Une des conséquences de la crise actuelle, va être de ramener la production au bons sens. Il y a deux fatalités en production. La première est que tout passe, tout lasse tout casse : l’usure est une réalité. La deuxième, c’est qu’une société technologique peut faire sans cesse mieux : la désuétude est donc aussi une réalité.
Un système de production rationnel et honnête vise la satisfaction et cherche à contrer la fatalité de l’usure et de la désuétude en allongeant l’espérance de vie utile des produits. Une production qui veut satisfaire la demande s’efforce d’augmenter la robustesse du produit.
L’augmenter peut accroitre le coût de production et il y a donc un optimum à atteindre, en tenant compte du coût supplémentaire de production d’un produit qui dure plus longtemps. C’est cette optimisation qui est l’objectif de départ.
On peut s’éloigner de cet objectif pour d’autres considérations, esthétiques, par exemple. Ceci ne cause pas problème, pour autant que ce soit clairement dit, mais c’est cet optimum de solidité et de permanence, cependant, qui demeure le référentiel ; toutes autres choses étant égales, on favorise le produit qui dure. Du moins, c’est ce qu’implicitement l’acheteur attend du producteur.
Pendant des lustres, les producteurs ont misé leur destinée sur l’établissement d’une relation de confiance avec le consommateur et certaines firmes y sont parvenues. Elles ont produit pour la durée. Mais un jour, circa 1950, est venue l’abondance et la crainte que le consommateur ne consomme plus assez. La peur que le capital cesse de croitre. Et les règles ont changé…
Pour maximiser la production, on a souhaité le taux de remplacement le plus élevé possible et on a donc cherché à RÉDUIRE la durée d’utilisation des produits. Un système s’est instauré qui a eu pour but premier de produire pour produire, cherchant à fabriquer des biens de plus en plus fragiles et à n’apporter qu’une satisfaction éphémère.
La finalité est devenue l’insatisfaction permanente et le nouvel optimum de référence, pour la production, est devenu la durée de vie utile la plus courte que puisse tolérer le client. On a mis en place le Plan Pénélope.
On sait que Pénélope, épouse fidèle, voulant garder à distance les prétendants à sa main qui l’avait sommée de choisir parmi eux celui qui l’épouserait et accèderait au trône d’Ulysse, avait trouvé l’astuce de promettre de faire connaitre son choix quand elle aurait terminé une tapisserie… dont elle défaisait discrètement chaque nuit tout ce qu’elle en avait brodé le jour.
De la même façon, le stratagème des producteurs, pour empêcher que les besoins ne soient jamais satisfaits, a été que rien de ce que l’on produit ne dure jamais bien longtemps. Que ce qu’on vend au consommateur s’autodétruise au plus vite, pour pouvoir le lui vendre encore, et encore, indéfiniment et de plus en plus souvent.
La voie royale vers l’insatisfaction permanente, pour l’industrie en sursis de saturation, a été de baisser tous les produits d’un cran sur l’échelle de la durabilité. Transformer les produits durables en produits semi-durables – avec des maisons Levitt pour les vétérans, bâties pour ne durer que 20 ans ! – et à remplacer les produits semi-durables par des objets de consommation courante.
Il y a tout un ‘univers des produits dont l’intérêt évident du consommateur est qu’ils durent et l’intérêt tout aussi évident du producteur est qu’ils ne durent pas. Ces produits vont de la lame de rasoir qui peut servir une, cinq, dix fois à l’automobile qui durera trois, dix, trente ans. C’est sur ce marché que la guerre entre consommateurs et producteurs s’est engagée .
Une guerre bien inégale, car c’est toujours le producteur qui contrôle cette variable primordiale qu’est l’espérance de vie réelle du produit semi-durable. Celle-ci ne dépend pas seulement du soin qu’on met à le fabriquer, mais aussi d’autres facteurs. Des facteurs comme la disponibilité après vente des pièces de rechange et des services d’entretien. Comme l’apparition sur le marché, surtout, d’un produit supérieur – ou dont on laissera croire qu’il est supérieur – et qui rendra le premier désuet.
À l’usure bien physique qu’on peut accélérer, en fabriquant plutôt mal que bien, vient donc s’ajouter, au profit du producteur une obsolescence, qui est non seulement pour une bonne part subjective – et donc manipulable à quia par la publicité – mais aussi planifiable, puisque la technologie est toujours en avance sur la production, que le producteur a l’information pertinente que le consommateur n’a pas et que la cédule de mise en marché de nouveaux produits est totalement discrétionnaire.
Ce sont les producteurs qui ont eu longtemps tous les atouts en main et c’est donc Pénélope qui commandait. Depuis deux générations. ce n’est pas la demande, mais l’offre qui a déterminé les patrons de consommation On a donc consomme… et consomme … et on s’est s’engraisse….
Mais avec la crise et la conscience pour l’environnement, la donne a changé. On veut economiser le matériau et optimiser le travail. On va donc demander à Penélope de terminer sa tapisserie et que chaque point compte. L’avenir est à la simplicité volontaire…
http://www.nouvellesociete.org/H.html
Pierre JC Allard