Les pirates ne sont pas ceux auxquels on pense (5)

A09-04-10bg_the_last_few_boxes_of_usaid_food_in_the_containerla suite de cette nouvelle série d’articles, on s’approche d’une conclusion évidente : le trafic d’armes est favorisé par l’usage des containers à bord de cargos civils, dont de nombreux travaillant directement pour des militaires, et dont les seuls contrôleurs à rayon X existants sont fournis par les Etats-Unis. Les pirates actuels ont mis par hasard la main sur des armes, dont certaines de taille respectable (45 tonnes !) qui semblent circuler plus souvent qu’on ne pense dans des régions du monde déclarées depuis longtemps comme sensibles. C’est déjà un point surprenant. S’ajoute à cela un rideau de fumée consistant à mettre en avant l’action humanitaire, à ce détail près qu’aux Etats-Unis c’est une action étatique,gouvernementale, organisée dès 1961 par John Kennedy, une action qui n’est jamais sortie de ses accusations d’espionnage manifeste des pays dans lesquels elle intervenait. Livraison d’armes en douce, espionnage manifeste : les médias, qui ont vite fait de charger les pirates somaliens, feraient bien de s’intéresser aux véritables flibustiers des mers. Ce ne sont pas obligatoirement ceux qui font la une des journaux.Le schéma d’approche et de conquête américaine en pays tiers est donc connu : on le constate chaque jour encore, et je vous ai déjà mis en garde contre les activités des ambassades, qui relèvent très souvent directement des renseignements. En Bolivie, en ce moment, c’est visible tous les jours, et le président Morales se bat contre cette ingérence notoire et indiscutable. Le cas incroyable de l’ambassadeur albanais, John Withers II, pris en plein flagrant délit de soutien à un vendeur illicite d’armes d’à peine 18 ans, Efraïm Diveroli, est resté dans votre mémoire j’espère. La fuite du vendeur de munitions avariées en Israël également. Nous vous disions hier quels étaient les piliers de cette ingérence perpétuelle dans les affaires des autres. Dans l’ordre, l’église, puis USAID, puis la CIA ou la NSA en général : « Establishing a direct link between missionaries, US AID, the CIA and other intelligence agencies like the NSA, is not a very difficult task ».  Disions nous déjà hier, en ajoutant le cas spécifique du Soudan, où le CSI a joué un rôle déterminant aux USA pour alerter l’opinion publique américaine et imposer l’idée d’une véritable croisade idéologique. « The question for the Black electorate, in the Western Hemisphere and Africa is how such a history impacts on the monopoly of thought that Christian Solidarity International has obtained over the issue of the Sudan, influencing members of the US Congress and the British parliament, as well as White Conservatives and Black Civil Rights leaders ? »…Obama se serait-il fait avoir dans le lot ?

L’historique des liens entre la CIA et les groupes religieux remonte aux années 60, et leur première action a eu lieue en Thaïlande. «  Interestingly, the link between the CIA and missionary groups was quite often the US Agency for International Development (AID). »Un livre sur la CIA a révélé ses faits. Celui, magistral, sur « le gouvernement invisible des Etats-Unis ». Un livre de David Wise et Thomas B.Ross introuvable en France, que j’ai finalement obtenu par le plus grand des hasards, mais qui est disponible en téléchargement à cette adresse dans sa langue originale.Il y décrit la méthode, commencée par le détournement d’anthropologues appelés à étudier des tribus thaïlandaises ou laotiennes« The story had been building since 1970, when Dr. Eric Wolfe, chair of the American Anthropological Association’s ethics committee, explained how anthropologists had been manipulated through the Chiang Mai Tribal Research Center in northern Thailand, which was funded through the Agency for International Development (AID). He also revealed that American missionary organizations had been drawn into this counterinsurgency operation as well ». Dans le livre de Wise&Ross, qui se dévore comme un roman, le cas de l’ambassadeur William J. Sebald, qui avait été au Japon avec MacArthur, occupe tout un chapitre : celui d’un homme blessé, berné par son administration qui ne lui a a jamais avoué avoir des espions au sein même de son ambassade, et qui s’opposait tous les jours au général birman Ne Win, qui lui savait pertinemment qui étaient les gens de la CIA ! Ces derniers apportaient leur soutien direct aux 12 000 soldats de Tchang- Kaï-Chek réfugiés en Birmanie, mais le seul à ne pas le savoir était l’ambassadeur. Quand ils quittèrent le pays en 1961, ils laissèrent derrière eux des centaines de caisses d’armement. Toutes estampillées « Aide Américaine » ! Ne Win, entre temps, avait fait un coup d’état le 2 mars 1962 et était devenu chef du pays… Depuis, tous les ambassadeurs sont devenus les principaux pourvoyeurs d’emploi pour la CIA… Sebald aura au moins servi à quelque chose, le pauvre. Et Ne Win inauguré une dictature qui perdure.t cela a duré et continué des années, dans le monde entier. Aussi, quand le président Bush a choisi en 2001 Andrew Natsios comme le coordinateur spécial de l’aide humanitaire au Soudan, cela n’a étonné personne. Un vétéran de la guerre du golfe, qui a fini lieutenant colonel de réserve à la tête de la plus grande agence humanitaire, c’est un peu le colonel Bigeard à la tête de Médecins sans Frontières ! L’auteur de « U.S. Foreign Policy and the Four Horsemen of the Apocalypse », (livre dans lequel il se montre CONTRE l’ingérence des états dans l’humanitaire !) ancien militaire avec 23 années passées dans la réserve, s’est chargé, à partir de 2005, de la reconstruction de l’irak avec un zèle tout particulier, dont nous avons décrit ici même en détail les ratages, les omissions et les détournements de fonds. Un fiasco manifeste, une gabegie monumentale et un mépris rare des populations : voilà le vrai bilan d’USAID dans ce pays. Comme nous le rappelions alors : « L’agence Usaid publie régulièrement un bulletin, Iraq reconstruction weekly update, qui voit dans la reconstruction de l’Irak une suite sans fin de projets extraordinaires, de miracles qui améliorent la vie des citoyens, lesquels seraient pénétrés d’admiration et de gratitude. Le ministère de la défense américain et les organismes associés éditent des rapports dithyrambiques sur les immenses progrès accomplis » nous disait le monde diplomatique en avril 2007 sous la plume de Joy Gordon, qui dénonçait la duplicité de l’organisme humanitaire et les dégâts des marchés conclus à la hâte sous le titre significatif de « En Irak, la reconstruction aussi est un échec ».

Quand à l’éthique même, au sein de USAID, parlons-en. En avril 2007, le grand ponte de l’organisation, Randall Tobias, à la tête de toutes les interventions humanitaires américaines à l’étranger,  « Director of U.S. Foreign Assistance and U.S. Agency for International Development Administrator » démissionne avec éclat. Il prend la porte, contraint et forcé : il faisait partie des clients de D.C. Madam, de son vrai nom Deborah Jane Palfrey , le surnom de la call-girl qui vient alors de dénoncer tout le gratin de Washington, et qu’on retrouvera pendue au fond du garage de sa mère un peu plus d’un an après. Pour beaucoup d’observateurs, un cadavre de plus à mettre dans le placard de la famille Bush. Notre directeur de l’humanitaire avait reconnu utiliser les services de masseuses, des prostituées de « Pamela Martin and Associates escort service »fournies par D.C.Madam… et Palfrey avait commencé à parler, révélant comme second client un autre très gros poisson : « Palfrey recently made good on her threat to identify high-profile clients, listing in court documents a military strategist known for his « shock and awe » combat theories. » Tout le monde y avait reconnu Harlan Ullman, un des membres éminent du Center for Strategic and International Studies, et théoricien reconnu de l’attaque sur l’Irak. Ironie du sort, au moment même ou Tobias avait recours à des prostituées, USAID s’était engagé dans une grande campagne contre l’esclavage humain qu’est la prostitution… « The estimated $8 billion a year generated worldwide by the trafficking of humans are the tainted profits of « a most egregious form of slavery, » affirmait alors Kent Hill, un des responsables des questions de santé chez USAID… en ignorant que son propre patron recourait à ce traffic ! Une autre dirigeante d’USAID, Lynn Sauls, ajoutant sans vergogne : « human trafficking is the world’s third most lucrative illegal commercial activity, following trade in narcotics and weapons »... sans le savoir, elle venait de définir les trois activités principales de la CIA… Prostitution, drogue et traffic d’armes, le lot est complet.

Il est de notoriété publique et historique que derrière l’aide humanitaire d’USAID se sont toujours cachés des espions de la CIA. Quand ce n’était pas dans les « Peace Corps » du beau frère de Kennedy… leur fonction n’a pas vraiment changé depuis 1961... Un Mike Connel informaticien et prosélyte de la religion catholique, en vrai illuminé, revendiqué « Chevalier de Christophe Colomb », jouant les humanitaires en Amérique centrale, offrant des christs en bois aux plus démunis, tout en sabotant en même temps les ordinateurs chargés du décompte électoral en Ohio est symptomatique de cette duplicité fondamentale et de ce mélange individuel, sans foi ni loi véritables. Nous avions évoqué dans Agoravox ce curieux et inquiétant mélange des genres. On pensait que la guerre froide finie, le concept disparaitraît. Loin s’en faut, et un événement symptomatique de cette imbrication forte entre humanitaire et militaires est apparue de façon flagrante il y a quelques mois, lors de la crise georgienne. Les moyens employés par les américains pour surveiller discrètement l’adversaire de toujours n’ont pas beaucoup changé en effet depuis le temps de la guerre froide. On l’a vu lors du conflit Georgien, ou plus exactement après ce conflit. Le président Saakatchvili ayant tiré sur la fibre « mon pays a été dévasté, je réclame de l’aide humanitaire », en allant même jusqu’à parfois trafiquer les photos (un photographe plus curieux que les autres avait remarqué que les morts présentés par Saakatchvili s’accrochaient aux manches de ceux qui venaient relever leurs corps !), ce sont évidemment les américains qui ont répondu en premier. En envoyant force colis de nourriture et des couvertures pour les plus démunis, (ou des serviettes hygiéniques provenant des surplus de vente des magasins US) En réalité pour les habitants des maisons ravagées aussi par les tirs deGrad israëliens de l’armée géorgienne. Le conflit à peine achevé, les georgiens ont donc vu débarquer USAID à Batoumi. Un organisme rodé, organisé, efficace. A l’américaine, dira-t-on, avec des photographes au bon endroit, surtout. « The right time, the right place ».

Des colis descendant d’un premier navire, un garde-côtes, le Cutter Dallas, spécialisé dans la drogue, plutôt rassurant pour la population (qui ignorait sa fonction principale), puis d’un second de guerre, l’USS McFaul, tous deux venus de Crêtepuis d’un troisième, toujours militaire. Des colis humanitaires descendant d’une corvette ou d’un garde-côtes, pourquoi pas. C’est quand le navire suivant les deux premiers a accosté que l’on a compris le principe. Oh, certes, le show humanitaire avec les cartons bien estampillés USAID étaient bien présents. L’accueil enthousiaste d’une maigre assistance munie de drapeaux énormes aussi. On sait au moins à quoi servent les personnels de l’ambassade américaine. Mais ils descendaient cette fois du USS Mount Whitney, ces colis, un vaisseau en provenance d’Italie. Malgré l’imposant nombre de bateaux porte-containers pré-positionnés ou les accords passés avec les société maritimes comme Maersk, les Etats-Unis envoyaient quand même là-bas le Mount Whitney ! Le vaisseur amiral de la 6eme flotte, celui du commandant de l’Otan, un vrai poste avancé de communication et de brouillage ! Un bateau lié à l’Otan, que voudrait tant rejoindre la Georgie de Saakatchvili. Le Mount Whitney, l’un des engins les plus élaborés au monde question écoute et renseignement, bardé d’antennes et de coupoles de réception et de transmission, le voilà qui déboule, lui, à Poti ! Avec comme premier homme à monter à bord le ministre de la défense géorgien, David Kezerashvili (démis depuis !) ! C’était bien entendu une véritable provocation… signée en fait de l’inénarrable Dick Cheney :  « The arrival of the USS Mount Whitney, flagship of the 6th Fleet in the Mediterranean, came as Moscow accused Dick Cheney, the hawkish US Vice-President, of stoking tensions during a visit to Tbilisi this week. After meeting President Saakashvili, Mr Cheney vowed to bring Georgia into the Nato alliance. » Les russes peuvent facilement se moquer, remarquez, en demandant à la presse mondiale d’où vont sortir les caisses d’aide de première urgence d’un bateau bourré d’équipements ayant si peu de cales internes de vides… alors que la Navy possède les 38 porte-containers décrits dans les épisodes précédents, à sa disposition immédiate dans le monde…

Sur les vidéos, c’est encore une fois les cartons d’USAID qu’on distingue… et pas les antennes du Mount Whitney !. Les bouteilles d’eau sont déballées sur les quais par des marins américains, les cartons passent de main en main devant les objectifs, et quelques jours plus tard, un député républicain du Tenessee, Bob Cork, distribue même les cartons de nourriture à Gori, dans les locaux… d’USAID. A l’autre bout de l’Europe, à Seckenheim, le 3rd Battalion of the 405th Army Field Support Brigade (AFSB) prépare lui aussi les colis d’USAID et les arrime sur les palettes  destinées à remplir le vieux DC-9 cargo de la base. 700 palettes, 130 tonnes au total, envoyées via également les énormes C-17. A Ramstein, on remplit à ras bord les C-130 sous le regard (déjà ?) de Joe Biden, et sous le regard des militaires dépêchés sur place. On peut alors faire la photo à encadrer de trois personnes rayonnantes : à gauche Saakatchvili, à droite Cheney… au milieu un représentant d’US AID. Tout sourire. Car il est vrai que tout ira mieux désormais en Georgie grâce à USAID… Les georgiens vivront mieux désormais, c’est évident : dans les cartons de USAID… du maïs transgénique. De quoi assurer un « futur brillant au pays  »  : « A Brighter Future Pioneered with Hybrid Corn Seed » titre le magazine de propagande d’USAID. Ou comment rendre les autres pays dépendants d’une forme de pensée et de vie, ou comment en faire des clones des américains. Ou comment rendre la Georgie dépendante. Au Kenya, c’est Monsanto qui se retrouve promotionné par USAID. En fait, via USAID, les USA apportent aux défavorisés des produits bannis partout ailleurs


L’hégémonie économique, doublée d’un empoisonnement général ? Un autre rêve de domination mondiale, présenté et emballé avec un joli nœud autour, appellée « aide humanitaire » ? On pensait que seules les armes apportaient la mort. Les pirates de Somalie, qui la défient tous les jours et n’ont que peu de choses à gagner ou peu d’années à vivre, nous montrent aussi que les armes ne sont pas les seules responsables. Il y a des aides humanitaires qui ressemblent à des condamnations, dans certains pays.

Poster un commentaire

Classé dans Stéphane Bouleaux

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s