Yan Barcelo, 15 août 2009
Il est à peu près certain que le Québec est désormais incapable de créer un nouveau Bombardier ou un nouveau Groupe CGI. Un indice? Aucune compagnie créée dans les 20 dernières années dans un domaine d’avant-garde de l’économie n’a réussi à dépasser le cap symbolique du premier milliard $ de ventes. Certes, quelques compagnies ont réussi à se hisser au palmarès des 100 principales sociétés du Canada, par exemple Saputo, Aliments Couche-Tard et Gildan. Toutefois, il s’agit de compagnies fondées il y a plus de 20 ans et issues de secteurs traditionnels. De plus, leurs ventes, qui se situent entre 2 et 4 milliards $, demeurent lilliputiennes à l’aune international. Surtout, aucune ne prend place dans les domaines de pointe de l’informatique, des télécommunications, de la biopharmaceutique ou des nouveaux matériaux. Les quelques champions que nous comptions à ce chapitre, notamment Biochem Pharma, nous les avons vendus.
La raison de ce manque de création de richesse économique tient à deux des symptômes les plus virulents de notre SIDA économique : le shareholder value et la destruction de l’État-Nation (Canada et Québec) ou sa contrepartie, la globalisation.
Faisons un petit retour historique.
Le Québec compte deux symboles majeurs du triomphe de l’idéologie du shareholder value. Le premier tient à la vente de Softimage à Microsoft en 1994, le deuxième à la vente de Biochem Pharma à la Britannique Shire Pharmaceuticals en 2001. Ces deux dates marquent le début et la fin de la décennie du capital de risque au Québec – et son remarquable échec.
L’achat de Softimage marque un tournant majeur dans les milieux financiers canadiens. Jusque-là, tout au long de la décennie ’80, les banques et les grands fonds d’investissement n’en avaient eu que pour les grands aventuriers immobiliers, notamment les frères Reichmann, de Toronto, et le franco-ontarien Robert Campeau. Mais tous ces projets ayant coulé à pic, le monde financier était à court de débouchés pour ses sous.
L’achat de Softimage pour le montant incroyable à l’époque de 122 M $US a eu l’effet d’un coup de canon dans nos milieux bancaires. Jusque-là, il était impossible pour un concepteur de logiciels d’obtenir du financement d’une banque. Pour cette dernière, le logiciel et son capital intellectuel n’avaient strictement aucune valeur. La seule valeur que la banque était prête à financer était la disquette, le support physique du logiciel!
Mais les choses ont changé à partir de là. Daniel Langlois, le fondateur de Softimage, a été encensé comme un héros (il y a une drôle de logique, n’est-ce pas?, à faire un héros d’un individu qui vend sa compagnie à des intérêts étrangers…) et des milliards de dollars ont été reconduits vers le secteur du capital de risque. La consigné était maintenant de faire de l’argent avec le secteur technologique.
Au Québec, des centaines de jeunes compagnies ont champignonné à qui mieux-mieux recevant entre deux et trois milliards $ sur une période de huit ans. Résultat de cet afflux massif d’argent? Pas une seule compagnie n’a accédé à quelque prééminence que ce soit. Pourquoi? Dès qu’une compagnie atteignait à un niveau de sophistication technologique ou de revenu suffisant, ses investisseurs de capital de risque se sont empressés, les unes après les autres, de les vendre. Ceci n’est pas arrivé deux ou trois fois, mais des dizaines et des dizaines de fois. C’est ainsi qu’on a vendu des compgnies comme Discreet Logic, BioSignal, Bomem, Berclain, Positron Fiber Systems, Telweb et quantité d’autres. Voici la conclusion scandaleuse de tout cet exercice : pas une seule compagnie de premier plan n’en a émergé. Quand tout a été conclu, financé et vendu, le Québec ne comptait toujours que deux fleurons technologiques en propre : Groupe CGI et Matrox, deux compagnies qui existaient AVANT la chevauchée et qui n’en ont obtenu aucun argent.
La vente de feu n’a pas eu lieu seulement dans le giron du capital de risque. Bien d’autres compagnies technologiques de premier plan ont été vendues : Groupe DMR, Groupe LGS, Phoenix International, Spar Aérospatiale. C’étaient en fait les premières salves d’une longue litanie de fleurons industriels que le Québec n’a cessé de perdre depuis, des géants comme Noranda, Bell Canada et Alcan étant les plus récentes victimes.
Le cas de Groupe DMR vaut la peine qu’on s’y attarde. À ce moment-là, Jacques Parizeau, premier ministre du Québec, et Bernard Landry, ministre économique, ont tous deux fait l’éloge de Groupe DMR qui avait réussi à se faire acheter par l’américaine Amdahl. N’était-ce pas là, ont-ils dit, le signe de l’excellence des compagnies de haute technologie du Québec que des Américains veuillent mettre la main dessus?
Personne n’a sourcillé. Au contraire. Tout le milieu d’affaires s’est mis à spéculer âprement sur le prix par action que DMR réussirait à arracher aux colosses IBM et Amdahl qui se disputaient la mise : onze dollars? douze dollars? douze dollars et dix-neuf cents? Le Québec venait de vendre sa plus importante entreprise informatique, l’équivalent pour la Belle Province d’une IBM aux Etats-Unis, et tout le monde applaudissait, en commençant par le premier ministre.
On peut se demander qu’elle aurait pu être la réaction aux États-Unis si un Bill Clinton avait applaudi à l’achat par des Japonais ou des Allemands d’un fleuron de l’informatique américaine comme IBM ou Microsoft. La transaction aurait peut-être eu lieu quand même – ce n’est pas certain! – mais les applaudissements n’auraient certainement pas fusé. Au Québec, quelques capitaines d’industrie passaient à la caisse et tout le monde les accueillait en héros des affaires.
Au Québec, on aime ça les héros, on dirait qu’on carbure à ça, ça nous en prend!
Pathétiques politiciens que Parizeau et Landry… Ça ne fait que confirmer l’idée que je m’en faisais.
Il faut que les gens comprennent que vendre nos bonnes compagnies aux étrangers revient à nous tirer dans le pied!
Bonjour Yan,
Votre article démontre bien la perte de contrôle des Québécois sur leurs entreprises. C’est la même chose dans le reste du Canada.
Les É-U sont dans le même bateau. Cela fait plusieurs années que des intérêts étrangers contrôlent diverses infrastructures clés aux É-U, comme les installations portuaires, par exemple. La destruction planifiée de l’économie US dure depuis plusieurs années.
Au Canada, dans les années 70, P.E Trudeau (dont je ne suis pas un fan) avait mis sur pied une politique énergétique et une politique qui limitait à 49 % la part des intérêts étrangers dans diverses sociétés canadiennes, afin de protéger les resssources et industries canadiennes.
C’est ainsi que le fédéral avait nationalisé
deux pétrolières, dont BP, pour créer Pétro-Canada.
Le fédéral avait payé plus de 100 $ par action pour des titres qui se négociaient à moins de 30 $. Je ne me souviens plus des chiffres exacts, mais c’était 3 ou 4 fois plus cher que quelques mois auparavant quand le gouvernement avait annoncé son intention d’acheter.
»Pétro-Canada, ça vous appartient », disait l’annonce télévisée la nouvelle compagnie, pour calmer ceux qui disaient que l’acquisition avait été payée trop cher.
Puis, vint Brian Mulroney et le libre-échange avec les É-U au début des années ’90 qui allait créer des tonnes d’emploi et profiter aux entreprises canadiennes. Tout d’un coup, les barrières tarifaires et autre mesures destinées à protéger notre économie et notre qualité de vie, n’avait plus d’importance.
Le Canada est capable de concurrencer directement avec les É-U disait-on, pas de problème.
Vingt ans plus tard, voyez ou on est rendus, avec une économie sur le point d’imploser.
À l’époque, plusieurs étaient opposés au libre-échange avec les É-U, dont certains premiers ministres provinciaux, pas chauds du tout à l’idée.
Ce serait trop long à résumer, mais je vous suggère fortement de lire l’article sur ce lien, qui raconte comment l’accord sur le libre-échange fut négocié et adopté.
http://canadiangenocide.nativeweb.org/water_control.html
Ceux qui mènent le monde, c’est un petit club. Quand une société comme Soft Image développe des logiciels comme elle le faisait, elle doit être acquises par les agents des dirigeants, lesquels exercent unmonopole sur toute technologie utile.
Autre chose, plusieurs des »fleurons » québécois ont grandi grâce aux incitatifs fiscaux, comme les régime d’épargne actions du gouv. du Québec, aux subventions, comme ce fut le cas avec Bombardier qui acheta Canadair, une fois le Challanger prêt à être commercialisé, après que le fédéral eu subventionné la recherche et développement pour plusieurs centaines de millions de dollars, et à l’aide de la Caisse de dépôt, comme ce fut le cas pour Québécor.
Tout ça pour dire, qu’au bout du compte, c’est le travail collectif des canadiens et québécois qui a permi à ces entreprises d’exister et de grandir, mais aujourd’hui, il n’en reste presque plus rien.
Comment cela est-il possible?
Selon moi, Mulroney et PET sont les 2 pires politiciens de l’histoire canadienne…
@Aimé Laliberté
Merci pour ces éléments d’information que vous ajoutez à mon propos et qui le renforcent. Un élément que vous soulevez et avec lequel je suis pleinement d’accord (je prévois en traiter un peu dans mes prochaines chroniques), c’est que la situation au Québec est seulement une variante d’un phénomène de dépossession qui sévit dans l’ensemble des économies avancées, surtout celles des pays anglo-saxons. Regardons l’Angleterre, par exemple: c’est devenu un désert industriel où ne subsiste plus que le monstre financier de la City.
@Simon Lefebvre
Je suis d’accord avec vous dans votre coup d’oeil sur PET et Mulroney. Je dois dire toutefois qu’il me manque les organes pour apprécier ces politiciens.
@ yanbarcelo
» (…) Je dois dire toutefois qu’il me manque les organes pour apprécier ces politiciens. (…) »
Puis-je te demander d’expliquer ce que tu veux dire par là, s’il-te-plaît?
@Simon Lefebvre
Tout simplement que je considère ces individus, en tant que politiciens, si méprisables et insignifiants, tellement en dessous de toute considération, qu’il me manque les organes physiques, intellectuels et moraux pour appréhender les dimensions infimes de leur petitesse. Cette « évaluation », je dois dire, tient surtout pour PET. J’ai un coup d’oeil moins détaillé de la physionomie lilliputienne de Mulroney.
Il faut savoir que les chefs de parti et les petites gangs autour d’eux, sont mis en place par le pouvoir économique mondial style: BILDERBERG.
Le Québec et le Canada sont de petits maillons de cette chaîne circulant autour de la terre en manipulant et volant les richesses des pays possesseurs par toutes sortes de procédés et même la guerre.
Tout est pensé et planifié longtemps d’avance.
Il ne faut pas se surprendre de voir aller les gouvernements élus par le FRIC, redonner
au centuple à leurs fournisseurs…………………………….
Un article fort intéressant.
Mais pendant qu’on est ici à parler de tout ça, je suis certains qu’une bonne part des entrepreneurs Québécois fantasment secrètement sur l’idée que leur création soit acheté par un groupe Américain…
Haha elle est bonne Redge! Bonne parce que vraie!
Ces prises de contrôle sont le symptôme d’un problème plus profond et ce n’est pas en bloquant ces transactions que nous règlerons ce problème.
Nos politiciens, sous la pressions des lobbys, ont adopté beaucoup de mesures pour protéger la plupart de nos entreprises et leur ont versé des milliards en subventions/crédits d’impôts. Se faisant, ils les ont affaiblies. Étant artificiellement protégées de la compétition, elles se sont ramolies et leurs tentatives de croître internationalement ont échoué lamentablement. Confinées à leur « petit étang » qu’est le Canada, elles sont devenues des proies faciles pour les plus gros poissons, qui eux ont eu l’audace d’explorer l’océan.
Pour plus de lumière sur le sujet, je vous recommande l’excellent livre de la journaliste Canadienne Amanda Campbell qui s’intitule « Why Mexicans don’t drink Molson ».