Archives quotidiennes : 3 janvier 2010

SIDA de civilisation : la société (5 / 8)

Yan Barcelo, 2 janvier 2010

Le film Avatar est un symptôme éloquent du SIDA de civilisation dont nous souffrons. Voici l’essentiel de ma critique : à l’aide d’un arsenal technique dernier cri qui a englouti la modique somme de 500 M$, Hollywood nous dit que la technique et la science sont mauvaises et détruisent la nature.

Évidemment, le film se laisse voir avec plaisir. Le monde naturel qui nous est présenté est un ravissement pour les yeux et la trame est nette et absorbante. Et bien sûr, comme c’est presque toujours le cas, Hollywood n’a qu’un rapport très épisodique avec la réalité et ne nous sert que du mythe. Plus payant.

Mais trois choses m’indisposent dans ce film. Tout d’abord, il y a le thème facile de la hargne à l’endroit de la technique et, par association, de sa génitrice, la science. La scène cruciale du film est évidemment celle où tout l’arsenal des machines volantes de guerre est massé devant le gigantesque « arbre-maison » pour l’incendier et, finalement, l’abattre. C’est un affrontement manichéen entre la technique – méchante – et la nature – si bonne et innocente.

Faire dire au film qu’il condamne entièrement technique et science n’est pas juste. Il y a une part de ces deux disciplines qui est mise en valeur dans le film : celle de la virtualité, qui permet au héros de se « réincarner » en « avatar ». D’ailleurs, le titre du film lui-même emprunte ce mot à l’univers virtuel des zones de jeu en ligne – par exemple, le site Second Life -, un mot qui vient de la religion hindouiste où le mot « avatar » identifie la divinité qui prend temporairement forme humaine.

Or, cette virtualité est justement un des aspects les plus troubles et potentiellement les plus pervers de la technologie et de la science informatique. Tout le domaine des simulateurs – que ce soit en ingénierie ou en pédagogie – apporte une contribution majeure, mais l’intérêt de la virtualité numérique est moins évident. Je questionne le bien-fondé d’attirer des centaines de milliers de gens en ligne pour leur faire vivre une vie empruntée à travers un avatar, les éloignant encore plus de la réalité que ne le font la télévision et les médias de masse.

Le film atteint ainsi deux objectifs idéologiques pervers. D’une part, il fait une condamnation en bloc d’une civilisation où les contributions de la technique et de la science ne livreraient que la « fine fleur » des armes de destruction massive. Pourtant, les caméras et les studios de post-production numériques, les systèmes de projection, même les immenses réseaux de production et de distribution électrique, qu’est-ce que c’est, sinon certaines « fines fleurs » de la technique et de la science?

D’autre part, le film fait l’éloge d’une technique et d’une science dont le propos le plus évident est d’assurer une évasion massive de la réalité.

Mon troisième point critique dénonce l’éloge que fait Avatar de cette nouvelle religion de la Terre qui prévaut et dont une faction écologique est devenue la secte fondamentaliste. On retrouve ici presque tous les mythes fondateurs de la charge anti-occidentale et anti-chrétienne qui prévaut depuis plus de 150 ans : le mythe du « bon sauvage », de la nature bonne et bienveillante, cette nature elle-même mue et inspirée par la Grande Déesse si bonne et bienveillante, nouvelle incarnation de l’antique Gaïa. On trouve ici tous les éléments factices qui se présentent comme la face souriante, très « relations publiques », des anciens paganismes.

Évidemment, cette nouvelle mythologie de la Terre porte en son sein une critique implicite de l’univers chrétien axé sur un Dieu macho qui a commandé à ses fidèles de subjuguer la Nature.

Le problème avec cette religion de Gaïa est qu’elle s’avère prosaïquement paroissiale. On divinise cette petite planète, un infinitésimal grain de sable dans l’immensité de l’univers, et on fait fi de tout les vastes dynamismes et équilibres cosmiques dont notre planète Terre est tributaire. Une telle vision apparaît désespérément infantile, recroquevillée, primitive, surtout venant après des siècles de réflexions théologiques alimentées par les apports de la science, de l’hindouisme et du bouddhisme, réflexions qui nous ont livré une compréhension du Divin comme étant une transcendance-immanence, à la fois dépassant et intégrant tous les dualismes, notamment celui du féminin et du masculin.

En bref, Avatar se présente comme un produit parfaitement décadent dont le message contredit radicalement les vastes moyens financiers et techniques mis en branle pour le réaliser. C’est un produit hautement technique, héritier de tout le vaste héritage scientifique, technique, philosophique, politique, économique et social de l’Occident, mais dont le message dévalorise et sabote cet héritage lui-même.

7 Commentaires

Classé dans Actualité, Yan Barcelo