Yan Barcelo – 9 mai 2009
Le jugement moral est-il acquis, appris, conditionné, comme le veut une philosophie relativiste prédominante? Un exemple entre mille : un commentateur dans ce site écrivait il y a quelques semaines au sujet du jugement moral : « En PNL (programmation neuro-linguistique), ceci est expliqué par votre conditionnement qui, lui, est affecté autant par l’environnement que par vos propres décisions. C’est votre machine subconsciente qui vous amènera à choisir une option plutôt qu’une autre, jusqu’au moment où votre conscience viendra vérifier le tout rationnellement (cette partie est plus ou moins forte chez certains et cela se développe) ».
Il ne fait pas de doute qu’on peut conditionner des comportements, tout particulièrement chez les enfants, pour faire en sorte qu’ils soient socialement acceptables. À partir de ces apprentissages, on peut ensuite « moralement » contrôler la personne en créant chez elle la honte si elle enfreint les normes. Le processus est simple : en outrepassant les limites du code accepté, code qu’elle prétendait accepter elle-même, on peut stigmatiser son acte et susciter chez elle la honte.
Mais cette honte est-elle « morale »? On peut en douter. C’est plutôt le simple fait de se sentir amenuisé dans les yeux d’autrui parce qu’on a fait la preuve qu’on n’était pas à la mesure de ce qu’on prétendait soutenir.
La vraie mesure du geste a-moral, ou immoral, n’est pas la honte (bien qu’il puisse très légitimement en faire partie), mais le remords. Le remords est une morsure d’un autre type dont l’origine apparaît inexplicable sur la base d’une pensée relativiste.
Prenons un exemple concret : un cas que j’affectionne tout particulièrement, celui de Vincent Lacroix, le financier qui a appauvri ses investisseurs de 128 M$. Devant les objectifs des caméras, on peut croire que Lacroix ressentait une certaine honte, mais c’était la honte d’avoir été pincé, la honte de se faire découvrir comme un petit voleur sans envergure alors qu’il se voyait sans doute comme un prince du monde de la finance. Rien là de très moral.
La vraie question morale est de savoir si Lacroix a ressenti du remords. Il n’en a rien manifesté – et c’est bien une raison pourquoi l’opinion publique s’est tant indignée. Mais dans ses draps aux petites heures du matin, Vincent Lacroix a-t-il ressenti du remords? À n’en pas douter, il a eu des regrets, et il a dû se maudire en revoyant toutes les erreurs et les négligences qui ont mené à sa capture. Mais a-t-il ressenti du remords? Si oui, en quoi cette morsure du remords se distingue-t-elle de celle des regrets?
Le regret, et dans une grande mesure la honte, ne concernent que nous même. On s’est fait retirer un bien dont on voulait continuer de jouir (argent, réputation, affection, etc.) et on s’en veut d’avoir échoué à les préserver. Le remords est tourné vers autrui : sa morsure tient à la détresse qu’on ressent d’avoir causé du tort et de la détresse chez un autre. C’est un peu comme si une chair commune, mais invisible, nous liait indissolublement à autrui. C’est la conscience dont, nous dit-on, on entend la voix, ou le murmure. Le geste non-moral, ou carrément immoral, crée une meurtrissure dans cette chair et le remords est la douleur très particulière par laquelle nous ressentons cette blessure.
Le remords est la rétribution intérieure ressentie après qu’un geste offensant a été commis et il est le signe d’une conscience morale encore saine. Mais il y a une morsure qu’on ressent avant même de commettre un geste offensant : c’est la voix de la conscience. Mais une telle expression n’est pas tout-à-fidèle à l’expérience intérieure de la conscience. Ce n’est pas une voix, mais plutôt une sensation insaisissable de dissonance, un malaise qui suscite des émotions de révulsion quand l’image ou l’idée du geste qu’on veut commettre apparaît à l’esprit.
Le remords est donc le témoignage le plus intime et vrai du jugement moral. On peut se façonner des codes moraux tant qu’on voudra – et il est important qu’on le fasse –, mais la vraie mesure morale est la voix de la conscience qu’un individu ressent plus ou moins. Les codes moraux, ou les codes éthiques, sont importants, d’autant plus qu’ils doivent inspirer nos lois, mais ils ne peuvent opérer qu’après coup, une fois que le mal d’un geste mauvais est fait.