Gaëtan Pelletier
Le discours politique est destiné à donner aux mensonges l’accent de la vérité, à rendre le meurtre respectable et à donner l’apparence de la solidarité à un simple courant d’air. George Orwell Robinsonnade Récit d’aventures s’inspirant de celles de Robinson Crusoé.
La première fois que je suis passé devant un téléviseur HD, j’ai été ébloui : un film de série B avec Mark Wahlberg au volant d’une auto … On pouvait distinguer les mouches écrabouillées sur le pare-brise.
Le numérique a bouleversé nos vies. Pourtant, je regarde toujours de vieux films en noir et blanc des années 40 et 50. Nostalgie? Non. Simples et beaux. Comme la vie : avec ses imperfections. Le paradis perdu de la simplicité. Un quelque chose que je n’arrivais pas à saisir entièrement, qui est lié à nos vies, nos routines, notre monde «moderne» et ses misères à travers tout ce qui est fallacieux.
J’ai l’impression que plusieurs sont comme des poupées vaudou épinglées de partout, cherchant tout vient tout ce mal de vivre. Et payant des «autres» pour le trouver…
Je me questionne sur les drames sociaux de ces parents qui tuent leurs enfants et se suicident par la suite. Je suis aussi aux aguets de ces petits tueurs en série qui entrent dans les écoles et tirent partout.
Quelle est donc la cause de ces «brisures», de ces éclatements, ou folies passagères dans un monde où «tout est sous contrôle»?
Et m’est venue une question bête. Il y a-t-il eu des tueurs d’enfants dans les communautés amérindiennes avant le 20ième siècle?
Pas à ma connaissance.
On fabrique de l’irréel.
L’ère du numérique
Dans une chronique de La Presse, Marc-André Lussier pose la question Le Blu-Ray. On commence par où?
Raph 1001 est un pro. Il nous donne une leçon de ce trompe-l’œil cloqué.
Au cinéma, même encore aujourd’hui, la grande majorité des films sont tournés sur support film 35mm. Même The Dark Knight, Le seigneur des anneaux ou Terminator Salvation. Pourquoi ? Parce que la pellicule, de par sa nature physique, organique et chimique reste toujours la meilleure façon de reproduire le réel par sa finesse, sa fiabilité des couleurs et sa capacité à rendre les détails les plus fin…
Maintenant, pour transférer l’information du film au support numérique, il faut passer par un scanner, disons un Arriscan, machine fabriquée par la compagnie Arri. On peut scanner le film en HD (1920×1080 pixels) en 2K (2048×1556) ou 4K (4096×2664).(…)
Donc, un négatif en bon état de conservation de Metropolis de Fritz Lang tourné en noir et blanc en 1927 contient plus de détails et de subtilités que The Curious Case of Benjamin Button de David Fincher tourné numériquement.(…).
La technique consiste à arracher point par point une image et la tenter de la rendre «naturelle» sous format numérique.
Si ce n’était là que technique d’amusement, ce serait sans intérêt. À part le fait, qu’on veut vous soudoyer de l’argent et vous éblouir. Car le numérique est sans doute, pour l’œil, parfois plus «beau» que la réalité. La plupart des fabricants ont mis l’accent sur la brillance plutôt que sur les nuances, me confiait un vendeur.
Dans notre salon, ça ne fait pas grande différence. Dans la vie, c’est tout autre chose…
Les Las Vegas du grand désert de l’âme humaine
L’humain, c’est comme le lait : ça peut se mettre en poudre. Il suffit de l’assécher d’une partie de ce qu’il est, de lui inculquer et de cultiver l’idée qu’«on est un». Dessoudé, désolidarisé, mais fier… Diviser pour régner n’a jamais été autant d’actualité. Si on fait la somme de tout ce que l’on vend – gadgets, idées – il ne subsiste qu’un facteur commun : l’égosystème.
Mais les îles n’existent pas sans eaux…
Une fois en poudre, comme les grains de sable du désert, dans cette «solidité solidaire égotique», le citoyen n’a plus qu’un nom : Narcisse. Il n’a plus d’eau pour se mirer, quoique bien assis dans son fauteuil capitonné de matérialisme, il se croit solide. Mais il est aride. L’aridité n’a pas de souplesse, donc pas de labours possible. Donc pas de cultures. Donc pas d’arbres, donc pas de fruits.
Un monde de cactus.
De l’ignorance pure au savoir contrôlé
Le 20ième siècle des sociétés occidentales – devenues riches – était une sorte de Tiers-Monde : la connaissance appartenait à une élite riche ou on vous la payait si vous acceptiez de devenir prêtre. Demandez à vos parents, vos grands-parents… Avant les années 60, ils vivaient des matières premières de leur pays, bûcherons, petits agriculteurs, mécaniciens autodidactes, etc., dans une période où il y avait plus de plombiers que de philosophes. Pour régner, on a gardé le peuple dans l’ignorance.
Puis arriva le Noël des campeurs et les cadeaux empoisonnés.
Eh! Oui! À partir des années 60, les technologies, et ce, dans tous les domaines, devinrent compliquées. Il fallait donc du «savoir» pour développer les sociétés. Ce n’est pas la «bonté» qui a fait en sorte que l’on a dû créer un système scolaire «démocratique». C’est la concurrence qui avait compris que pour rivaliser avec les autres pays en développement, il fallait une main d’œuvre ajustée aux besoins nouveaux.
En ouvrant les valves aux «savoirs», il fallait – pour ne pas éveiller les soupçons – ouvrir celles dites des sciences humaines. Une fois héliumisé de ce nouveau repas de l’esprit, notre citoyen, passant du crapaud au bœuf, se mit à «penser par lui-même».
L’œuf ou la poule? Qui donc peut avoir une idée s’il ne s’est pas nourri d’idées?
Qui donc peut affirmer que les écoles disent la vérité?
C’est là que les problèmes commencent… Et ce n’était pas prévu…
La soudure à chaud a fait place à la soudure à froid.
Pour refaire le continent de toutes ces îles, il fallait un appareillage sophistiqué pour la solidifier, l’unifier.
Une société n’est pas constituée de Robinson Crusoé. Car nous sommes tous un peu victime du robinsonnade : dans cette ère de connaissances fractales les autres sont devenus les sauvages du «moi».
Étant donné que l’abus du moi risquait de chambarder, voire détruire cette société, il fallait la refaire d’une façon technique et artificielle.
Car la liberté mène aux abus, et les abus mènent à de nouveaux métiers pour les corriger.
Si les usines à onguents étaient en bourse, ce serait le pétrole gélatineux blanc le plus convoité.
L’armée des intervenants
Les gros mangent trop. Les buveurs, eux, ne boivent pas trop : car l’État vit du commerce du vin et de la bière. On achète trop de billets de loto. Les gens ne bougent pas assez. Les gens travaillent trop. Stress, vitesse, détresse.
Mais le «trop» n’est jamais assez pour les exploiteurs de «trop». Au fond, on aime bien donner des coups de jambettes à un unijambiste… On ajoute le «comment». On veut vous montrer à vivre selon des normes d’un individu en offrande à un pays.
Et partout, dans les pays, poussent ces «preachers» de la nouvelle religion de la perfection dans un monde hypocrite et criblé de vendeurs pour les correctifs de ce «trop»… ou de cette «mauvaise manière de faire ou d’être». Que l’on vend toujours… Des Nicolas Flamel de l’ère moderne… Une nouvelle alchimie où la peur est transformée en or. L’angoisse aussi, et la chair peut se refaire au botox.
Un peu brisé?
Alors, on numérise : on multiplie les organismes, les intervenants, les études, les analyses, et une infinitude de fonctionnaires devenus soldats de la numérisation ; on essaie de faire le portrait d’une société malade pour la soigner ensuite. Tout est découpé, fragmenté en «pixels» pour en refaire l’image.
Rien que le mot «intervenant» fait penser au goudron qui sert à souder les fissures de l’asphalte. Les rapports humains consomment des «intervenants». Sous toutes les formes : des avocats, des psychologues, des conseillers, syndicats, etc. Tout passe par un tiers pour essayer de souder nos rapports avec les autres, et même ceux avec un moi qui louche.
Citoyen : personne devenue nuisible au développement d’une société (sic)
À force de découpage, nous avons perdu cette vision d’ensemble. Nous avons aussi perdu de vrais liens. Là où ça se gâte, c’est au moment de s’investir dans le travail : les rapports entre travailleurs et patrons sont livrés à des organismes, intervenants qui sont là pour régler les différends sans trop d’efficacité. Car le savoir n’est pas uniquement linéaire, il a appris à apprendre. Il a donc appris à mimer et à intégrer par des connaissances transversales le beau rôle des pouvoirés.
On s’en tient à son rôle. Et le rôle aime bien la paye attribuée à son «poste» et l’éclat s’y attenant. Et on se tient à distance … L’armure par excellence.
L’impression qui demeure dans l’âme du citoyen – par tous ces analyseurs et décrypté de société – est celle que l’individu est devenu nuisible à la société. Et il l’est d’une certaine manière : car on a créé une guerre petits pouvoirés et citoyens simples, une lutte intestine qui gèle tout avancement. Les grands pouvoirés ont mainmise sur les petits qui leur servent de valets. Les deux de pique se prennent pour des as. Mission accomplie…
Après l’image défaite – mais nécessaire – il faut bien la numériser par un arsenal de moyens synthétiques. Ça ne fonctionne pas? C’est à cause du citoyen… Les citoyens se battent entre eux et ils se battent aussi contre l’état. Mais, soyez sans crainte, les chats sont dégriffés.
Les génies sont sortis de leur bouteille…
Ça prend un spécialiste en fabrication de bateaux miniatures pour le remonter pièce par pièce dans sa bouteille.
Comme sur un écran HD, on vit par la brillance… Et par petits «points» éparpillés dans une toile à numéros. Il n’y a pas plus synthétique que les adeptes de la religion de la perfection. On est devenus des pantoufles en phentex sans le savoir… On s’est fait tricoter un monde synthétique et on marche dedans. Sur un plancher de bois verni. Car le vernis est plus important que le plancher.
La culture de la complexité
Les mots amour, compassion, tendresse sont impossibles à numériser. Quand je regarde mes chats, je n’ai pas envie de les découper en morceaux pour savoir comment ils fonctionnent. Car, en fait, ils ne fonctionnent que dans une relation d’amour qui reste mystérieuse entre eux et nous.
C’est ça la vie.
Finalement, cette ère matérialiste, d’egos divisés, ressoudés par un arsenal de moyens techniques et une prolifération de structures nous éloignent des relations vraies et naturelles.
Les bouchers du numérique n’auront jamais assez de viande à découper.
Nous vivons dans une société où chacun est plongé dans un coma en attendant de trouver un remède à un certain bonheur perdu.
Quelqu’un est revenu d’un pays pauvre, un jour, et m’a dit :« Bizarre, les gens sont pauvres, mais ils sourient et on l’air heureux».
Il me vient toujours à l’esprit cette phrase sur la vie de Goethe : «La mère de Goethe cultivait la joie».
Mais que cultive-t-on aujourd’hui?
De la techno-rapiéciste-complexité…
À tel point que les gens simples sont regardés de travers comme des lépreux, des ignares, des trisomiques inconscients.
Et pour «plagier» Yan Barcelo , on ne voit plus l’autre à travers une certaine inspiration et spontanéité…mais une idée.
Je vous laisse sur une réflexion de PJCA dans son billet L’industrie 2 :
Il ne faut pas penser que le citoyen moderne a plus de pouvoir parce qu’il vit en « démocratie », mais être bien conscients que nous allons vers plus de démocratie parce que nous avons plus de pouvoir et que ce pouvoir repose avant tout sur notre participation au processus productif.
Les idées, elles aussi, sont productives. Pourvu que l’on ne soit pas «pixelisés» dans nos égos, mais participatifs à l’ensemble de l’écran de nos vies en société.
Et c’est à se demander si le plus dangereux des terroristes n’est pas celui qui vous vend l’idée, chaque jour, que vous êtes «quelqu’un» qui peut mater tous les sauvages d’alentour.
La grande magie de la cérébralisation est là pour nous faire oublier que nous sommes également des êtres d’émotion…