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SIDA de civilisation – Les arts 1/4

Yan Barcelo – 6 juin 2009

L’année 2009 marque d’un magistral non-anniversaire : le centenaire de l’acte fondateur de la musique « contemporaine » dont toute la furie dissonnante a traversé le XXe siècle. Pourquoi parler d’un non-anniversaire? Parce qu’il marque l’échec radical du pari que représente à la fois cette musique et les innombrables courants de l’art contemporain.

En musique, la situation est devenue franchement ridicule : nous sommes réduits au statut de nécrophiles de la musique. Dans les salles de concert, on assène régulièrement l’auditoire avec une pièce « contemporaine » et on s’assure de le faire en première partie. Si on le faisait en fin de concert, les trois quarts de l’auditoire déguerpiraient. L’équation est simple : les compositeurs qui inspirent les auditeurs et les rendent vivants sont morts il y a plus de 100 ans. Les compositeurs vivants donnent à tout le monde l’envie de mourir.  

Mythe et réalité

On pourrait relever une foule de moments où l’acte de naissance de la musique contemporaine a été signé, qu’il s’agisse des glissements harmoniques perpétuels de Wagner, des petites excustions non-tonales de Liszt, des neuvièmes et onzièmes non résolues de Debussy, des couches polytonales de Mahler et Strauss.

Mais 1909 a vu la production de deux œuvres qui, par leurs explorations atonales, ont tout fait chavirer. Il s’agit d’Erwartung, d’Arnold Schoenberg, et des Six pièces pour orchestre, du disciple du précédent, Anton Webern. La brisure avec la tradition harmonique et mélodique était ici consommée, même si Schoenberg n’allait pas composer systématiquement avant une douzaine d’années selon sa théorie dodécaphonique où toute tonalité était définitivement abolie, les douze tons de la gamme étant traités sur un pied d’égalité.

Après Schoenberg, ce fut le tohu-bohu, les écoles, sectes, révolutions et contre-révolutions se multipliant à l’infini : sérialisme, musique concrète, musique aléatoire, néo-sérialisme, alouette. Elles ont ceci en commun : presque personne ne les écoute. Demandez au mélomane moyen s’il connaît trois noms de la musique contemporaine et, plus probablement, il ne pourra en nommer un seul. Et pour cause. Aucun compositeur de musique sérieuse contemporaine n’a atteint à une renommée serait-elle un tantinet populaire. Aucun! Il n’en était pourtant pas ainsi auparavant. Beethoven à son époque était une idole et, à sa mort, son cortège funéraire comptait plus de 100 000 admirateurs.

Poussez plus loin l’expérience avec notre mélomane moyen. Si, par un hasard incroyable, il connaît quelques noms de compositeurs, demandez-lui combien de fois au cours de la dernière décennie il a fait jouer un disque de la musique d’un tel compositeur. Dans 99,9% des cas, sa réponse sera : jamais. J’ai fait cette expérience même auprès de gens qui se déclarent de fervents admirateurs de la musique contemporaine. Dans presque tous les cas, aucun ne faisait jouer chez lui cette musique. Bach, Beethoven, Debussy, souvent; Berio, Varèse, Webern, jamais.

Les défenseurs de cette musique, comme de tout l’art contemporain, ne cessent de ressasser une proposition. Plusieurs grands artistes du passé, disent-ils, ont été méconnus de leur temps et ce n’est qu’après leur mort qu’ils ont atteint à la renommée. Ce n’est qu’une question de temps avant que les « grands noms » de la musique contemporaine émergent à leur tour. C’est un pur mythe, pour ne pas dire un mensonge.

Tout d’abord, la très grande majorité des musiciens du passé ont été encensés de leur vivant, qu’il s’agisse de Palestrina, de Vivaldi, de Bach, de Beethoven, de Rossini ou de Brahms. Certes Mozart a été enterré dans une fosse commune, mais il n’est certainement pas mort inconnu. Et bien sûr Schubert n’a pas atteint à la reconnaissance, mais il faut dire que sa courte vie de 31 ans ne lui en a guère donné le temps.

Toute cette mythologie est née autour de quelques artistes « maudits » de la fin du XIXe siècle, comme Rimbaud et van Gogh. Là encore, pour le premier, il s’agit comme Schubert d’un génie précoce qui, en interrompant toute écriture à la fin de l’adolescence, n’a guère donné la chance au public de le découvrir. Et pour un van Gogh demeuré obscur jusqu’à sa mort il y a une brochette de ses contemporains comme Renoir, Monet, Sisley qui ont connu la fortune et, dans le cas de Monet, sont devenus des légendes vivantes.

Mais voici plus de cent ans qu’on attend l’émergence d’un « grand nom » de la musique du XXe siècle qui connaîtrait quelque notoriété auprès du public mélomane. Les choses traînent un peu, n’est-ce pas? Le nom de Vincent van Gogh n’a certainement pas attendu si longtemps pour refaire surface, celui de Rimbaud non plus.

Oui, oui, des noms comme Berg, Varèse, Boulez ou Stockhausen ont cours dans des petites coteries qui gravitent dans les grandes villes autour d’un quelconque orchestre spécialisé en musique contemporaine, mais il s’agit de chapelles très restreintes dont aucune des idoles n’a atteint ne serait-ce qu’un centième de la stature des derniers grands noms de la musique classique comme Ravel, Mahler ou Sibelius. Et il vaut la peine de noter que les seules œuvres du XXe siècle qui ont acquis la cote auprès d’un public élargi, comme l’Adagio de Barber, le Concerto d’Aranjuez de Rodrigo, ou Carmina Burana de Carl Orff, sont les œuvres d’artistes qui se rattachent à l’esthétique classique.

On peut donc conclure à l’échec de toute l’entreprise. Il est grand temps de fermer le chapitre et de passer à autre chose. Les monstres qui ont vu le jour dans les laboratoires de ces compositeurs, davantage des blouses blanches du son que des compositeurs, n’ont jamais eu la force de vivre au grand air. Ils sont nés grâce au système absurde de bourses décernées entre pairs et, sans cette injection artificielle de fonds, ils ne survivraient pas. Fermons le laboratoire.

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