Une société industrielle atteignant l’abondance doit affronter un nouveau rapport de forces entre le capital et les travailleurs devenus décideurs. Avec la montée en puissance du travail, le capital préfère quitter la production, du moins en pays développés, exportant la capacité de production industrielle vers le tiers-monde.
Le capital peut quitter sans coups férir la production au sens strict, sans rien perdre de sa richesse ni de son pouvoir sur la société, en utilisant simplement deux (2) approches complémentaires : l’extorsion par le contrôle des matières premières et une connivence avec l’État pour spéculer sur les variables monétaires.
Le capital a amorcé ce retrait de la production, mais avec beaucoup trop de réticence. Lentement. Trop lentement. À chaque délai qu’il s’est accordé, il fait le choix maternaliste de satisfaire tout le monde par le crédit et l’assistanat plutôt que par l’entreprise. La crise financière est venue et nous a amenés au moment de vérité où l’on a vu avec consternation que l’argent ne valait plus rien.
Maintenant, il faut reconstruire une société. Capitalisme encore, ou entrepreneuriat ?
1. La société peut garder la voie du capitalisme.
L’augmentation de productivité qu’apporte le progrès se solde alors par une réduction des acteurs actifs en production et c’est une toute petite élite financière, allant en s’amenuisant, qui va gouverner la société avec le support tacite d’une majorité de la population qui va rester passive.
C’est le modèle du « pain et des jeux », lequel repose sur le travail salarié et n’exige qu’un minimum d’entreprise personnelle. Le capitalisme s’appuie sur une distribution de revenu complémentaire au travail par l’assistanat. Il récompense ses supporters par le paiement de pensions et de rentes et il les motive par l’actionnariat, qui est un capitalisme à rabais pour les gagne-petit.
2. La société peutt choisir d’aller plutôt vers l’entrepreneuriat.
C’est aussi une minorité qui fait fonctionner la société, mais elle est établie selon la compétence. Au contraire de l’élite financière, dont les effectifs diminuent avec la concentration de la richesse, ceux de cette « aristocratie » – au sens étymologique du terme – de la compétence sont en croissance. Le nombre de ceux qui contribuent à l’enrichissement collectif et à l’évolution de la société augmente nécessairement avec la complexité de celle-ci et la complémentarité des tâches qu’elle requiert.
Il est évident que la deuxième alternative est plus dynamique que la première. Faut-il en déduire que, si on lui en donne le choix, c’est celle que choisira spontanément une population démocratique ? Ce choix n’est pas du tout évident.
L’abondance rend plus facile à ccux qui possèdent de satisfaire à leur discrétion les besoins essentiels et mêmes les caprices de ceux qui n’ont rien. Sont-il vraiment une majorité dans la population à en vouloir davantage ? La complaisance d’une majorité passive peut être acquise au capitalisme par une politique maternaliste.
Dans sa résistance à l’entrepreneuriat, le capitalisme à aussi deux (2) types d’alliés inattendus. D’abord, ceux qui capitalisent la connaissance. Le pouvoir de la connaissance est encadré par la possession de titres reconnus. Quiconque a un diplôme a un intérêt acquis à ce que les choses ne changent pas. C’est le cas de tous les corps constitués. Ils sont du côté des droits acquis, dans le camp du passé et donc les alliés de l’inertie.
Il y a évidemment des escarmouches entre le « vieux capitalisme » qui repose sur la possession des équipements et un « nouveau capitalisme » par la possession de la connaissance, mais ce sont des guerres intestines. Au moment de vérité, celui qui s’est approprié une connaissance qui est source de pouvoir et la « possède » est du côté de la stabilité et donc du statu quo. Il est l’allié circonstanciel du capitalisme.
Le deuxième groupe d’alliés circonstanciels du capitalisme, ce sont tous les assistés. Normal, puisque l’assistanat est toujours aux dépens de ceux qui travaillent et au profit de quelqu’un qui ne travaille pas.
Les assisté peuvent, par réflexion ou conviction, prendre fait et cause pour un changement éventuel possible de leur condition d’assistés, mais leur INTERÊT immédiat est du côté d’un système qui leur donne plus pour moins : le capitalisme actuel, avec l’obligation de «générosité » que lui impose le maintien de la demande effective.
Il y a des degrés dans le soutien au capitalisme des assistés divers. Ainsi, les rentiers, qui sont de vrais micro capitalistes, sont des alliés plus fidèles que les pensionnés – qui peuvent en vouloir plus et changer de clan – et surtout que les bénéficiaires d’une aide périodique qui attendent une prestation immédiate et peuvent basculer sur le champ du côté du changement si on ne la leur donne pas.
Les assistés jouent aujourd’hui le role du lumpenproletariat . Leur appui au capitalisme est plus ou moins solide, mais, quand les jeux sont faits, ils sont pour la stabilité. On en viendra bien à l’entrepreneuriat, avec ce que cette diffusion de l’autorité comme de la responsabilité aura pour effet sur la distribution de la richesse et surtout du pouvoir, mais aujourd’hui, même en ce lendemain de fin du monde, il n’est pas sûr qu’on ne retombera pas pour un temps dans le piège du maternalisme.
Tôt ou tard, l’interdépendance croissante montrera même aux plus obtus qu’un égoïsme bien compris passe par la collaboration et que la solidarité est essentielle. Mais le défi est encore là de hâter cette prise de conscience.
Pierre JC Allard