SIDA de civilisation – les arts (3 de 5)

Une machinerie idéologique a perpétué la comédie de l’art contemporain. On nous a fait croire que son avènement était logique et inévitable. C’est un argument que Schoenberg servait à son public, par exemple, et qui a été repris indéfiniment depuis. Foutaise! L’évolution de la littérature en est le plus éclatant démenti. Prenez n’importe quelle œuvre de Maurice Druon ou de Rohinton Mistry et vous découvrirez qu’ils empruntent sensiblement le même vocabulaire, la même syntaxe, la même grammaire, les mêmes thèmes que Victor Hugo, Shakespeare ou Dante. Pourtant, à travers ce matériau commun, ils introduisent mille inflexions qui font de leurs œuvres une production indéniablement actuelle et moderne.

Il est évident qu’il est possible de faire de même en musique ou en peinture. Par exemple, il y a moyen d’utiliser les mêmes matériaux harmoniques, contrapuntiques et mélodiques de Mozart, Liszt ou Wagner et d’en faire une production aux accents modernes et actuels. Une partie de la musique de cinéma en fait la preuve régulièrement. Malheureusement, cette musique est au service d’une trame filmique qui l’empêche le plus souvent de se déployer pleinement, ce qui en fait malheureusement un art relativement mineur. Mais s’il est un lieu où la musique belle et inspirante subsiste, c’est bien au cinéma. 

Là où la littérature a évolué dans une même voie que celle des autres arts, c’est par le choix de ses thèmes. Plusieurs auteurs ont entraîné leurs lecteurs dans les mondes de la laideur, de la dépression, du non-sens. Mais ils l’ont fait au moins en utilisant le matériau du langage commun. La musique, la peinture, la sculpture en tentant de façon dérisoire de tout réinventer leur langage ne nous ont donné que le bizarre, l’horreur et le désarroi.

Faut-il faire une croix sur tout la production du dernier siècle? Certes non. Pour dessiner un argument, cet essai use de propositions extrêmes. Mais il est indéniable qu’aux plans rythmique, orchestral et structural, plusieurs avancées des écoles contemporaines sont marquantes et précieuses.

Cependant, il résulte une conséquence navrante de l’expérience artistique des 100 dernières années. En s’enfermant dans un formalisme stérile et orgueilleux, les praticiens de l’art contemporain ont instauré un divorce insurmontable entre art sérieux et art populaire. L’art sérieux s’est interdit les moyens de parler à un public élargi, obligeant les amateurs d’art à se réfugier dans les produits du passé, en somme à devenir malgré eux des nécrophiles artistiques. En musique, par exemple, nous consommons et re-consommons la 2 367e interprétation de la cinquième symphonie de Beethoven. En peinture, puisque nous ne pouvons pas nous payer les originaux de Manet et Monet, nous multiplions les affiches reproduisant ces chefs d’œuvre.

Cela entraîne un état de fait malheureux : en même temps que notre nécrophilie des œuvres du passé, nous avons développé une idôlatrie de l’interprète. Ce n’est plus tant la 5è symphonie de Beethoven qui compte, mais cette 2 367e interprétation du maestro untel. 

Est-il donc illusoire d’anticiper le jour où nous irons à la salle de concert, non pas pour entendre la 2 368e interprétation de la cinquième de Beethoven, mais pour faire la découverte de la dernière création d’un compositeur contemporain dont nous serions susceptibles de comprendre et d’aimer le langage et ce qu’il nous dit?

17 Commentaires

Classé dans Actualité, Yan Barcelo

17 réponses à “SIDA de civilisation – les arts (3 de 5)

  1. rteewry

    horace

  2. La plus grande partie de mes études, je l’ai passée à pratiquer et à penser l’art contemporain. Donc, ce que je pense profondément, c’est que ce billet aurait pu tenir dans une simple phrase : je n’aime pas l’art contemporain. Vous avez tout à fait le droit, d’ailleurs. Mais j’aurais aimé me faire ébranler dans mes convictions.

    Pour aimer l’art contemporain, il faut commencer par comprendre que l’artiste est un obsédé qui ne veut que matérialiser ses fantasmes. Il faut donc plus être voyeur que spectateur.

  3. ysengrimus

    La beauté de l’art, comme la beauté des femmes et des hommes, peut difficilement se soumettre au genre de criterium externe et factuel que vous invoquez. La sagesse du crapaud de Voltaire ne peut pas se laisser ainsi si ouvertement oublier…

    http://ysengrimus.wordpress.com/2008/08/06/sur-la-beaute-feminine-mes-vues-sont-celles-du-crapaud-de-voltaire/

    Il devient aussi difficile de vous suivre que de suivre quiconque prétendant construire une esthetique intégralement non-subjective…
    Paul Laurendeau

  4. Garamond

    C’est au théatre que j’ai le plus de misère: pourquoi monter une 457e version de l’Avare de Molière ????
    En 2009 ! N’y a-t-il pas rien d’autre d’intéressant à monter ?
    Pour la musique, je comprends mieux; il ne s’est rien fait de vraiment écoutable depuis 1920….
    Quant à la peinture, tout a été fait. On regarde ce qu’on aime et, un peu comme le théatre, je dois avouer que je n’ai rien vu de fantastique créé récemment. Je me cantonne dans les œuvres créées entre 1500 et 1900.
    Tous les goûts sont dans la nature, non ?

  5. yanbarcelo

    @Renart L’éveillé
    À la fin de votre commentaire, vous avez mis le doigt sur le bobo sans le savoir. Vous proposez que l’artiste est un obsédé qui poursuit ses fantasmes et qu’il nous faut, devant lui, être voyeur plutôt que spectateur.
    Voilà la déchéance où nous sommes réduits, de croire que l’art n’est qu’une sorte de défoulement, une éructation plus ou moins formalisée de fantasmes subjectifs. Une telle vision de l’art ne convient certainement pas à la production d’un Shakespeare, d’un Mozart, d’un Michel-Ange. Cette réduction de l’art à l’hyper-subjectivité est justement une manifestation de notre SIDA culturel dont j’entends traiter dans une de mes prochaines chroniques.
    Et si vous croyez vraiment que tout mon discours se réduit au simple fait « que je n’aime pas l’art contemporain », alors vous arrachez le plancher sous toute discussion possible et vous cantonnez vos interlocuteurs — moi et tous les autres — au solipsisme d’un relativisme le plus entier. Bien sûr, c’est une position prévalente aujourd’hui, et c’est malheureux.

    @ysengrimus
    Dire que je propose une esthétique non-subjective est faux. Il serait plus juste de parler d’esthétique inter-subjective, ce qui est la facon plus juste de parler d’objectivité. Or, le problème de l’art contemporain est de s’être réfugié dans une subjectivité excessive, pour ne pas dire un solipsisme autistique.

    @Garamond
    Heureux de voir que nous partageons une même déception. Quoique, au théâtre, on voit surgir de temps à autre une bonne pièce qui parle un langage large et accessible. En musique, c’est à toutes fins pratiques le désert. Je me faisais justement la réflexion plus tôt aujourd’hui qu’au cinéma, on prend pour acquis qu’on se rend dans une salle pour voir un NOUVEAU film, pas pour visionner pour la 56e fois un quelconque chef d’oeuvre. Pourquoi ne pourrait-il pas en être un tant soit peu ainsi dans les autres arts?

  6. Yan Barcello,

    « À la fin de votre commentaire, vous avez mis le doigt sur le bobo sans le savoir. »

    c’est facultatif… J’ai déjà convaincu positivement quelqu’un de reconsidérer son opinion sur l’art contemporain avec ces métaphores. Ça ouvre un peu la porte ou ça la scelle totalement, c’est selon.

    Votre billet est une insulte à mon intelligence, dans le sens où le fait que je sois amateur d’art contemporain me rende suspect, que tout ce que j’ai appris, compris et aime est une imposture et que je suis stupide de ne pas m’en rendre compte… Pas très agréable comme sensation.

    Je dis que vous auriez pu seulement écrire que vous n’aimez pas l’art contemporain (et j’ajouterais par nostalgie) parce que je ne vois réellement pas d’arguments qui dépassent le goût personnel.

    L’art est un langage. Ce n’est pas parce que vous ne comprenez pas le chinois que la culture qui en découle n’est pas valable.

    Pourtant, j’aime bien l’idée du SIDA, mais où sont les ravages, à part constater que nous ne sommes plus sous le règne artistique des Shakespeare, Mozart et Michel-Ange?

  7. Et j’aimerais ajouter que votre comparaison du début avec la littérature ne tient pas la route. Si un écrivain écrit « daskonh opsadbckll kjdch kmdaoadlm juikooxcc », on ne comprend rien, si un peintre peint un carré blanc sur un fond blanc, il y a tout un monde.

  8. yanbarcelo

    @Renart L’éveillé
    Il est malheureux que vous puissiez accueillir mes propos comme une insulte à votre intelligence, car je ne doute pas que vous soyiez un homme intelligent. Il est inévitable qu’en attaquant tout le pan de l’art contemporain, il y ait des gens qui se sentent jugés négativement. Pourtant, je connais quelques personnes de grande valeur qui se disent amateurs d’art contemporain et ce goût chez eux ne les dévalorise pas nécessairement à mes yeux.
    Toutefois, l’envers de cet argument est bien plus insultant encore. Voici un siècle qu’on insulte l’intelligence d’une très grande majorité d’amateurs d’art en leur laissant entendre qu’ils sont stupides de ne pas comprendre l’art contemporain et de ne pas y souscrire. Or, cette insulte entretenue par une toute petite « élite » à l’endroit d’une majorité tient d’un terrorisme intellectuel contre lequel je me dresse.
    Si, comme vous le dites, le fait d’aimer l’art contemporain ou l’art classique n’est qu’affaire de goût, il est grandement temps que cesse cette tyrannie des goûts d’une clique sur les goûts d’une majorité. Cette tyrannie s’est inscrite aujourd’hui dans toutes les institutions culturelles, qu’il s’agisse d’orchestres symphoniques, d’écoles, de radios d’État, de chaires universitaires, et quoi encore, pour perpétuer ce qui est devenu une piètre comédie de la « révolution institutionnalisée ». Il est temps que ça cesse, il est temps qu’on arrête de puiser dans les goussets publics pour entretenir et grassement subventionner le « sale goût » d’une minorité au détriment du « sale goût » d’une majorité.
    Enfin, vous dites que parce que je ne comprends pas le chinois, cela ne veut pas dire que la culture qui en découle n’est pas valable. L’argument paraît habile au premier coup d’œil, mais il est fallacieux. Plus de 1,3 milliard de chinois parlent le chinois et ont développé une culture à laquelle n’importe qui peut s’abreuver dans sa propre langue s’il s’en donne un peu la peine. L’art contemporain est un langage hermétique, souvent inventé de toute pièce par un seul individu, qu’il est seul à parler et à comprendre. Je ne vois pas en quoi il pourrait découler de cela une quelconque valeur culturelle. Est-ce pour dire qu’il n’y a là aucune valeur culturelle? Non. Mais il est certainement mensonger et grossièrement prétentieux de dire que cet inventeur et le petit nombre de ceux qui souscrivent à son « langage » sont les détenteurs privilégiés de la vraie culture d’aujourd’hui.
    Quant à votre dernier argument au sujet d’un carré blanc sur fond blanc, il n’est certainement pas dénué d’intérêt et je dois reconnaître que je suis le premier à aimer certaines œuvres issues du cubisme ou du surréalisme ou de certaines écoles modernes. Par exemple, les taches de couleur d’un Zao Wou Ki, récemment mis en vedette au Musée de Québec, ont quelque chose pour me plaire par leur qualité « hyper-impressionniste », pourrait-on dire. On perçoit là un esprit très distingué et raffiné. Mais il faut dire que Zao Wou Ki est un disciple de la valeur cardinale de l’art : la beauté. Une valeur largement piétinée par l’art contemporain et dont j’entends traiter dans une prochaine chronique. Toutefois, pour le dire en quelques mots, de là à déclarer dans ce « blanc sur blanc » auquel vous référez, un sommet de l’art et ensuite voir un musée acheter une telle croûte 3, 5 ou 10 millions $, il y a un très-très grand pas que je ne suis pas prêt à faire.

  9. Je ne crois pas qu’il faille mélanger le débat sur l’art contemporain et celui au sujet de sa subvention. Cela donne un petit fumet réactionnaire.

    Et quand vous parlez de majorité et de minorité, il faut se rendre à l’évidence que nous parlons seulement de minorité. Que ce soit d’art contemporain ou d’art classique, il y a rarement attroupement tout court quand il s’agit d’art visuel… Alors, passons pour ce qui est « d’un terrorisme intellectuel », il n’y a de toute façon que l’argent pour bien mener la barque. Si l’argent était dans les poches des gens sensibles à l’art, nous serions dans un tout autre monde.

    Mais il me vient une question. Mis à part les peintres du dimanche qui sont attachés à une certaine tradition, le génie en moins, y a-t-il des peintres qui s’adonnent à l’art classique comme il y a des musiciens classiques? Je ne crois pas. Pourquoi? Parce qu’il n’y a pas de marché pour ça : la musique rejoint pratiquement tout le monde, pas l’art visuel. Et parce que les artistes actuels ne souhaitent pas répéter les démarches et gestes des anciens. Mais pourquoi se battre pour un art mort?

    « L’art contemporain est un langage hermétique, souvent inventé de toute pièce par un seul individu, qu’il est seul à parler et à comprendre. Je ne vois pas en quoi il pourrait découler de cela une quelconque valeur culturelle. Est-ce pour dire qu’il n’y a là aucune valeur culturelle? Non. Mais il est certainement mensonger et grossièrement prétentieux de dire que cet inventeur et le petit nombre de ceux qui souscrivent à son « langage » sont les détenteurs privilégiés de la vraie culture d’aujourd’hui. »

    C’est habile de défaire mon argument en réduisant le langage à une invention de chaque artiste. Pourtant, nous avons là une belle démonstration que l’art contemporain est en phase avec l’histoire, dans nos sociétés de plus en plus plurielles où chacun trouve son compte. Mais pourquoi ne pas simplement vous perdre dans vos contemplations d’un autre temps et laisser le dynamisme des artistes actuels trouver preneurs où l’enthousiasme se trouve?

    Je vis peut-être dans un autre monde, mais les seuls « artistes » qui semblent lésés actuellement par cette « ignominie » culturelle sont justement les peintres susnommés du dimanche. Pourtant, leurs croûtes meublent majoritairement les murs des maisons, enfin celles des propriétaires capables de se payer des originaux. Comment se plaindre le ventre plein…

  10. yanbarcelo

    @Renart L’éveillé
    Je ne comprends pas ce que vous tentez de dire dans le passage suivant. Pourriez-vous l’expliquer.
    « Mais il me vient une question. Mis à part les peintres du dimanche qui sont attachés à une certaine tradition, le génie en moins, y a-t-il des peintres qui s’adonnent à l’art classique comme il y a des musiciens classiques? Je ne crois pas. Pourquoi? Parce qu’il n’y a pas de marché pour ça : la musique rejoint pratiquement tout le monde, pas l’art visuel. »

    Évidemment, les gens qui aiment la musique « classique » sont une minorité, à peine 5% de la population. Il n’empêche qu’en nombre absolu, ils représentent un groupe assez significatif. La station CJPX de Jean-Pierre Coaillier compte environ 450 000 auditeurs. Et je vous assure que vous n’y entendrez pas une seule oeuvre de Boulez, de Varèse ou de Stockhausen. M. Coaillier perdrait son auditoire du jour au lendemain. Est-il impossible de penser que, pour cet auditoire qui ne demande pas mieux que de goûter d’autre musique sérieuse, il soit possible de composer une musique qui leur sera accessible et qu’ils seront susceptibles d’aimer?

    Vous me faites dire que chaque artiste invente son langage. C’est le cas d’un Boulez ou d’un Stockhausen, mais pas d’un Mozart ou d’un Brahms qui, eux, adoptent le langage musical commun. Or, s’il faut voir dans cette invention solipsiste « une belle démonstration que l’art contemporain est en phase avec l’histoire, dans nos sociétés de plus en plus plurielles où chacun trouve son compte », alors vous confirmez en quelque sorte mon propos. Chacun est dans son coin, un peu comme un enfant autistique recroquevillé sur lui-même, sans souci d’entrer en lien avec son prochain. C’est un syndrome justement de notre SIDA de civilisation.

  11. Explication : la musique, de par sa popularité, se décline en de multiples formes, mouvements bien encadrés, tandis que pour l’art visuel ça se résume plus facilement (même si l’art contemporain est aussi multiple, pour ceux qui s’y connaissent). Pour ce qui est de l’art visuel, il y a les peintres du dimanche, et de l’autre côté l’art contemporain. Même un artiste qui aurait comme démarche de peindre comme on peignait avant les impressionnistes serait classé dans l’art contemporain, cela va de soi. Mais je ne crois pas en un retour généralisé du genre. Quoique plus possible du côté musical, étant donné tous les musiciens classiques et le système autour. Mais bon, tout votre discours ne m’apparaît que comme une nostalgie maladive, qui ne se concentre qu’à vouloir couper les pieds à la créativité. La créativité qui elle est bien contraire à l’emprisonnement dans lequel vous essayez de la contraindre.

    Est-il impossible de penser que, pour cet auditoire qui ne demande pas mieux que de goûter d’autre musique sérieuse, il soit possible de composer une musique qui leur sera accessible et qu’ils seront susceptibles d’aimer?

    Voilà une question assez absurde. Il faudrait bien aller manipuler quelques gênes d’enfants à naître pour vous donner des compositeurs qui vous siéront… C’est tellement représentatif de ce qui cloche dans votre raisonnement, comme si les artistes étaient contraints d’approfondir leur art dans un sens qui ne vous convient pas! Je comprends votre déception, mais il me semble y avoir un petit relent de conspirationnisme ou je me goure complètement?

    Chacun est dans son coin, un peu comme un enfant autistique recroquevillé sur lui-même, sans souci d’entrer en lien avec son prochain.

    Belle manière de détourner mon propos à votre avantage… J’aime et je comprends (peut-être seulement à ma manière parfois) les oeuvres de beaucoup d’artistes contemporains, tout comme plein d’autres personnes. Je n’ai pas de statistiques, mais disons qu’il y a aussi 5% de gens amateurs d’art contemporain (je parle bien sûr d’art visuel). Pourquoi ce 5%-là serait-il moins « significatif » que celui des amateurs de musique classique?

    Aussi, pourquoi ai-je toujours l’impression que tout votre manège consiste seulement à hyper intellectualiser votre dégoût pour lui donner du lustre?

  12. yanbarcelo

    @Renart L’éveillé
    Si vous croyez que mon propos n’est que « nostalgie maladive » pour un temps révolu, de trois choses l’une: ou je n’ai pas réussi à me faire comprendre; ou vous ne vous rappelez pas mes propos dans les chroniques précédentes; ou vous êtes de mauvaise foi.
    Or, je veux bien croire que vous n’êtes pas de mauvaise foi. Je vais donc reprendre brièvement. En littérature -le seul art qui ait préservé son lien avec le langage commun – on compte nombre d’écrivains de grand talent, ou de génie même – le temps nous dira! – qui sont aimés et appréciés d’un large public et dont les oeuvres ne sont pas réservées à un cénacle d’initiés. Et leur adhésion au langage commun n’entrave en aucune facon leur créativité.

    Je dis simplement qu’il pourrait très bien en être ainsi dans les autres arts, tout particulièrement en musique. Il y aurait moyen d’avoir recours au langage commun de l’harmonie, de la mélodie et du contrepoint, tout en faisant appel aux ressources de la dissonnance (mais sans systématiser cette dernière dans une mécanique dodécaphonique, sérielle ou autre), et tout cela sans entraver le moindrement la créativité des compositeurs.

    Dans ce tableau, la peinture fait probablement figure d’exception. Après tout, depuis l’avènement de la photographie et du cinéma, il est difficile de tenter de défendre un réalisme à la Canaletto! Mais de là à passer aux « installations », « montages » et « happening » qui sévissent présentement dans le monde des arts visuels, il y a un grand pas que je ne suis pas près de franchir.

    En fait, en renversant votre argument encore une fois, je dirais que l’académisme actuel de « la révolution et de la cacophonie perpétuelles » sont un formidable frein à la créativité. Un compositeur ou un artiste qui ne veut pas donner dans cet académisme en privilégiant le langage commun est immédiatement considéré comme un passéiste ou un rétrograde et – croyez-moi, il n’a droit à aucune subvention. Pourtant, il y a nombre d’excellents compositeurs qui se rattachent au langage commun, mais ils n’ont pas voix au chapitre: ni subvention, ni concert, ni diffusion radiophonique. Le groupe québécois des Mélodistes est tout-à-fait représentatif de cet état de fait, où on trouve des compositeurs de grand calibre comme Rachelle Laurin et Antoine Ouellet. (Je me range moi-même parmi ces gens, bien que je n’appartienne pas à leur regroupement).

    Finalement, la conséquence de tout ceci, c’est que nous nous retrouvons avec un monde artistique totalement schizophrénique. D’un côté, on trouve les « écoles » ésotériques contemporaines qui ne rejoignent qu’un infime minorité (pas même 2% ou 3% du 5% de la population qui apprécie les arts), et un « art populaire » qui tient essentiellement du divertissement et de la sentimentalité. Entre les deux: rien. Excepté les monstres sacrés du passé (Beethoven, par exemple, dont le catalogue des symphonies et des sonates, dans leur 2367e interprétation, commence à sentir le réchauffé). Dans cet entre-deux, il y a un no man’s land où tentent tant bien que survivre nombre d’artistes « traditionnalistes », mais ils n’ont pas voix au chapitre. Le nouvel académisme et tout son arsenal idéologique s’assure d’étouffer leurs voix…

  13. Je comprends tout à fait, mais je suis majoritairement en désaccord. Ce avec quoi je suis d’accord, c’est avec votre désir de voir des démarches différentes (que vous appréciez) obtenir autant de subventions que les autres, ou simplement en avoir la possibilité. Mais pas besoin pour ça de démoniser les pratiques artistiques que vous ne portez pas dans votre coeur. Ceci est mon point final, car vous ne réussirez jamais à me faire gober votre SIDA-machin-chouette.

    Bonne journée.

  14. yanbarcelo

    @renartléveillé
    Correction: je ne démonise pas l’art contemporain. Je dis tout simplement que son impérialisme idéologique sur tout le monde des arts doit être démantibulé. Si la place idéologique qu’occupe ce cénacle exclusif était à l’image de son poids démographique réel, il me laisserait totalement indifférent. Mais voilà, ce n’est pas le cas. Il prend TOUTE la place. Et comme c’est presque toujours le cas dans les combats idéologiques, ce n’est qu’en déconstruisant et en démantibulant l’imperium actuel qu’il sera possible de construire sur de nouvelles bases.

    Par ailleurs, si vous avez repéré dans nos échanges que cet impérialisme est une situation dont j’ai souffert personnellement, vous avez raison. Mais ce serait une erreur de croire que ma charge intellectuelle est seulement le fait d’un ressentiment individuel. Car bien avant que je n’entreprenne la composition musicale, j’avais maille à partir avec le cénacle contemporain.

    Enfin, je vous remercie pour l’échange auquel vous vous êtes prêté avec moi. Vous m’avez donné l’occasion de nuancer ma pensée et de prendre en compte certaines données que j’avais négligé. Encore merci.

  15. Le dialogue a toujours du bon, effectivement. À une prochaine fois.

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