Yan Barcelo, 28 novembre 2009
N’ayant pas eu le temps de répondre à des commentaires depuis ma dernière chronique, j’aimerais le faire dans celle-ci en traitant de certaines objections à niveau général. Ce n’est qu’à la fin que j’aborderai un point plus spécifique relativement au travail de Charles Darwin.
Le fait que je livrais un extrait, donc un passage seulement, d’un spectacle plus large, a pu mener certains à conclure que je suis contre la science ? Certes, non ! Contre le scientisme ! Radicalement !
S’il y a une entreprise à laquelle j’adhère d’emblée, c’est bien celle de la science. Ce vaste projet d’enquête qu’elle a initié il y a plus de 300 ans est un des phares de l’humanité. Un sommet intellectuel et spirituel qui témoigne de la grandeur et de la noblesse humaines. Et j’adhère autant à la petite sœur de la science, la technologie. Sur le plan qui lui est propre – l’enquête systématique des phénomènes pour en comprendre la composition et l’opération – la science emporte mon adhésion totale.
Là, ou je décroche, c’est quand elle transpose au niveau métaphysique ses observations pratiques – quand elle devient scientisme.
La science part de constations « mécaniques », observant des éléments et des forces en interaction, et en extrait des lois – ou constantes – le plus possible universelles. Il est évident que sur ce plan, toute perception d’une causalité première ou d’une finalité lui échappe.
Cependant, nombre de scientifiques et de commentateurs n’hésitent pas à faire le saut au plan métaphysique. Un saut que je récuse. Parce qu’ils n’ont aucune vue sur les causes première et les fins dernières, ils décident de dire que toute la « mécanique » universelle relève du plus pur hasard, d’un déterminisme parfaitement aveugle et aléatoire.
C’est un geste de fermeture injustifié et, au plan intellectuel, illégitime. S’il est une chose que les avancées de la science nous ont montrée, c’est que l’univers est profondément, inimaginablement mystérieux. Ce mystère laisse totalement ouverte autant la question du Hasard que celle de Dieu. Choisir un côté ou l’autre relève totalement de… la foi : croire en Dieu ; ou de la non-foi : croire au Hasard. Dans les deux cas, le choix relève de la foi, non de la science. Et, sur ce plan, vouloir faire une opposition entre foi et science est parfaitement farfelu et malvenu. Il s’agit d’entreprises humaines qui se situent sur deux plans totalement différents. Autant comparer des oranges et… des météorites ! D’ailleurs, l’histoire nous livre le témoignage de la plupart des grands scientifiques chez qui science et foi faisaient très bon ménage. Einstein en est l’incarnation la plus éloquente.
Cependant, choisir de basculer du côté du Hasard et de l’Aléatoire porte un prix très lourd au plan des civilisations et des personnes. Ce prix est celui du désespoir, un désespoir dans lequel la science n’est qu’un contributeur parmi tant d’autres. Ce désespoir pèse de façon de plus en plus brutale sur nos sociétés où nous croyons de moins en moins aux grands transcendants qui ont animé tout notre héritage intellectuel, soit le Bien, la Vérité, le Beau. Nous versons imperceptiblement du côté de la Violence, de l’Opinion, de la Laideur.
Au niveau individuel, ce désespoir auquel contribue la science fait en sorte que les personnes voient leur vie uniquement dans les termes d’un parcours sur cette Terre, et non d’un destin qui s’inscrit dans un parcours cosmique. On est de plus en plus obsédé avec les conforts et les complaintes du corps, de moins en moins avec les besoins et les devoirs de l’âme. Ce matérialisme impose de plus en plus sa logique, qui est celle de la force, de l’indifférence à autrui et d’une peur maniaque de toute souffrance.
Je termine avec un aparté au sujet de Darwin. Un superbe travail d’enquête que celui de Darwin et, là encore, sur le seul plan des phénomènes des espèces, il est irréprochable. Mais de là à élever au niveau d’une dogme religieux et absolu sa loi de la survie de l’organisme le plus ouvert à l’adaptation, il y a un grand pas que je ne suis tout simplement pas prêt à faire. Car il s’agit, là encore, d’une « loi » vouée au credo du hasard et de l’aléatoire. Et son universalisation constitue une boursouflure illégitime quand on considère qu’elle ne s’applique que de façon très partielle aux adaptations à l’intérieur d’une même espèce et n’explique en rien les sauts quantiques qui prévalent souvent entre espèces.
Tenter d’expliquer à l’aide de la « loi » de Darwin l’émergence de l’œil, de l’odorat, de la sensibilité cutanée tient d’exercices qui sont tout simplement farfelus. Chaque fois que j’en ai lu un compte-rendu, il était évident qu’il s’agissait d’une tentative désespérée d’ajuster des faits imaginés à une théorie qui ne peut les contenir.
Comment croire qu’un organisme, aveugle jusque-là, qui commence à développer une capacité de voir, soit mieux « adapté ». L’afflux massif de nouvelles informations qu’un tel organe est susceptible de causer justifierait davantage un état de terreur catatonique permanente qu’un comportement « adapté » et souple face à un environnement devenu soudain prodigieusement menaçant.
Il ne fait pas de doute que la travail de Darwin a introduit l’humanité à une nouvelle façon de penser la vie d’une façon dynamique, en rupture avec un monde où l’impératif statique dominait. Mais ce n’est qu’un petit pan – quoique crucial – de la logique de la vie qu’il a ouvert. Vouloir en faire LA loi fondatrice de l’évolution, une loi régie par le hasard le plus aveugle, tient de la caricature intellectuelle.
Je reviens à la proposition que je mettais de l’avant dans ma dernière chronique. Si on suit la logique de Darwin, l’organisme le mieux adapté à l’univers de brutalité et de violence aléatoire que nous propose Darwin et tout le scientisme à sa suite, ce n’est certainement pas l’humain. Pas même l’orang-outan ni même la tortue. C’est le caillou. Ah, cette paix profonde et insondable du minéral. Pourquoi diable aller se soumettre à tous les tourments et les tortures de l’évolution ? Vivement la carcasse indestructible du rocher, auprès de quoi celle de la tortue paraît… une singerie.