Yan Barcelo, 17 octobre 2009
Après avoir traité du SIDA de civilisation dont nous sommes affligés dans les domaines de l’économie, de l’art et de « l’éthique », je tourne maintenant mon projecteur vers le tissu social.
Les syndromes sociaux de notre SIDA sont nombreux, mais aucun n’est plus affligeant que la destruction que nous avons fait subir à la famille et à l’éducation. Il y a encore 50 ou 60 ans, la société reposait sur trois piliers interreliés : famille-éducation-religion, une triade où la religion exerçait la fonction de régulateur.
Les trois membres de cette triade sont maintenant saccagés et aucun arrangement ne s’est présenté encore pour réparer les dégats et reconstruire un nouvel équilibre autour de cette institution fondamentale qu’est la famille.
Qu’est-il arrivé à la famille ? Voyons d’abord un peu à quoi son image traditionnelle pouvait ressembler. La mère était au foyer, le père oeuvrait à l’extérieur, les enfants allaient à l’école et rapportaient leurs devoirs à la maison ; on se réunissait autour de la table à presque tous les soupers et en plusieurs autres repas. L’autorité paternelle était souvent incontestable et dure ; et elle était appuyée et secondée par les réseaux religieux et scolaire. Il ne faut évidemment pas tomber dans l’imagerie sentimentale et se rappeler que les problèmes abondaient : alcoolisme, inceste, violence, répression affective, etc.
Mais l’enfant, circulant à travers les trois membres de cette triade, recevaient des messages cohérents qui concourraient tous à développer chez lui des vertus sur lesquelles on s’entendait tous et sur lesquelles on s’entend encore : discipline, responsabilité, sens du devoir, honnêteté, honneur.
Surtout, la famille était le lieu où la personne était nourrie et constituée dans son éducation sentimentale : on apprenait aux jeunes à ne pas prendre leurs désirs pour des réalités, à honorer leur parole, à distinguer les vrais amis des faux ; à la jeune fille, on l’incitait à ne pas s’emporter pour tous les garçons dont elle s’entichait, au jeune garçon, à choisir une femme sensée.
Tout cela a commencé à se désagréger à partir de la décennie 1960. Sous les vents de la révolution sexuelle, de l’invasion des médias et de l’idéologie de la satisfaction instantanée, tout cet écheveau a été démonté pièce par pièce. Relativement close sur sa dynamique interne, la famille a été éventrée de toutes parts. Les séparations et les divorces, jusque-là l’exception, sont devenus une quasi-majorité. Les liens parentaux se sont défaits et refaits au gré des nouveaux arrivages des conjoints : belle-mère, belle-mère2 et belle-mère3 ; idem du côté du père et de sa cohorte de substituts. Les femmes ont délaissé en masse le foyer pour se vouer à un travail ou à une carrière. Les enfants se sont déplacés vers la garderie et, en continuité avec le passé, vers l’école.
Mais quand ils revenaient de l’école, ils débarquaient le plus souvent dans une maison vide où leur principal interlocuteur était un poste de télévision, un système audio, aujourd’hui l’Internet et son paysage intellectuel éclaté.
Lentement et sûrement, toute la cohérence qui infusait autrefois l’institution de la famille a été abolie. Bien sûr, les parents et les professeurs des enfants essaient encore d’enseigner aux jeunes les valeurs de la discipline, de la parole donnée, de la bonne entente, de l’honnêteté. Mais ces messages sont contredits quotidiennement par une multitude de canaux qui parlent bien plus forts et de façon bien plus séduisante et excitante que les parents et les professeurs. Qu’il s’agisse de la musique rock et de toutes ses infinies variations (rap, techno, alternatif, etc.), de la télévision, de nombreux jeux vidéos, de la publicité, on les encourage à satisfaire leurs pulsions et leurs envies illico presto, surtout du côté de la sexualité, à tout mettre sur une carte de crédit, à mépriser toute autorité (parents et professeurs en premier lieu), à émuler la violence ; aux garçons, on dit de se trouver des poulettes, aux filles, des mecs.
N’y a-t-il que cela dans tous ces médias ? Bien sûr que non. On chante encore l’amour romantique, la fraternité ; on montre de belles initiatives de solidarité ; on encourage la curiosité et la découverte, parfois même la spiritualité. Mais il est indéniable que le côté capricieux, sexuel, licencieux, violent est massivement présent, peut-être même dominant. Si on compare ces contenus et messages à ce qui pouvait être prévalent en 1930, par exemple, le niveau de discordance et d’incohérence est tout simplement déroutant.