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En attendant la prochaine crise…

Yan Barcelo – 14 juin 2009

Un vent d’optimisme souffle sur les économistes, nous dit-on, faute de souffler sur les économies elles-mêmes. Il reste qu’on pourrait assister à une embellie dans les marchés financiers qui, si tout va bien, pourrait s’étendre jusqu’à l’économie réelle. Mais il est à peu près certain que le mauvais temps va revenir, car rien n’a vraiment changé sur le fond.

Le premier agent de la crise en cours a été la surenchère de crédit dans le système financier. Le deuxième agent, qui oeuvrait dans l’ombre et entretenait systématiquement les pertes, était l’engin « invisible » des produits financiers dérivés échangés gré à gré (over the counter). L’excès de crédit a été résorbé dans une certaine mesure grâce aux injections d’argent massives des gouvernements. Mais l’engin des dérivés, lui, n’a presque pas été entamé. Or, cet engin est, en soi, producteur d’endettement.

Selon les dernières compilations de la Banque des Règlements Internationaux (BRI), à la fin de 2008, la somme notionnelle de l’ensemble des dérivés sur la planète avait reculé à 591 billions $US après avoir atteint un sommet de 684 billions en juin 2008, avant le gros de la crise. En fait, le niveau de juin 2008 était tout à fait comparable à celui d’un an auparavant puisque le total notionnel s’élevait déjà à 595 billions en décembre 2007. C’est dire que le monde occulte des dérivés a essuyé un recul guère convaincant de 13,5 % à la fin de 2008, un pourcentage qui se vérifie dans la majorité des catégories de dérivés (swaps, contrats sur devises, swaps sur défaillance, produits structurés). Un si léger recul est d’autant moins convaincant que nous venions de souffrir à l’automne l’essentiel de la tempête boursière.

Il reste à voir comment les chiffres s’aligneront dans la prochaine compilation de la BRI, en juin 2009. Tout nous porte à croire que le déclin sera léger puisque les transactions de dérivés vont bon train à nouveau sur les marchés.

Donc, peu de choses ont changé jusqu’ici. Les banques vont mieux parce que le cataplasme des gouvernements tient en place. Mais sous les bandages, on peut se demander si la chair ne continue pas à se gangrener. Certes, on peut croire que les banques auront appris quelques leçons de prudence, mais sera-ce de longue durée? On peut en douter. Après tout, en leur sauvant la peau et en ne leur demandant de rendre aucun compte, les gouvernements les ont en quelque sorte récompensés de leur mauvaise conduite. Et aucune commission d’enquête n’a été mise sur pied, aucun blâme à l’endroit d’institutions ou d’individus n’a été porté. Le slogan d’Obama devra être corrigé : yes we can’t!

De plus, il ne s’est strictement rien passé jusqu’ici au plan réglementaire. Et on peut prévoir qu’avec Larry Sumner et Timothy Geithner aux commandes du côté américain et Gordon Brown du côté britannique, les changements vont être plus superficiels que subtantiels.

Le constat jusqu’ici : un rafistolage, dont la complaisance est parfaitement scandaleuse, qui fait l’affaire pour l’instant. La question est : pour combien de temps? Bien malin celui qui pourra le dire. Le système des institutions financières anglo-saxonnes nous a fait la démonstration jusqu’ici qu’il a une capacité phénoménale de fuite en avant. C’est ce qu’il faisait avant la crise et c’est exactement ce qu’a fait la « solution » appliquée à la crise : tout sur la carte de crédit!

Donc, avis aux épargnants et aux boursicoteurs : soyez extrêmement prudents. Oui, aventurez-vous à nouveau dans les marchés car la reprise pourrait se poursuivre quelque temps encore. Mais soyez aux aguets et toujours prêts à rentrer la tête dans votre carapace. Oui, nous avons une embellie, mais jusqu’à preuve du contraire, le fond de l’air demeure très orageux.

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