’est n’est qu’au gré de l’évolution d’un indice sous-jacent (taux LIBOR, titre boursier, indice pétrolier, etc.) que le dérivé produira des revenus ou des pertes à inscrire à l’état des résultats. Or, parce qu’il n’est ni un actif ni un passif, un dérivé n’apparaît pas dans les bilans des banques. Il est tapi dans l’ombre, à l’abri de tout regard règlementaire, prêt à produire des masses de profits – ou de pertes! C’est inadmissible.
2) Interdire toute titrisation de la part des banques. Prendre une hypothèque et en faire un « titre » qu’on revend à un «investisseur» extérieur, les banques appellent ça de la gestion de risque ou du transfert de risque. Un tel vocabulaire relève de ce que George Orwell, dans son roman 1984, appelait du «Newspeak». Il s’agit d’un transfert de responsabilité.
Or, pourquoi une banque transfèrerait-elle à un autre la responsabilité d’un prêt qu’elle a contracté? Puisque c’est elle qui l’a contracté, n’est-ce pas elle qui en connait le mieux les conditions (situation du propriétaire, localisation, contraintes, etc.)? Quelle aberration intellectuelle peut nous faire croire qu’en refilant sa responsabilité à un autre qui ignore tout de la réalité du terrain, les conditions de risque sont améliorées ou gérées de quelque façon que ce soit? Les banques se font allouer des chartes très privilégiées, surtout au Canada, pour gérer des portefeuilles de prêts et en gérer les risques. C’est leur spécialité, supposément. Qu’elles fassent leur travail au lieu de fonctionner comme des machines à accumuler des sous sur des frais de transaction et des profits de trading.
3) Interdire toute transaction de dérivé financier gré à gré. Les Himalayas de dérivés que les banques ont empilés à hauteur de 684 billions $US sont le fruit de contrats qui ont été convenus derrière des portes closes. Bien sûr, l’International Swaps Dealers Association (ISDA) a émis des consignes sur les conditions qui régissent ces contrats, mais leur application relève de la bonne volonté des joueurs. Mais un pourcentage inconnu de ces contrats se fait sans qu’il n’y ait de mise de fonds de départ et sans appel systématique de marge. On se fie tout simplement à la « bonne réputation » des contreparties.
C’est une formule qui invite à la catastrophe. Depuis plus de 150 ans, les parquets d’options comme le Chicago Mercantile Exchange (CME) ont appris à gérer les risques liés aux instruments de couverture et de spéculation qu’ils offrent. Et ils ont appris qu’il ne faut se fier à la bonne réputation de personne. Toutes les transactions sont faites en plein jour sur un parquet public, on demande une mise de fonds initiale d’au moins 10% et davantage selon le degré de risque d’un contrat, et dès que le contrat souffre des pertes le CME fait des appels de marge aux participants. C’est sans compter nombre de systèmes de sécurité pour désamorcer toute crise potentielle liée aux difficultés d’un joueur important.
C’est vers un tel modèle de parquet public il faut déplacer tout le monde gré à gré des dérivés. Ce sont des démarches qui ont déjà été entreprises par quelques grands groupes financiers, notamment le CME.
Est-ce rêver en couleur de croire que de telles changements seront imposés? Sans doute, car il est à parier qu’aucun gouvernement n’osera affronter aussi franchement l’establishment financier, le plus puissant lobby du monde. Toutefois, on peu espérer que certaines mesures suffisamment musclées seront mises en place pour garantir une chose cruciale et incontournable : il faut que le risque associé aux dérivés soit chiffré adéquatement et payé par les contreparties.
Il est évident que tel n’a pas été le cas. Les modèles de risque des banques étaient profondément carencés et beaucoup trop permissifs. Résultat : c’est toute la société qui paye maintenant pour le risque que les participants n’ont pas voulu payer au départ.
Et ce prix est extrêmement élevé. On parle toujours des 4 billions $US en sauvetages de toutes sortes mis en place par les gouvernements du monde à partir de l’argent des contribuables. Mais n’oublions pas tous les autres coûts faramineux : les millions de pertes d’emploi, les pertes colossales de revenus des entreprises, l’élimination de 50 B$ en valeur sur les parquets boursiers qui obligent nombre de gens à retarder ou interrompre leur retraite, et quoi encore.
Si on chiffre ce risque adéquatement et on en charge le prix au départ, il est à parier que les contrats de dérivés vont devenir une espèce en voie de disparition. Et tant mieux. Ce ne sont que des créatures financières destinées à faire de l’argent sur de l’argent par-dessus de l’argent, sans aucune valeur pour l’économie réelle.
Mais si les prochaines compilations semestrielles de l’ISDA et de la Banque des règlements internationaux nous apprennent que les contrats de dérivés continuent de croître dans le monde, watch out! Nous devrons tous syntoniser nos postes pour le prochain épisode de la série Big Financial Bang.