(N.B. Demain, 18 mai, l’article de Pierre JC Allard, « Cette mocheté de démocratie ! » ne sera publié qu’à 12 h 00 (midi) EST, 16 h 00 GMT)
Yan Barcelo – 17 mai 2009
Le véritable impératif moral est de faire en sorte qu’il y ait un contrôle avant le geste, dans le malaise de la conscience. Car le jugement moral authentique s’effectue dans le silence et l’anonymat intérieur. Prenons l’exemple d’une personne qui serait en mesure de faire du tort à une autre et de nuire à son avancement dans une organisation en disant des choses mensongères à son endroit. Il est à peu près certain que sa médisance ne sera jamais repérée et qu’elle pourra en tirer profit sans que personne ne soupçonne jamais rien.
Deux choses peuvent retenir son geste. Au premier niveau, elle pourra avoir peur d’être repérée quand même et dénoncée. Cette peur n’a pas grand chose à voir avec la morale – quoiqu’il puisse s’agir d’un embryon de jugement moral. En réalité, il s’agit de la simple « peur de la loi », plus exactement, de la peur de la rétribution de la loi. C’est un mécanisme de contrôle très puissant et il est certain qu’il exerce un frein sur les mauvaises dispositions de beaucoup de gens.
Mais supposons qu’il est à peu près certain que notre malfaiteur ne sera jamais dévoilé. Si la peur de la loi ne retient pas son geste, qu’est-ce qui peut le faire? La voix de la conscience.
Or, revenons à notre première question pour la reformuler. La voix de la conscience – et, partant, la morale – est-elle simplement le résultat d’un conditionnement, d’un entraînement plus ou moins bien réussi? Ou fait-elle partie de façon intrinsèque de la condition humaine? En anglais, on dirait qu’elle est hard wired, voulant dire qu’elle fait partie du tissu spirituel même de l’humain.
Si on souscrit à la première proposition, on dit en quelque sorte qu’il n’y a pas de base à la morale. Qu’elle est simplement une convention qui varie d’une société à l’autre, d’un pays à l’autre, et que rien, au fond, n’est ni vraiment bon, ni vraiment mauvais. Tout dépend du point de vue. Alors, de deux choses l’une.
1) On ne se préoccupe tout simplement pas de morale et tout le concert social devient un simple jeu de chat et de souris entre n’importe quel malfaiteur potentiel et la loi. Implicitement, un tel constat nous dit que la société se divise en deux camps : d’un côté, les lapins et les poltrons qui se protègent et se barricadent derrière les remparts de la loi; de l’autre, les prédateurs et les audacieux, qui sont prêts à faire ce qu’il faut pour tirer leur épingle du jeu.
2) On se préoccupe de morale, mais alors le question-clé devient celle du contrôle. Quel genre de conditionnement peut-on mettre en place pour assurer qu’on enferme le plus de gens possible dans l’enclos des lapins? Évidemment, ceux qui ont le plus avantage à se poser cette question sont les prédateurs. Une telle logique nous mène ultimement à une société de type totalitaire.
On pourra objecter que l’idée d’un fondement de la conscience morale mène encore plus sûrement à un modèle de société fasciste et ses mécanismes de contrôle des consciences. Dans une grande mesure, c’est ce que la société chrétienne du Moyen-Âge a tenté de faire, et après cela la société soviétique – qui n’était finalement qu’une variante athée du catholicisme.
Mais c’est faux. Si la conscience morale est légitime et fondée, elle ne saurait être fabriquée, structurée ou conditionnée de quelque façon que ce soit. Elle est une loi naturelle et spontanée de la condition humaine en soi. Et c’est à partir de cette position inconditionnée qu’on peut dénoncer toutes les tentatives de manipulation et de mensonge, toutes les tentatives d’établir des fausses vertus. Par exemple, une grande partie de l’ancien code catéchitique du catholicisme était de cette fausse nature. On a créé dans plusieurs cas de pures conventions morales au nom desquelles on pouvait certainement donner honte aux gens, mais pas susciter leur remords. Or, une conscience authentique est la condition au nom de laquelle on peut justifier la désobéissance civile, par exemple, ou justifier un geste légitime et nécessaire qui peut sembler inacceptable aux yeux de la loi ou des conventions morales.
Cependant, si on ne peut pas conditionner la conscience morale, si elle est au-delà de toute transformation extérieure, on peut entraîner quelqu’un, ou s’entraîner soi-même, à y être plus réceptif. En bref, ce que la conscience dit ne peut pas être appris; sa voix d’origine est pure et non frelatée. Toutefois, on peut apprendre à mieux l’écouter et mieux lui obéir. Et c’est ici qu’on peut souhaiter un discours général et une philosophie sociale propices à l’éducation morale.