Yan Barcelo, 29 août 2009
Bien des défenseurs de l’ordre international régnant disent qu’il n’y a aucune raison que les états-nations s’inquiètent. Certaines compagnies acquises tirent très bien leur épingle du jeu. Le passage de Softimage chez Microsoft, et maintenant chez Avid, a donné à la firme montréalaise des moyens dont elle n’aurait jamais pu bénéficier autrement. Parfois, aussi, la compagnie acquise se voit confier des mandats beaucoup plus larges que ce qu’elle gérait avant de passer en mains étrangères. Dans un grand nombre de cas, les emplois des entreprises acquises demeurent ici et, très souvent, augmentent sensiblement.
Mais les choses ne sont pas toujours aussi positives, loin de là. Dans le cas de Positron Fiber Systems, par exemple, les installations de Montréal se sont vu confier seulement un mandat de recherche-développement, l’entreprise perdant toutes ses autres initiatives de marketing, de ventes, de publicité, de service aux clients. Du côté de Bleumont, l’ablation a été encore plus radicale puisque toutes les activités de l’entreprise ont été rapatriées en Californie. Comme me le disait un financier en capital de risque dans un moment de lucidité cynique : « Le Québec était la patrie des coupeurs de bois et des porteurs d’eau. La seule différence aujourd’hui, c’est que nos porteurs d’eau ont un Ph.D., portent une blouse blanche et travaillent dans un laboratoire. »
Et il y a lieu de s’inquiéter pour une autre raison plus primordiale encore : la simple perte de contrôle. “ Ownership is power ” se plaisait à dire le coloré Pierre Péladeau. Avec ce pouvoir vient le développement de ressources humaines habituées de traiter à un niveau international de commande. En vendant à des étrangers, on perd cette initiative et multiples occasions de développer des talents de gestion, talents qui nous manquent cruellement au Québec, tout particulièrement en technologie.
Ce ne sont plus des québécois qui ont la main sur le volant et, en laissant le volant à d’autres, ils n’apprennent pas à diriger de grands ensembles. Le plus souvent, ils sont cantonnés à un rôle subalterne de direction régionale.
Une autre raison de s’objecter tient au simple exil des profits, qui vont alimenter ailleurs de nouveaux investissements et la création de riches fondations aux rayonnements sociaux divers. Mais il y a plus : ceux qui contrôlent sont à l’étranger et ne se soucient pas de la qualité de l’éducation dans ce pays, ni de la vie communautaire, du système de santé ou de l’activité artistique. Et s’ils s’en soucient, ils ne peuvent y être sensible au même degré qu’un dirigeant d’ici.
Mais l’inquiétude nationaliste manifeste un autre malaise, plus diffus peut-être, mais non moins réel. Pour l’exprimer dans une formule succincte, on pourrait dire qu’il met le doigt sur la confrontation du bien commun et du pouvoir impersonnel de l’argent. L’argent, incarné par les entités industrielles, financières et commerciales supranationales, se détache de plus en plus des régions nationales auxquelles il était rattaché jusqu’ici.
Est-ce à dire que ces dirigeants sont sans cœur et sans conscience? Pas nécessairement. Mais dans leur pensée, ils se sont asservis à une idéologie qui justifie leur gain et neutralise toute volonté de construire de la valeur localement, dans leur communauté.
Et qu’en est-il des efforts que toute la communauté a consenti par la voie de crédits d’impôt à la recherche et de subventions diverses pour aider les entreprises d’ici à croître. S’ajoutent les sommes colossales englouties pour soutenir le système d’éducation dans un souci constant de l’ajuster aux besoins des entreprises. Les entreprises d’ici bénéficient de tout un vaste réseau de soutien (politiques d’emploi, infrastructures de transport et de santé publique, réseau éducatif, etc.), et voici que dans le geste de se vendre à des intérêts étrangers, elles abolissent toute dette à l’endroit de la communauté qui leur a pourtant été d’un appui primordial. Et puis, il y a tout simplement l’espoir immense que citoyens, gens d’affaires, ministres et fonctionnaires ont investi dans les entreprises qui affichent un potentiel immense – comme Biochem. Et voici que ces joueurs passent au cash. Que bien des gens se sentent trahis, il n’y a pas lieu de s’étonner.
La contradiction est scandaleuse. « Les investissements sont collectifs, mais les prises de profits, individuelles, » comme me le confiait un intervenant universitaire. Après s’être grassement servis à l’auge public, nos entrepreneurs et leurs actionnaires s’en mettent plein les poches. Un tantinet regrettable, n’est-ce pas?