Yan Barcelo, 16 janvier 2010
Après avoir jeté un regard la semaine dernière sur les familles reconstituées et les familles monoparentales, plus près du modèle familial classique, jetons un coup d’œil cette fois-ci sur une « famille de pointe ».
Denise est bi-sexuelle, mais verse davantage du côté de l’homosexualité. Il y a trois ans, à l’âge de 40 ans, elle a eu un garçon, Germain, dont elle est totalement entichée. Elle connaît depuis 15 ans le père géniteur de l’enfant, Rock, un homosexuel qui partage sa vie depuis 11 ans avec un homme, ce dernier père d’un enfant. Dans la jeune vingtaine, Rock a eu des relations avec des femmes : deux on subi un avortement, une à son insue. Puis une troisième, après un premier avortement, a donné jour à un enfant que Rock voit régulièrement.
Depuis toujours Denise voulait un enfant, à titre de mère seule, s’il le fallait. Rendue à la fin de la trentaine, elle a jugé que c’était maintenant ou jamais. Après un processus qui a duré trois ans au cours duquel elle a eu recours à des procédés « maison » d’insémination à partir du sperme de Rock, elle a donné jour à Germain. À ce moment-là, elle vivait avec une compagne, Séramis, dont elle s’est séparée depuis, mais avec laquelle son fils et elle gardent contact. Mais le processus de procréation avait été enclenché bien avant que Séramis n’entre dans l’équation.
Rock voit son fils une ou deux fois par semaine, selon un modèle informel qui ressemble à celui de plusieurs familles reconstituées. Séramis, pour sa part, vient aider Denise, à la demande en quelque sorte. Quant à Denise, elle n’envisage pas de se lier à une personne pour l’instant, homme ou femme.
On pourrait parler de l’arrangement comme d’une tri-parentalité : la mère au centre (Denise), un père épisodique (Rock) et une « co-mère » à la demande (Séramis).
Denise s’en prend aux arguments des besoins de filiation généalogique et symbolique qu’on oppose à la monoparentalité volontaire. « Il y a tant d’enfants qui n’ont personne autour d’eux et qui sont dans la misère, me disait-elle en entrevue. Que les gens s’en occupent et cessent de focaliser sur la petite exception parce qu’elle les dérange. » Puis elle poursuit sur un thème bien connu, mais un brin court : « À partir du moment que tu donnes de l’amour à un enfant, qu’est-ce que tu veux de plus? »
Un tel modèle « éclaté » demeure une exception encore, mais au fil des ans, les « familles » de ce type et nombres de leurs variantes se multiplient. Une clinique de fertilité comme OVO, à Montréal, une des plus importantes au Canada, avait aidé en 2007, après quatre ans d’opération, une centaine de lesbiennes à donner jour à un enfant, très souvent à partir d’un donneur anonyme. Dans des cas plus extrêmes, on avait affaire à un transexuel accompagné d’une femme déguisée en garçon, le transexuel demandant que son sperme soit conservé pour permettre un jour à son conjointe de pouvoir enfanter.
On peut se demander comment seront taillés les enfants issus de telles familles? Comment réagira-t-il quand on lui dira que son père n’est pas « tout-à-fait » son père, qu’il est dans une certaine mesure l’orphelin d’un donneur anonyme? Ou encore, comment préparer un enfant à apprendre que sa mère lesbienne ne voulait pas de père, qu’elle voulait un enfant seulement pour elle-même?
Devant tout ce portrait bigarré ressortent quelques raisons de scandale. La première ne tient pas à la situation particulière du trio familial dont j’ai parlé plus haut. Il tient à la situation légale très particulière du Québec. En 2004, le Québec était le premier pays, et il demeure à ce jour le seul à avoir passé une loi qui rendait légale la parentalité homosexuelle et la double maternité. On est passé d’une situation de fait – où comme on le sait, nombre d’enfants se retrouvent avec un père ou une mère homosexuelle – à une situation de principe.
Le scandale tient à ceci : tout cela s’est passé sans le moindre débat de société! En une journée, sur l’impulsion sans doute bien intentionnée du ministre de la justice d’alors, le Québec a annulé des millénaires de pratique où le fondement de la famille reposait sur le rapport entre un homme et une femme. D’un coup, cette nouvelle loi normalisait les familles où on se retrouve avec deux pères et, surtout, avec deux mères sans pères. C’est un ébranlement extrêmement profond que nous avons fait subir là à une institution millénaire. Et nous l’avons admise, sans questionnement, sans discussion, au nom du grand principe intellectuel de l’ouverture, un principe qui relève davantage du terrorisme intellectuel – malheur à celui « qui n’est pas ouvert »!
On soupçonnera que je ne suis pas d’accord avec les parentalités homosexuelles. Leur émergence est le résultat d’une hypertrophie de la dimension affective de la parentalité en oubliant tous les autres aspects structurants de la parenté comme sa dimension symbolique, généalogique, sociale, économique et légale. Comme dans tant d’autre chose, on procède à une réduction uni-dimensionelle où on privilégie la subjectivité la plus narcissique et recroquevillée sur les affects et les émotions du moi-moi-moi aux dépens des dimensions objectives de la société, de l’économie et de la perpétuation de la race.
Comprenons bien : j’admets très bien dans les faits que des enfants se retrouvent avec des parents homosexuels à la suite d’une séparation entre conjoints. Je connais d’ailleurs de tels parents qui s’avèrent tout à fait attentionnés et compétents. Mais de là à transformer cette situation de fait à une situation de principe, il y a un pas immense que je refuse de franchir.
Qu’on l’ait fait montre l’abrutissement intellectuel, moral et spirituel profond de notre société québécoise. C’est un cas patent où l’ouverture devient une imposture. Il faut plutôt parler de SIDA, cette maladie étant évidemment l’actualisation d’un organisme totalement ouvert au point de ne plus être capable de préserver son intégrité et sa survie.