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SIDA de civilisation – l’économie 7 / 8

Yan Barcelo, 26 septembre 2009

(Je poursuis dans cette chronique avec une série d’éléments cruciaux dont j’ai commencé de traiter dans la dernière, éléments qui reposent à la racine de la destruction financière et économique en cours et qui composent notre SIDA économique.)

Nous avons abordé deux thèmes sous-jacents de notre déclin économique en cours : la virtualisation et la déresponsabilisation. En voici deux autres. Notez que tous ces thèmes sont intimement reliés et se recoupent inévitablement. J’en distingue certains aspects de façon à faciliter l’analyse.

L’éco-Monopoly. Tandis que toute l’économie est tenue en otage par les opérateurs du casino, il y a une autre façon de saigner l’économie réelle. C’est celle du private equity, où on trouve des géants comme Goldman Sachs Priva Equity Area, Kohlberg Kravis Roberts, The Carlyle Group. Nous sommes ici dans la logique intégrale du vampire dont quantité d’entreprises ont souffert gravement. La mécanique du private equity est un modèle d’efficacité destructrice – toujours perpétrée au nom du sacro-saint shareholder value. Elle s’articule en six temps.

1) Le groupe de private equity est assis sur un capital souvent colossal amassé auprès de grandes institutions financières et d’individus très fortunés. 2) Il a accès à des montagnes de crédit auprès de grandes banques internationales. 3) Le groupe procède à l’achat d’une compagnie, typiquement en mettant en jeu environ 1$ de son capital propre et 10 à 20$ d’argent emprunté. 4) Une fois la compagnie achetée, le groupe transfère à cette dernière la dette démesurée qui a servi à son achat, ce qui l’écrase sous un passif prohibitif. 5) Le groupe charge des frais exorbitants à la compagnie pour compenser ses bons services financiers. Pour payer ces frais, la compagnie doit souvent endosser des prêts additionnels, s’enfonçant davantage. 6) Le groupe finance sa boulimie d’acquisition en titrisant la propriété qu’elle détient dans la compagnie, première source de profits. 7) Le groupe morcèle la compagnie qui est forcément moins rentable à cause de son endettement massif. Elle vend les divisions moins performantes ou les ferme tout simplement, mettant à pied des hordes de gens, et « réorganise » les divisions susceptibles de livrer un profit à court ou moyen terme. 8) Deuxième source de profit, le groupe, après 3 à 5 ans, revend la compagnie en Bourse, prétendant avoir augmenté l’efficacité de l’économie et – évidemment – accru le shareholder value.

La scholastique comptable. Dans certains milieux intellectuels, on aime se moquer de la philosophie scholastique qui a prévalu au Moyen-Âge après Thomas d’Aquin en rappelant les débats stériles qui pouvaient parfois y prévaloir, par exemple la question de savoir combien d’anges peuvent tenir sur la pointe d’une épingle. (Je peux vous assurer qu’il n’y a aucun débat du genre chez Thomas d’Aquin, qui reste un des sommets de l’histoire intellectuelle du monde).

Or, ce genre de débats farfelus semble s’être déplacé au cours des 30 dernières années vers ce qui, au premier coup d’œil, pourrait apparaître comme la plus concrète des disciplines économiques : la comptabilité. Au fur et à mesure que les institutions financières et les grandes entreprises se sont enfoncées dans les territoires virtuels des produits dérivés, les grands bureaux de normes comptables se sont creusé les méninges pour tenter de fixer un prix à des actifs qui, par leur nature même, n’en auront que dans 6 mois, un an ou cinq ans.

Qu’est-ce à dire? Tout contrat de dérivé, au départ, a une valeur zéro. C’est n’est qu’au fil des réglements entre les parties qu’il prendra une valeur positive ou négative, un joueur (le gagnant) encaissant les sommes que l’autre (le perdant) lui paye forcément. Or, toute la difficulté tient à la façon de fixer la valeur actuelle de ces dérivés qui ne sont que des gageures sur d’hypothétiques événements futurs, des gageures du même genre que celles qu’on prend aux courses. Or, les procédures, règlements, normes, références et standards qui ont été émis par le Financial Accounting Standards Board américain (FASB) au cours des 30 dernières années durant lesquelles les dérivés ont atteint les sommes astronomiques de 600 trillions $US (12 fois la valeur du PIB mondial!) représentent une accumulation d’articles qui rivalisent avec tout ce que l’antique scholastique a pu pondre.

Résultat : avec la complicité plus ou moins bien intentionnée des comptables, les machinations virtuelles des financiers ont acquis un air de respectabilité totalement factice. On s’est évertué à donner un prix à de pures gageures qui n’ont aucune valeur intrinsèque et dont le chiffre monétisé tient soit à des marchés financiers gonflés aux stéroides, soit à des modèles mathématiques parfaitement fantaisistes.

Pourtant, si les comptables avaient conservé un peu de ce gros bon sens qu’on leur assigne habituellement, ils auraient traité ces instruments virtuels que sont les dérivés selon leur nature intrinsèque : de pures gageures dont les gains ou les pertes futures tiennent à tant de variables capricieuses et volatiles qu’elles relèvent finalement du pur fantasme. La solution aurait pu être simple, radicale et élégante. Le FASB aurait pu dire aux banques et corporations : « si vous voulez jouer au monopoly avec vos actifs, à votre guise, mais nous allons immédiatement inscrire aux livres une provision pour les pertes potentielles futures à hauteur, par exemple, de 50%. Après tout, les conditions du casino sont telles que les chances de gain ou de perte sont de 50-50, donc nous faisons immédiatement une provision équivalente. »

Si la profession comptable avait tranché ainsi, on peut être certain qu’aucune institution financière ne se serait lancée dans l’aventure virtuelle des dérivés. Et le monstre n’aurait jamais vu le jour.

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Classé dans Actualité, Yan Barcelo