Archives quotidiennes : 9 juillet 2009

Michael Jackson: le contrat des «dieux»

God is a concept by which we

measure our mind.

John Lennon

Au bout du compte, il aura été un enfant prodige et une bête de cirque; un phénomène intrigant et inquiétant, arrivé abruptement au bout d’une vie impossible à laquelle «aucun simple mortel ne peut résister» – il s’agit d’une strophe de Thriller. Mario Roy, La Presse

L’ère des  cirques médiatiques

Dans Google, en ce juin 2009, il y a 12 millions de recherches pour  Michael Jackson.

On encense son œuvre, on lui écrit des lettres d’amour, on fait une évaluation de ce phénomène  en l’autopsiant  et en le plaçant sur une balance : l’homme d’un côté, l’artiste de l’autre. Nous sommes aussi tiraillés que l’artiste.

Ce mutilé de l’âme et du corps entre dans l’Histoire.

Au début du siècle dernier, il y avait la femme à barbe dans les spectacles  nommés freak shows.

Les Freak shows  ont été très populaires aux États-Unis aux alentours de  1840 jusqu’ aux années 1970, et sont souvent, mais pas toujours, associés à des cirques et des carnavals. Certains shows  exhibaient également  des déformations animales  (comme les vaches à deux têtes,  les porcs d’un seul œil, les chèvres à quatre cornes) … ou des bébés déformés. Freakshow Wiki

Michael Jackson est   le produit d’un pays disproportionné … La démesure étasunienne et son grand «show» dans le monde : armée,  cinéma, richesses,  entertainment,  a accouché de  ce  génie  encensé,  et à la morale douteuse :

Arrêté le 20 novembre 2003, libéré aussitôt grâce à une caution de trois millions de dollars, le grand admirateur de Peter Pan («Je suis Peter Pan», aime rappeler la vedette qui, comme le personnage de James Barrie, refuse de grandir) est notamment accusé d’agression sexuelle sur un jeune garçon hispanique, à qui il manque un rein et la rate. Âgé aujourd’hui de 15 ans, il était en rémission d’un cancer au moment des faits. Antoine Char,Le Devoir

Un être «parfait» :Non-fumeur, non-buveur, végétarien, et amateur de grandes causes humaines.

Son grand défaut : une soif inextinguible de devenir quelqu’un sans savoir qui était ce quelqu’un… Autant du corps que de l’âme : il modifie sans cesse son apparence, cultive les mystères pour dissimuler ou  raccommoder les  déchirures  d’une personnalité déroutante, déséquilibrée, sous un amas de couvertures intrigantes, aux limites de la compréhension.  On ne peut plus comprendre … Il ne reste plus qu’à accepter ou à rejeter.

Il ne reste plus qu’à aimer ou à haïr.

Mais il y a aussi cette facette de sacrifié humain-dieu pour les apprentis dieux.

Dans cette ère matérialiste, les dieux sont terrestres…

Un Star Académie à l’échelle mondiale. Ses funérailles : 10 ans de couverture si on compte les heures d’antenne… Moins qu’Obama devenant président des Etats-Unis.

Le «teenage idol»

L’expression «teenage idol» est apparue au début des années 60, cultivée par une masse de magazines pour les jeunes idolâtrant les chanteurs et chanteuses. Magazines embellissant  ces vies de stars et leur bonheur souvent  fictif. Car, comme tous les humains, ils souffraient également. Joplin, Presley, Hendrix, etc. Les idoles se consument, et les apprentis-dieux consomment des idoles…

La façade importait et importe toujours.

Le rêve se vendait… Et il se vend encore plus. Depuis une cinquantaine d’années, le phénomène s’est amplifié.

L’adulateur est souvent plus vieux que son idole…

La société et ses totems au Botox

Cet artiste  s’est sculpté dans un totem représentant toutes les facettes de la vie actuelle avec ses déchiquetures, ses différences camouflées, dans un monument musical, mais aussi dans une image en «restauration continue». C’est  à  se demander s’il n’est pas l’échantillon  inconscient d’une  société  en mal d’être, incapable de vivre une vie intérieure harmonieuse, elle-même fissurée de partout. Instable, elle est également en «restauration continue», suturant ses blessures,  entre autres,  en consommant de ces totems «vivants»…

D’où la course aux idoles jusqu’à la folie d’aimer le totem confondu à l’artiste qui l’a sculpté.

On sait aujourd’hui que beaucoup de ces «dieux» sont malheureux. Ce qui ne fait qu’ajouter à la fonte entre «dieu et apprentis-dieux». Les malheurs font partie de la vie… Les «dieux» sont comme nous…

La belle et la bête

Dans ce film il y a deux mondes différents, d’une part la maison bourgeoise et ordinaire du marchand, et d’autre part le château enchanté de la Bête où tout est possible. C’est la forêt mystérieuse qui relie entre eux ces deux mondes. (…)La belle est sauvée lorsqu’Avenant meurt sous la forme de la bête, et que les deux personae se fondent en une seule. La Belle et la bête, Cocteau 1946

Il y a dans ce phénomène d’idolâtrie, une sorte de fusion entre ces «dieux de la scène» et le public. La beauté de l’œuvre est parfois cachée sous la laideur de la Bête.

Les deux se lient en une sorte de sacrifice mutuel.

Aller jusqu’au bout a souvent été un jeu des dieux, mortel…

«Tu es Dieu» : le culte

«Elles ont loué une petite voiture aussi rouge que leurs ongles, sur laquelle elles ont collé de grosses lettres noires: «Innocent!» «Il l’est à 100 %», précise pour sa part Shirley. Elle a démissionné de la crèche où elle travaillait depuis treize ans pour pouvoir accueillir tous les jours Jackson à l’entrée du tribunal avec une pancarte au message sans équivoque: «Tu es Dieu!» […]

Le totem est finalement devenu Dieu… Et voici Michaël Jackson

On aime les idoles, les dieux à voix, les dieux riches et célèbres, comme pour calfeutrer un vide  existentiel  en chacun de nous, car ceux-ci  réalisent ce que nous n’avons pas accompli : être dieu.  Sorte de péché originel, sans doute celui d’une créature hybride incapable de se pardonner elle-même de son état.

On ne saura jamais ce que cherchait Michaël Jackson en passant sous le scalpel.

Mais en dessous du «monstre sacré», se  cache le grand dilemme  inconscient de chacun, avalé  par cette image tellement démonstrative d’un monde perdu, toujours insatisfait de sa «condition humaine». Les idoles sont là pour se nourrir des  apprentis- dieux en les  matérialisant : le  totem total.

C’est le signe d’un refus  de ne pas s’assumer dans notre singulière réalité : notre dualité.  Et tous les emprunts  sont les marques  d’une société  qui cultive ces «plus grands que nature» ,  aussi factices que  bizarroïdes soient-ils.

Vivre à crédit de soi dans les amours de super héros.

Nous voulons être un «plus» dans un monde  rempli de «moins». La perception de nos êtres trop petits pour l’ampleur étalée, vendue.

Au lieu de vivre, on se sculpte.

On se sculpte les seins. On se sculpte les muscles. On  sculpte des goûts. On n’arrête pas de tailler et gonfler nos personnalités comme s’il fallait atteindre un idéal à la mesure des images trafiquées.

Et toutes ces courses vers ces totems  montrent que nous sommes toujours issus de peuplades.

On n’a jamais autant cultivé les veaux d’or…

Les cendres du totem

Et maintenant qu’il est mort, il ressuscite cette soif et cette faim d’être. Une certaine nourriture s’en est allée. Toujours dans la turpitude de moyens boursouflés. Mais dans un espoir d’être plus grand que nature.

C’est pour ça que les foules courent : c’est pour se rattraper de l’intérieur.

Quand quelqu’un réussit,  en art, en affaires, malgré la folie des excès,  nous fêtons, au fond, notre réussite personnelle. Reconnaître c’est adhérer avec un enthousiasme souvent idolâtre,    c’est s’inscrire dans cette réussite et cette reconnaissance. Aimer au point de n’avoir pas de distance  c’est se faire dévorer  par le miroir qui nous regarde. Un immense et ludique  miroir à maintes dimensions, coûteux, sans lien avec notre pouvoir d’achat.

Alors, nous empruntons.

À l’église, on brûlait des lampions. Les foules sont allumées par d’immenses feux de ces «plus grands que natures».  Pleurs, lettres, démonstrations de foules, révoltes, indignations, dénis…  Les idoles humaines meurent… Les «dieux» demeurent…Du moins pour un temps…

C’est  un peu là  le drame. Mais certains vont jusqu’au déni… Elvis est toujours vivant. Ou il l’a été longtemps après sa mort…

Il n’y aura jamais assez de totems pour nourrir le vide… On meure un peu à chaque fois qu’il en meurt un.

On peut toujours aller jouer au dieu sur You Tube…  Ou attendre le prochain : il  est toujours une liste de candidats prêts à vivre le cauchemar des vies de stars… Sauf qu’il faut un génie certain pour  se tresser un chapelet de 15 minutes à la Warhol qui durera une vie.  Le prix à payer est une flambée. Limitless

Les sacrifices humains avaient surtout une fonction religieuse : les Aztèques les estimaient comme nécessaire à l’équilibre du monde. D’après leur mythologie, les dieux avaient successivement créé quatre mondes ou « soleils » qui furent chaque fois anéantis avec leurs habitants. Les sacrifices humains devaient apaiser les dieux afin qu’ils ne détruisent pas le cinquième monde. Aztèques et sacrifices humains

Dans l’histoire de l’Empire aztèque, on offrait en sacrifices des personnes afin de calmer les dieux : famines, sécheresses, inondations, etc.

Dans le nôtre, ils se brûlent pour notre famine intérieure, notre sécheresse, et une inondation de produits… Et le dérivé qui vient après…

Le 20e siècle a trouvé le moyen d’en sacrifier quelques-uns pour calmer un peu les craintes d’un dieu absent ou inexistant.  Ou en créer d’autres…

Alors, tout se passe sur Terre, les dieux sont envoyés au ciel,  ramenés sur Terre et brûlés.

Les peurs mutuelles, entre le dieu et le peuple effrayé, est en fin de compte un  échange qui satisfait les «parties mutuelles».

C’est la fin d’un contrat…

L’artiste a  nourri le peuple , le peuple a nourri l’artiste.

C’est une sorte de cannibalisme réinventé où le «sauvage» et le «missionnaire» partagent le même chaudron…

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Classé dans Actualité, Gaëtan Pelletier