La « nouvelle » Grande Dépression

Yan Barcelo – 20 juin 2009

La dépression économique actuelle calque la courbe descendante de la Grande Dépression de 1929. C’est ce que démontrent avec beaucoup de conviction deux historiens économiques américains dans un article percutant paru le 4 juin dernier (A Tale of Two Depressions, http://www.voxeu.org/index.php?q=node/3421).

Entre temps, tous les pouvoirs officiels s’obstinent à coiffer notre dépression actuelle de l’euphémisme, « récession ». La raison tient en grande partie au fait que la plupart des études sont centrées sur les États-Unis. Par exemple, Paul Krugman, récent gagnant du Nobel de l’économie, signait un article où il concluait avec ironie que nous n’avons qu’une demi-Dépression à la 1929.

Mais Krugman n’analyse que des chiffres américains. Eichengreen et O’Rourke, respectivement de l’Uniniversité de Californie à Berkeley et de Trinity College, à Dublin, appuient leur étude sur les chiffres issus d’une vingtaine d’économies les plus importantes. Leur constat est simple : la planète est en dépression, autant qu’elle pouvait l’être en 1929. En fait, le choc cette fois-ci est plus grand parce qu’il se produit à l’intérieur d’une période plus courte.

Il vaut la peine de consulter le site indiqué plus haut pour voir les graphiques que produisent les deux universitaires. Tous, sauf un, montrent une évolution aussi négative, ou plus négative encore, qu’en 1929.

Par exemple, en établissant le début de la dépression actuelle à avril 2008, et la précédente à juin 1929, ils constatent que la production mondiale a chuté autant durant la première année de l’actuelle dépression qu’elle ne l’a fait en 1929. Les graphiques sont pires pour le commerce mondial et les bourses de la planète. En 2008, le commerce a chuté de 15% en seulement 9 mois, ce qu’il avait pris 21 mois à faire en 1929.

Les bourses se sont contractées avec plus de violence encore. Après seulement 9 mois, elles avaient perdu 60% de leur valeur, ce qu’elles ont mis 24 mois à faire en 1929. Une différence notable : en 1929, la chute boursière a été presque continue, sans rebond notable. Depuis mars dernier, les bourses ont marqué une reprise d’environ 40%. Mais il est loin d’être certain que ça va tenir…

Il y a seulement une donnée cruciale absente de l’étude des deux universitaires : le chômage. Il faut dire qu’on ne dispose pas de chiffres pour la période de 1929, seulement d’approximations. Par exemple, on calcule qu’au plus creux de la dépression aux États-Unis, en 1933, soit quatre ans après le début, le pays souffrait d’un taux de chômage de 25%. Cette fois, après un an, il est autour de la barre des 9,5%, en baisse constante…

La grande différence entre cette crise et la précédente tient à la réponse des autorités financières et des gouvernements. En 1929, les banques centrales ont mis 24 mois à retrancher 100 points de base (ou un point de pourcentage) à leur taux directeur, le faisant passer de 5,5% à 4,5%. Cette fois, il n’a fallu que 12 mois avant qu’on l’aplatisse de 200 points de base, soit d’environ 3% à environ 1%. Évidemment, à ce niveau plancher, les taux sont en fait négatifs et rendent inefficace tout recours ultérieur à cet instrument.

Par ailleurs, un chose dont les deux auteurs ne parleront que dans un papier à venir, la réponse des gouvernements a été massive comparé à 1929, les injections d’argent dans l’appareil bancaire et dans l’économie s’élevant dans les 4 billions de dollars. Ces interventions sauveront-elles la mise? Chacun a sa petite opinion là-dessus. La mienne est très-très sceptique.

Tout d’abord, la bouée de sauvetage lancée aux banques a plus les allures d’une récompense en forme de gros jujube. Jusqu’à nouvel ordre – c’est-à-dire jusqu’à ce qu’on resserre l’étau réglementaire, ce qui va prendre une douzaine de mois encore – ce jujube ne change rien. On l’a vu avec les derniers résultats bancaires, toujours aussi scandaleux : leurs profits ne sont pas le fruit d’activités bancaires saines et légitimes, mais de manœuvres spéculatives du même genre que celles qui les a coulées il y a un an. La crise, de ce côté, n’a strictement rien changé – ce qui était à prévoir. Quant aux injections dans l’appareil économique, cela reste à voir.

Jusqu’ici, cette dépression fait ressortir deux superbes mensonges. D’abord, la mondialisation ne protège en rien les économies, comme nous le serinent depuis deux décennies les chantres de cette idéologie. La fameuse loi protectionniste Smoot-Hawley de 1930, qu’on tient responsable en grande partie de la précipitation économique à l’époque, n’est une cause de rien. Elle est simplement un épisode parmi d’autres dans une interminable enlisement de l’appareil de production.

Surtout, la crise actuelle révèle de plus en plus le mensonge du dollar qui, de toute évidence, ne vaut plus rien. C’est la cheville essentielle de la situation actuelle. Tant que la fiction du dollar américain va tenir – et elle peut tenir encore longtemps du fait qu’elle demeure la seule monnaie d’échange international – les choses vont demeurer à peu près intactes. Si un jour survient où les pays créditeurs des Etats-Unis ne voudront plus soutenir l’endettement américain et acheter leurs Treasuries dont la valeur est maintenant totalement fictive, la hausse en catastrophe du taux directeur de la Réserve Fédérale va tout jeter par terre.

Est-ce inévitable?

Zé lé sais pas, mé zé lé pense. 

 

6 Commentaires

Classé dans Actualité, Yan Barcelo

6 réponses à “La « nouvelle » Grande Dépression

  1. Voyons! M. Barcelo… La reprise est dans quelques mois… C’est ce que disent les médias…
    Dire qu’on rit des apparitions de la vierge Marie sur une planche à repasser – un fait divers.
    Ce qui me rappelle un bon vieux film: «Le père Noël est une ordure.
    Il vole les cadeaux aux enfants maintenant…
    C’est l’envers des rêves d’enfants.
    Tant qu’on croira à la fiction, on peut toujours vivre un bon moment de fiction…
    Puis voilà la file de «preachers» avec leurs phrases toutes faites… «confiance aux investisseurs»… Etc…

  2. James

    Ces interventions sauveront-elles la mise? Chacun a sa petite opinion là-dessus. La mienne est très-très sceptique.

    Je partage votre scepticisme M. Barcelo. Je pense que nos médias et faiseurs d’opinion mettent trop d’espoir dans l’intervention monétaire. A lire aussi sur cette question:

    http://www.safehaven.com/article-13365.htm

  3. PYL

    Bonjour à tous,

    Non seulement faut-il assister à ce spectacle désolant, qu’il faut en plus y participer. C’est ce qui me fâche le plus.

    Si je ne suis pas satisfait de ma sécheuse, j’ai le pouvoir de la changer. Si je ne suis pas satisfait des banques, j’ai le pouvoir de…?

    Malgré tout, nous n’avons d’autres choix que de confier nos actifs à ce ce système qui les utilise contre nous, système qui tente de se redresser pour se sauver lui-même à notre détriment. Nous avons abandonné depuis longtemps le concept d’avoir du contrôle sur la machine en acceptant le confort qu’elle a le pouvoir de nous procurer, si on lui est fidèle, même dans ses mauvais moments. On assiste aux incohérences en les acceptant (malgré que l’on se fasse du bien à les critiquer) parce c’est admis, dans le néo-libéralisme, que l’incohérence, la corruption, l’inégalité… amène certains avantages que l’on ne voudrait pas perdre.

    Donc, à la lumière de l’article de Mr Barcelo et à la lumière des révélations scandaleuses, déguisées en plan d’intervention, qui sont devenues monnaies courantes dans les médias, qu’est-il possible de faire en tant que particulier? À quand l’alternative aux banques?

    C’est ce qui me fâche le plus: d’avoir les mains menottées et de me féliciter d’avoir un peu de jeu dedans.

  4. Fern

    Monsieur Barcelo

    Vous avez raison car les médias réguliers sont devenus des MONOPOLES regroupés par quelques propriétaires et qui leurs font dire ce qu’ils veulent.
    Actuellement, on essaie de nous faire ACCROIRE que la crise achève et va se régler d’ici un an ou deux; le BUT de tout ceci est d’endormir le peuple pour que les gens consomment le plus possible et s’endettent au MAXIMUM.
    Un bon matin, le crédit va disparaître et les institutions prêteuses vont réclamer leurs dûs en saisisant les biens de ses gens, autos, maisons, etc.
    A ce moment ce sera VRAIMENT la famine en plus des maladies ARTIFICIELLES , comme la grippe H1N1 qui ravagera la population comme la grippe espagnole.
    Les prix à la consommation augmenteront extrêmement afin que les pauvres ne puissent pas s’en procurer et doivent vivre en itinérants et en hors – la – loi.
    Des révolutions et des armées clandestines feront leurs apparitions dans les pays industrialisés, en amérique et en Europe.

  5. ysengrimus

    Crise de 2009, oh tout un rendez-vous rate.

    http://ysengrimus.wordpress.com/2009/04/15/renflouer-l%E2%80%99%C2%ABeconomie%C2%BB-ou-simplement%E2%80%A6-maintenir-l%E2%80%99accapareur-prive-en-selle/

    Il faut observer attentivement toute cette affaire de renflouage..
    Paul Laurendeau

  6. C’est bien ce qui se passe, Yan. Très bon portrait. La chute du système est en moyenne deux plus rapide que durant la Grande Dépression.

    La banque centrale privée des États-Unis (oui, oui, géré par des banquiers privés qui ont le pouvoir de créer de l’argent ex-nihilo) a doublé la masse monétaire en un an. La dette nationale a aussi doublée.

    Les marchés boursiers sont manipulés à fond. Les fausses « pousses vertes » de l’économie sont de la poudre aux yeux pour attirer les petits joueurs avant de s’effondre à des niveaux encore plus bas.

    Et ça commence. On apprend ici sur Bloomberg que les gros joueurs se retirent massivement du marché. Attention.

    Insiders Exit Shares at the Fastest Pace in Two Years

    Les Américains ont perdu pour $1.3 trillion en valeur durant le premier quart de 2009:

    Americans’ wealth drops $1.3 trillion

    La Fed a des engagements et doit « emprunter » $13.9 trillions pour « sauver » l’économie. (Il s’agit en fait d’un vol en plein jour, un transfert historique d’argent public vers des poches privées, une fraude sans nom)

    Non, je ne pense pas que nous avons vu ni la fin, ni le pire de cette crise encore.

    Sans parler du marché des produits dérivés, une bulle de plusieurs centaines de trillions de dollars qui n’a pas encore réellement éclatée.

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