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De l’épineuse question « morale » (4 de 4)

Yan Barcelo, 30 mai 2009

Toutes les grandes métaphysiques du monde, qu’il s’agisse des métaphysiques philosophiques d’un Platon ou d’un Aristote, ou des métaphysiques spirituelles de l’hindouisme, du bouddhisme ou du christianisme, on affirmé que cette vie si brève n’était pas en vain. Qu’après la mort, il y avait « quelque chose » qui perdurait quel que soit le nom qu’on donne à ce « quelque chose », âme, atman ou précipitation karmique.

Bien sûr le bouddhisme, avec sa doctrine de « l’anatman » ne souscrit pas à la notion d’une âme substantielle qui perdure vie après vie. Mais même cette « religion » et son phénoménisme radical sont obligés de reconnaître qu’il y a un ensemble insaisissable de nœuds karmiques qui se transportent d’incarnation en incarnation; les fautes passées doivent être expiées et purgées jusqu’à ce que la conscience individuelle se résorbe dans la conscience nirvanique.

C’est évidemment une stratégie pédagogique qui vise à inciter les gens à mener ici même et dès maintenant la vie la plus exemplaire possible. Le christianisme adopte une autre position pédagogique : tout sera expié et purgé après une seule incarnation dans un après-monde. Conséquence : vaut mieux mener la vie la plus vertueuse et exemplaire ici et maintenant. Pour la simple raison que les choses qu’on fait ici et maintenant portent à conséquence… plus tard.

Laissez faire la question de savoir que l’univers, les galaxies et tout le tralala ont un sens ultime, que tout cela soit le fruit ou non d’un « dessein intelligent ». Certes les grandes spiritualités ont toutes répondu par l’affirmative à cette question. Mais la question-clé et absolument urgente qu’elles posent est de savoir si l’âme a un destin cosmique, si elle est engagée dans un chemin inconnu et indéchiffrable vers la lumière, la vérité et l’accomplissement  – ou vers l’ombre. Si c’est le cas – et c’est le cas, disent-elles – alors la moralité des actions qu’on pose compte, et elle compte de façon incontournable. Quelque part dans la mémoire cosmique s’accumulent les points de mérite et de démérite de chacun des conducteurs de vie que nous sommes.

Or, qu’en est-il de la question morale si tout s’arrête à la tombe? Si la vie a été en vain? Si les gestes malveillants ou bienveillants qu’on a posés ne veulent rien dire, ne comptent pas? Une morale est-elle alors justifiée? Je ne le crois pas. Car la morale est essentiellement un frein que la conscience pose sur toutes les tendances malveillantes ou malfaisantes qui résident fort nombreuses dans le cœur humain.

On peut dire, comme le proposent les adeptes d’une morale strictement laïque, que la moralité est un donné de base, qu’on ne peut y échapper, que la moralité n’a rien à voir avec le fait qu’on croit à ou non à un après-monde, et qu’il dépend de nous de déterminer ce qu’elle sera. Mais l’argument ne marche pas. Si ont raison les a-métaphysiciens qui nient la question du sens, qui disent que tout est le fait de l’aléatoire et du hasard, alors pourquoi se priver? Pourquoi exercer quel que frein que ce soit sur notre désir? Pourquoi ne pas se gaver? Pourquoi ne pas s’enrichir à n’en plus savoir que faire? Et s’il le faut, pourquoi ne pas piquer dans la poche du voisin pour le faire ou, au besoin, lui piler dessus?

Ce discours a-métaphysique de l’aléatoire, du non-sens cosmique, est omniprésent dans notre société. Pour s’en convaincre, il suffit désormais de regarder sur les panneaux d’autobus et c’est maintenant écrit en toutes lettres : « Dieu n’existe pas, alors cessez de vous en faire et profitez de la vie ». La formule est un peu crue et courte, mais ô combien révélatrice. On peut faire l’hypothèse que les auteurs de cette campagne saugrenue sont des personnes passablement morales et qu’elles sont bien intentionnées à l’endroit de leur prochain – bref, qu’elles sont foncièrement morales. Mais leur invitation à « profiter de la vie » porte une charge implicite troublante. Il justifie également ceux qui ne se contentent pas de « profiter de la vie » et qui s’affairent aussi à « profiter d’autrui ».

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