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De l’épineuse question « morale » (3 de 4)

Yan Barcelo – 24 mai 2009

La philosophie sociale prédominante est loin – très loin! – de favoriser l’éducation morale. On peut supposer qu’une éducation morale privilégierait le devoir, la responsabilité et le sens de la retenue individuelle. Mais on entend plus souvent parler de revendication de droits et d’acquis. Partout on nous serine qu’il faut gratifier son désir, savoir prendre son plaisir en première priorité et se payer du bon temps. Pas étonnant que Vincent Lacroix cherche par n’importe quel moyen à se payer toutes les Rolls Royce et les manoirs de ses rêves.

 Une certaine éducation morale supposerait qu’on stigmatiserait et qu’on interdirait même la vente de jeux vidéos dont le propos de violence et la laideur sont franchement obscènes. Mais on défend la diffusion de tels poisons on nom de la « liberté individuelle », qu’il s’agisse de celle de la compagnie qui distribue le poison ou de l’adolescent qui est « accro » de la chose. Pas étonnant que Kimveer Gill se paye quelques victimes au bout d’un fusil-mitrailleur au collège Dawson.

 La voix de la conscience n’est pas tonitruante. Elle est persistante et indélébile, certes, mais elle tient davantage du chuchotement que du cri. Or, une grande partie du paysage intellectuel contribue à nous rendre sourd à ce chuchotement. Il nous fournit une foule d’arguments factices nous incitant à conclure que, bof!, ce murmure persistant n’est que la manifestation de vieux scrupules et de vieux conditionnements surannés qu’il vaut mieux jeter aux orties. Bref, notre contexte idéologique issu du relativisme œuvre contre l’éducation morale.

 Le problème est lié à une carence fondamentale qui tient d’une ablation métaphysique. Une majorité des gens serait d’accord, je crois, pour dire que la conscience morale est une donnée de base universelle. C’est-à-dire que les véritables impératifs moraux sont les mêmes pour tous les humains qu’ils vivent au Québec, au Japon ou au Kamchatka.

 Cependant, il nous manque un point d’ancrage auquel amarrer une telle proposition. Ce point d’ancrage, on ne peut le trouver que dans la trame invisible de la vie, dans sa face métaphysique. La vie, le monde, l’univers ont-ils ultimement un sens? Y a-t-il un propos à la vie humaine qui échappe aux réalisations de ce monde (avoir une carrière, se marier, faire fortune, se faire applaudir sur une scène, etc.), qui les dépasse, tout en les « instruisant » et en leur donnant le sens d’un accomplissement bon ou mauvais.

 Bref, les gestes bons ou mauvais, moraux ou répréhensibles qu’on pose comptent-ils dans un destin invisible et inconnu de l’âme. C’est LA question philosophique, métaphysique, religieuse que toutes les grandes traditions spirituelles ont posée. Le geste malveillant que je pose se trouve-t-il inscrit quelque part dans un quelconque grand registre universel? Si c’est le cas, devrai-je en rendre compte et « payer pour »? Selon la réponse qu’on donne à cette question, on détermine la fondation même sur laquelle une vie humaine se pose.

 Bien des gens de bonne volonté disent que ces questions d’ordre métaphysique ne changent rien à la validité de la question morale. Ils reconnaissent en toute bonne foi la légitimité et l’universalité de l’impératif moral. Mais ils insistent pour dire que ça ne tient en aucune façon à un quelconque crédo métaphysique. Leur position pourrait être résumée ainsi : l’être humain est mû par une contrainte au bien, cette contrainte est inhérente à la condition humaine, et ça suffit.

 Et ils ont raison dans une grande mesure. Ils ont raison au plan de l’action humaine. On peut être moral… et en rester là. Ne pas chercher à justifier, ou ancrer ou fonder le jugement moral dans un quelconque « au-delà » métaphysique.

 Mais au plan philosophique (plus exactement : au plan intellectuel), c’est nettement insuffisant. Il faut donner une réponse à la question du sens ultime de la vie. La vie et tout son lot de souffrances, de peines, de défaites, de déroutes, de faux pas, mais aussi ses joies, son combat, ses accomplissements, tout cela a-t-il un sens? Ou tout s’arrête-t-il à la tombe? Évidemment, de telles questions peuvent s’avérer inconfortables, et une stratégie pour traiter de ce qui est inconfortable est de tout simplement ne pas y penser. Chez certains, toutefois, l’inconfort augmente en intensité plus ils approchent de la tombe et vient un moment où ils ne peuvent plus différer.

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