Archives quotidiennes : 5 juillet 2009

SIDA de civilisation – les arts (3 de 5)

Une machinerie idéologique a perpétué la comédie de l’art contemporain. On nous a fait croire que son avènement était logique et inévitable. C’est un argument que Schoenberg servait à son public, par exemple, et qui a été repris indéfiniment depuis. Foutaise! L’évolution de la littérature en est le plus éclatant démenti. Prenez n’importe quelle œuvre de Maurice Druon ou de Rohinton Mistry et vous découvrirez qu’ils empruntent sensiblement le même vocabulaire, la même syntaxe, la même grammaire, les mêmes thèmes que Victor Hugo, Shakespeare ou Dante. Pourtant, à travers ce matériau commun, ils introduisent mille inflexions qui font de leurs œuvres une production indéniablement actuelle et moderne.

Il est évident qu’il est possible de faire de même en musique ou en peinture. Par exemple, il y a moyen d’utiliser les mêmes matériaux harmoniques, contrapuntiques et mélodiques de Mozart, Liszt ou Wagner et d’en faire une production aux accents modernes et actuels. Une partie de la musique de cinéma en fait la preuve régulièrement. Malheureusement, cette musique est au service d’une trame filmique qui l’empêche le plus souvent de se déployer pleinement, ce qui en fait malheureusement un art relativement mineur. Mais s’il est un lieu où la musique belle et inspirante subsiste, c’est bien au cinéma. 

Là où la littérature a évolué dans une même voie que celle des autres arts, c’est par le choix de ses thèmes. Plusieurs auteurs ont entraîné leurs lecteurs dans les mondes de la laideur, de la dépression, du non-sens. Mais ils l’ont fait au moins en utilisant le matériau du langage commun. La musique, la peinture, la sculpture en tentant de façon dérisoire de tout réinventer leur langage ne nous ont donné que le bizarre, l’horreur et le désarroi.

Faut-il faire une croix sur tout la production du dernier siècle? Certes non. Pour dessiner un argument, cet essai use de propositions extrêmes. Mais il est indéniable qu’aux plans rythmique, orchestral et structural, plusieurs avancées des écoles contemporaines sont marquantes et précieuses.

Cependant, il résulte une conséquence navrante de l’expérience artistique des 100 dernières années. En s’enfermant dans un formalisme stérile et orgueilleux, les praticiens de l’art contemporain ont instauré un divorce insurmontable entre art sérieux et art populaire. L’art sérieux s’est interdit les moyens de parler à un public élargi, obligeant les amateurs d’art à se réfugier dans les produits du passé, en somme à devenir malgré eux des nécrophiles artistiques. En musique, par exemple, nous consommons et re-consommons la 2 367e interprétation de la cinquième symphonie de Beethoven. En peinture, puisque nous ne pouvons pas nous payer les originaux de Manet et Monet, nous multiplions les affiches reproduisant ces chefs d’œuvre.

Cela entraîne un état de fait malheureux : en même temps que notre nécrophilie des œuvres du passé, nous avons développé une idôlatrie de l’interprète. Ce n’est plus tant la 5è symphonie de Beethoven qui compte, mais cette 2 367e interprétation du maestro untel. 

Est-il donc illusoire d’anticiper le jour où nous irons à la salle de concert, non pas pour entendre la 2 368e interprétation de la cinquième de Beethoven, mais pour faire la découverte de la dernière création d’un compositeur contemporain dont nous serions susceptibles de comprendre et d’aimer le langage et ce qu’il nous dit?

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Classé dans Actualité, Yan Barcelo