Archives quotidiennes : 23 novembre 2009

Arrière, les livres !

C’est une provocation. Je prendrais le dernier livre souffreteux par la main avec compassion pour lui faire traverser la rue… Mais il reste que cette chère vieille chose a fait son temps et que je n’irai pas au Salon du Livre cette année. Je n’ai raté les Salons, au cours des dernières décennies, que quand  je n’étais pas à Montréal. Cette année, je décide de ne PAS aller au Salon du livre. Je tourne la page.

Pourquoi ? Parce que, comme c’en est le slogan cette année sans qu’on y voit l’ironie, le Salon du Livre  est  » Une affaire de famille ». C’est la grand messe d’une clique qui veut se garder un droit de cuissage sur la culture. En fermant leur porte aux éditeurs électroniques, il y a quelques années, les éditeurs, libraires et autres serviteurs du papier contre la pensée ont raté un virage crucial. Ils sont devenus une partie du problème contre la solution et ils vont maintenant disparaitre. Les choses changent…

L’Histoire commence avec l’écriture. Dans ce qui vient avant, on cherche des traces, après on lit les signes. Si l’humanité a fait quelques pas depuis 5 000 ans, c’est surtout parce qu’on a pris des notes et qu’on a ajouté une mémoire collective à nos mémoires individuelles. On a vite compris qu’on voyait plus loin si on grimpait sur les épaules des autres. Celles des « géants », comme Bernard de Chartre l’aurait dit et comme Newton l’a fameusement répété. Or, les épaules des géants, ce sont les textes qu’ils nous ont laissés.

Quand est venue l’imprimerie, des nains on pu se joindre aux géants pour amonceler leurs pierres et la pyramide du savoir s’est élevée plus vite. Lecture, réflexion, découverte, science, techniques… En haut de la pyramide du savoir, à laquelle chacun peut contribuer, on a trouvé l’industrie et l’abondance. Quand le Times, pour marquer l’An 2 000, a choisi Gutenberg comme « Homme du Millénaire », ce n’était vraiment pas bête.

Malheureusement, quand le savoir apporte la richesse, le pouvoir est jaloux du savoir. L’Église, d’abord, s’est approprié l’écrit et a bâti un mur d’interdits : ne montait pas qui voulait à la pyramide du savoir. Pas les femmes, pas les pauvres, pas les autres… Alors la pyramide a grandi, mais moins vite que si on avait tous pu y grimper et apporter son caillou. Dommage…

L’Église est partie, mais même aujourd’hui, ne monte pas qui veut au savoir. Il y a un guichet et un prix à payer pour lire et savoir. A l’entrée, comme cerbères, il y a la faune des éditeurs, imprimeurs, distributeurs, agents, libraires et que sais-je qui barbotent autour du livre, pour contrôler et faire payer l’accès à l’écrit et à la culture. Oh, il y a bien quelques petits sentiers qui permettent de se faufiler et d’atteindre la connaissance sans payer le prix qu’en exigent ceux qui la tiennent en otage, mais il faut se battre… ou tricher.

Heureusement, avec l’Internet, est venue la possibilité concrète de donner à tous l’accès à toute connaissance et à toute culture. Le temps est venu de la bibliothèque universelle, virtuelle, globale, exhaustive. L’objectif  final, c’est que tout ce qui a été écrit et qu’on a conservé, tout ce qu’on a publié et tout ce qu’on publiera soit disponible en ligne.

Pas seulement la littérature, dite grande ou petite, mais aussi les journaux, les périodiques, les manuels et tout le corpus des travaux de recherche scientifique que leurs auteurs souhaitent publier et qui constituent l’état de la science et de la technique. Il faut que tout ça puisse apparaître à l’écran de l’usager et être imprimé à sa discrétion SANS FRAIS. Il est impérieux qu’on abatte le guichet et qu’on mette hors d’état de nuire  ceux qui sont en fait les geôliers de la culture.

Crucial, car si tous peuvent avoir accès à tout ce que la mémoire collective a accumulé, chacun partira de plus haut pour aller poser sa pierre. La pyramide grandira BEAUCOUP plus vite. C’est la voie du progrès, du développement, de l’enrichissement comme du plaisir qu’apporte la culture. L’humain a choisi l’arbre de la connaissance. Il faut en cueillir tous les fruits et inviter tout le monde à table. TOUT ÊTRE HUMAIN A DROIT À TOUTE LA CONNAISSANCE. Nous devons tous avoir accès à tout ce qui a été écrit depuis toujours. C’est notre patrimoine.

C’est le devoir et ce doit être la responsabilité de la société de s’approprier toute connaissance et toute culture et de les mettre gratuitement à la disposition de tous ses citoyens. C’est à l’État, mandaté par nous tous, de rémunérer les auteurs et tous les créateurs pour les motiver à produire plus et mieux, mais la propriété de ce qui est pensé et créé ne peut être que collective et son usage ne peut être que libre pour tous. L’État qui ne le fait pas ne fait pas son travail.

Pour nous, francophones, c’est  la culture française qu’on trahit en ne le faisant pas, car la prochaine génération ne prendra connaissance que de ce qui aura été numérisé. Or, la Bibliothèque Nationale de France, qui détient 13 000 000 de documents, n’a réussi à ce jour à en numériser que 300 000 en format texte – environ 2% ! – et l’Association des archivistes français déplore la disparition de la Direction des archives de France, diluée dans une « Direction générale des patrimoines de France »…

Pendant qu’on tergiverse, Google a numérisé 10 000 000 de documents aux USA, presse le pas et part même en croisade pour sauver aussi les « petites cultures », numérisant tout gratuitement, contre l’engagement d’un accès public gratuit. C’est ainsi qu’on est à compléter la numérisation de la bibliothèque de Barcelone, en catalan… Google est le Chevalier qui vient abattre le mur et libérer la pensée. Il y parvient en deux (2) opérations dont les effets se complètent.

La première, c’est cette numérisation de tous les documents écrits. Un travail colossal, mais indispensable dont j’ai parlé il y a longtemps. La deuxième, c’est une procédure pratique et efficace que Google vient d’annoncer, pour rémunérer ceux qui écrivent.

Il était difficile de payer sur Internet de tout petits montants. Google va intervenir pour consolider les petits paiements de chaque lecteur à tous les auteurs… et les versement à chaque auteur de ses nombreux lecteurs. Chaque auteur pourra ainsi devenir autonome et vendre lui-même sa prose, dont Google fait aussi la promotion méthodique. Intelligente. Gratuite.

Aujourd’hui, l’auteur ne touche que 6, 8 ou 10% des 20, 30, 40 euros que coûte un bouquin. Via l’Internet et Google, l’auteur ne touchera peut-être que 1/100e ou 1/200e de centime du mot pour ses écrits, mais à ce prix, des dizaines ou des centaines de milliers, voire des millions de gens voudront le lire…. C’est par là que passe la rentabilité future du métier d’écrivain.

Numérisation et micro-paiements permettent de briser les barreaux de la prison et de libérer la pensée. Google, bien sûr, veut aussi numériser la France, à la rage folle de l’élite de ce qui y scribouille. Le Syndicat national de l’Edition française (SNE), ne veut pas comprendre que Google est là pour aider notre vieille connaissance, Quidam Lambda –  héritier de la même culture que le SNE et qui paye sa quote-part de son entretien – mais à qui on n’envoie pas des exemplaires gratuits des espoirs au Goncourt et au Renaudot, lui. pour avoir son avis.

Le SNE ne comprend pas que QL, qui paye pour ses livres, en a marre de les payer au prix fort, pas pour mettre du beurre sur les épinards des écrivains, mais pour faire vivre la faune des geôliers de la culture. Le SNE qui a visiblement fait le choix de grenouiller et de grouiller, monte aux barricades contre le projet Google.

Le 4 septembre dernier, le Ministère de la Culture et de la Communication a adressé, ses observations au tribunal américain chargé de vérifier la légalité des ententes entre Google et les autres intervenants. Le SNE allégue que l’intervention de Google est “non conforme” au droit de la propriété intellectuelle et au droit de la concurrence.

Même son de cloche à l’occasion des auditions de Google Books devant la Commission européenne : “Cette affaire (intervention Google gratuite) pose une question de principe” : le respect du droit d’auteur qui garantit la rémunération des créateurs et fonde la diversité culturelle », qu’il nous dit le  SNE….

Bullshit (selles de bœuf) ! Tout le monde est pour la rémunération des créateurs. Il faut seulement affirmer que c’est à l‘État de le faire, selon le consensus social et d’assurer ainsi vraiment l’égalité d’accès au savoir et à la culture. Tout le monde est aussi pour la diversité culturelle. Il faut simplement cesser de dire des âneries et favoriser la diffusion des diverses productions culturelles si on veut qu’elles survivent.

Il est temps de dire que, comme vecteur d’un message, enveloppe d’une oeuvre, contenant d’un contenu, le livre est l’accessoire. C’est un bel objet qui a sa place dans les musées, mais il n’y a plus de raison pour que tout ce qui est écrit ne soit pas accessible à tous. Il est temps que l’âme de l’écrit échappe à son enveloppe matérielle et s’envole, immortelle, sur les ailes de Internet. LIBRE.

Vivement la pensée en liberté ! J’aurais préféré que l’État la libère, mais peut-on espérer une bonne action de ceux qui ont imaginé HADOPI ?  Ici, c’est Google le preux chevalier. On peut trouver que Du Guesclin est laid et dire qu’on n’aime pas les Bretons… mais c’est lui qui vient sauver la France.

Le SNE et ceux qui le soutiennent concoctent une mixture délétère de chauvinisme et de corporatisme qui leur permettrait de momifier la culture francaise. Il faut les ignorer. Tout ce qu’à pensé l’homme est à toute l’humanité. Google va numériser ? Vivement Google. En France et au Québec.

Les livres ? J’adore… Mais la culture ne passe pas par là.   Le Salon du Livre, rencontre annuelle de élites québécoises cultivées, est un événement touchant, mais qui nous retarde.  Bien gentil, mais aussi  anachronique que le Bal des Débutantes ou une neuvaine à Ste-Anne. C’est l’édition électronique qu’il faut encourager, Pas la promotion des bouquins à 30 ou 40 dollars.

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Pierre JC Allard

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