La chute du Prince… était sinon annoncée, du moins prévisible : une fois son mentor parti, il est évident que le responsable de Blackwater aurait quelques ennuis judiciaires, tant il avait profité de protections durant l’ère W.Bush, dont il était beaucoup plus proche que ce qu’il avait pu en dire. Ses ennuis ont commencé juste après l’élection de Barack Obama, le départ de l’administration Bush ayant laissé des paquets complets de dossiers de plaintes diverses bloquées en haut lieu sur ordre présidentiel. Aujourd’hui, le responsable de Blackwater se voit accusé de trafic d’armes, de proxénétisme aggravé et de meurtre, pas moins, et par d’anciens employés. Révélant ainsi une conduite purement mafieuse, celle d’une société de mercenaires qui n’a pu prospérer que sur des protections politiques. Mais l’histoire de l’ascension fulgurante de cette société révèle surtout une sous-jacence idéologique, celle de quelqu’un qui se prenait comme G.W.Bush pour un croisé parti en guerre contre l’Islam, et en tant que tel prêt à absoudre tous les massacres ou les assassinats au nom d’une religion. Si Eric Prince a fait fortune, c’est parce qu’on la choisi comme profiteur de guerre ayant les mêmes idées que le président des Etats-Unis du moment. « With god on our side » aurait pu être sa devise, à lui aussi.
Des avions, donc, disions nous dans l’épisode précédent, et des hommes. Regroupés au camp de Shkin : c’est le magazine Time qui décrira en octobre 2003 ce trou perdu, comme étant la « pire place au monde« . Où végétaient 300 soldats, régulièrement attaqués par les talibans mais aussi parfois par les fameux Frontier Guards, d’autres mercenaires en réalité. Surnommée la « Fire Base Puchi Gar » (en pachtoune la « merde de chien ») par les hommes de la « Special Activities Division« , la branche paramilitaire de la CIA, où figuraient d’anciens commandos passés civils, recrutés par cette même CIA ou par… Blackwater, travaillant sous contrat…. pour cette même CIA. Parmi eux, Christopher Glenn Mueller, mort en mission secrète à 32 ans, le 25 octobre, 2003, ancien Navy Seal et agent de la CIA, parti lui aussi paraît-il à la recherche de Ben Laden, selon la version officielle. Dans l’une des dernières conversations téléphoniques qu’il avait eues avec son père, il parlait de « l’anneau d’or », nom de code pour le dernier cercle des commandants en chef d’Al Quaida, dont il s’approchait paraît-il. Mais aussi Carlson William « Chief » Francis un véritable indien Blackfoot du Montana, mort à 43 ans, ancien Ranger, Green Beret et Delta Force (fichtre !), et lui aussi ancien de…. Fort Bragg (encore !), dont le nom de tribu était « Isinamakan » (Ee-seen-ah-MAH-kan), qui signifiait parait-il « celui qui pointe son pistolet » On ne possède que fort peu de clichés de lui, mais l’un d’entre eux le montre le M-16 en bandoulière, habillé à la mode pachtoune, les rangers au pied. La BBC avait relaté leur disparition le 28 octobre 2003. mais sans donner beaucoup de détails sur leur mort au combat en héros « en sauvant des camarades ». IEDs, tirs nocturnes de mortiers, mais surtout snipers embusqués à Shkin, tout rendait la vie difficile. Souvent, le drapeau adverse n’est pas très loin en effet.. quand les soldats y meurent, comme le sergent Arthur L. Lilley, on ne peut que constater leur provenance : Fort Bragg !!
Le 21 mai 2004, une cérémonie discrète présidée par Georges Tenet avait eu lieu en leur honneur au siège de la CIA. Appartenir à la CIA n’apporte jamais la gloire, même posthume. En tout cas, en 2003 donc, des contractants civils, même si c’étaient d’anciens des forces spéciales, s’activaient déjà en Afghanistan sous la bannière de la CIA. La « découverte » d’un contrat « secret » qui n’aurait « pas eu le temps de se mettre en place« , selon Panetta, ne tenait donc pas, comme explication. Les troupes spéciales citées n’avaient pas des curriculum de gardes d’enfants semble-t-il. Faisait-ils tous-deux partie de Blackwater ? Travaillaient-ils pour la CIA ? Très certainement, car leur mort leur a valu d’avoir leur étoile d’ajoutée au mur des disparus « en action » de la CIA, ce qui n’arrive pas à tout le monde, avouons-le (il serait intéressant de dépêcher quelqu’un là-bas pour voir si Vincent Carnaby a hérité de la sienne, d’étoile !).
Le petit avion qui les emmenait avait aussi ailleurs, notamment en Califormie, à Potrero, près de San Diego en juin 2007, où un projet d’implantation d’un camp d’entraînement de Blackwater avait mis en fureur les habitants de la contrée. Blackwater, après 2001, grandissait à vue d’œil, nourri des mirobolants contrats du Pentagone, et la société cherchait à se bâtir un complexe d’entrainement digne de ce nom, présentant toutes les facilités d’un camp militaire d’entraînement au combat : parcours de combattants, stands de tirs, fausses habitation pour s’entraîner à la guérilla urbaine, etc. Les résidents alentours étant furieux de l’apprendre, et obtenant en retour les attaques et des menaces de la direction de Blackwater notamment celle de du vice Président Brian Bonfiglio. Un DVD de promotion révélait en effet un énorme complexe d’entrainement aux armes à feu, au milieu d’une cuvette géographique naturelle. L’histoire, suivie de près par Jeremy Scamhill, spécialiste de Blackwater, avait fait grand bruit. Au point que le 7 mars 2008, Bonfiglio annonçait, après avoir dépensé plus d’un million de dollars en publicité et tentatives de corruption gouvernementales diverses, l’abandon du projet. Juste à côté, à El Cajon, Raymond Clark « ray » Lutz pavoisait : en qualité de COP’s Citizens’ Oversight Projects, il avait démontré par l’exemple que de simples citoyens organisés pouvaient s’opposer à des décisions gouvernementales ou régionales. A l’échelon local aussi, l’administration Bush subissait en 2008 de sérieux revers. Les habitants d’El Cajon avaient aussi pour l’occasion lutté sur un chapitre clé du pouvoir Bushien, en rappelant au président américain la séparation de l’Eglise et de l’Etat, qui existe aussi dans la constitution américaine. La déclaration des droits de 1791 interdisait clairement l’existence d’une religion officielle, tout en respectant le droit aux citoyens d’en avoir une, insistant ainsi sur une stricte séparation entre les Eglises existantes et l’Etat fédéral. Blackwater, au même moment, voyait remonter contre elle un bon nombre de plaintes, des avocats de personnes molestées ou d’anciens employés évincés sous des prétextes commençant à accumuler les charges. Le départ de l’administration Bush, à la suite de l’élection de Barack Obama, accélérait soudainement les dossiers mis en sommeil par une justice jusqu’alors aux ordres.
L’une des charges actuelles contre Eric Prince est liée aux avions de transport mais aussi aux « jets » de la direction. Des anciens employés évincés avaient témoigné à plusieurs reprises de l’emploi de sacs de sport à bord de ces avions, de larges sacs…. contenant des armes, interdites de circulation en vol privé. Au delà de ses contrats « militaires », le patron de Blackwater aurait bénéficié de facilités pour faire circuler des armes vers l’Afghanistan, notamment des pistolets munis de silencieux, les armes typiques des opérations barbouzardes. Des armes bel et bien dissimulées aux autorités, parfois enveloppées dans du plastique transparent, et glissées dans des bacs plastiques à nourriture ou au fond des fameux sacs de sport comme avaient pu le voir et le consigner devant des juges d’anciens employés. Le Glock glissé au fond d’un Tupperware, voilà qui est original comme type de trafic. Car la taille des sacs, et leur fréquence laissait envisager autre chose qu’un simple usage au sein de l’entreprise. On sait depuis au moins deux ans que ces trafics existent, que des armes circulent partout, à voir sur les étals de Kaboul pistolets Glock ou Walther P-1 destinés normalement à la police afghane, et on apprend aujourd’hui que Blackwater aussi alimentait ce trafic, en engins semble-t-il plus sophistiqués. En « commandes spécialisées » sans doute, à voir l’arsenal affolant de certaines sociétés concurrentes. Chez les Snipers, en particulier, gros consommateurs de nouveautés, l’essentiel des mercenaires, tous des « geeks » hyperbranchés de l’armement. Or chez Blackwater, beaucoup se prétendaient être des snipers, chargés de « nettoyer » les secteurs aux tireurs embusqués. Mieux équipés que les soldats. Avec toutes les dérives que cela implique (*1)….
On croit la charrette pleine, question charge contre Blackwater, avec ce trafic d’armes, et non, un autre plaignant dépose en 2008 un énième dossier contre Eric Prince. Il ne manquait plus que les filles ? C’est chose faite, avec l’annonce d’un véritable réseau de call-girls, organisé par les deux mêmes individus qui avaient été à la tête d’un réseau de prostitution au Kosovo, devenus comme par hasard cadres chez Blackwater. Selon la déposition sous serment, en, effet, dans le staff de direction de la firme, le recours aux prostituées était monnaie courante : le syndrome d’Alan Plemel et des NOCs déjà décrits dans les épisodes précédents. Voilà qui met à mal sérieusement les convictions religieuses strictes du sieur Prince. Et quitte à s’enfoncer davantage encore dans le graveleux, certains les étranges va-et-vient dans les camps irakiens où étaient implantés les gens de Blackwater, allant jusqu’à évoquer de la prostitution enfantine. Une histoire énoncée un soir à la télévision US, chez MSNBC, dans le « show » de Keith Olbermann (quel débit !) qui n’a pas l’habitude de parler à la légère. Non, décidément, c’est bien la fin d’un règne. Toutes les turpitudes d’un Caligula sont là, dans la firme d’Eric Prince. Trafiquants d’armes, pilotes alcooliques, assassins et violeurs, les mercenaires engagés par la CIA ne lui rendent pas un fier service question image de marque. En mars dernier, une fois son mentor battu aux élections par Barack Obama, Prince quittait le navire… fortune faite, non sans l’avoir rebaptisé le mois précédent en Xe. On sait qu’en cas de changement de nom, les poursuites judiciaires seront plus compliquées encore : ne cherchons pas plus loin la raison de cet abandon de Blackwater pour Xe. A la place Prince a nommé Joseph Yorio, ancien vice-président chez DHL, et également ancien officier de l’armée, le nouveau chef des opérations s’appelant Danielle Esposito, une ancienne de Blackwater.
Parmi les autres accusations, le fait qu’Eric Prince suivait 24H sur 24 les opérations de son groupe dans une salle spécialisée, où les déplacements de ses tueurs était retransmis en direct grâce à des téléphones GPS sous satellite Thuraya (*2). Nous avions découvert le procédé lors d’un enquête sur les attentats de Mumbaï, où les assaillants faisaient de même, avec… le même matériel téléphonique, strictement. Un reportage saisissant du National Geographic nous avait éclairé sur la technique employée chez Armor Group, filmé ici (à 8’34 du début). Selon la plainte déposée, Eric Prince s’en servait pour vérifier si les assassinats programmés étaient bien réalisés… lui « monitorant » ses employés de sa base américaine de Moyock, en Caroline du Nord, via une liaison satellitaire façon drone Predator. Une des accusations citant des tirs à l’aveuglette, le soir du haut d’hélicoptères, grâce à des lunettes de visée nocturne (*3). Pour s’assurer du silence du shérif local de Moyock, Prince lui avait tout simplement offert des armes : 17 Kalachnikovs et 17 Bushmaster XM15 E2S pour sa nouvelle brigade de SWAT. Des procédés de mafieux, toujours (*4). Or selon la loi fédérale, une entité privée ne pouvait en posséder. La presse faisant remarquer l’utilité relative de posséder un arsenal de 34 fusils d’assaut dans une ville paisible de moins de 10 000 habitants. L’histoire surprenante nous apprenait surtout qu’Eric Prince disposait d’un stock personnel d’armes, en dehors des lois… Et la firme semble être allée bien plus loin encore avec ses fameux petits bimoteurs : dans un très étrange clip, on a ainsi pu voir un de des CASA 212 de Blackwater équipé par les employés d’une double mitrailleuse, façon « Spooky », le C-47 ancêtre du C-130 Spectre porteur d’affût de canon. On ne sait s’il s’agît d’un équipement expérimental seulement, mais il va sans dire qu’on est là en présence d’un matériel militaire pur, décimé à décimer des troupes… ou des civils.
Tout cela ne représentant qu’un faible échantillon de ce que peut représenter la mainmise d’Eric Prince et ses liens étroits avec la CIA, c’est pourquoi nous y reviendrons demain si vous le voulez bien !
(1) BAGHDAD — Last Feb. 7, a sniper employed by Blackwater USA, the private security company, opened fire from the roof of the Iraqi Justice Ministry. The bullet tore through the head of a 23-year-old guard for the state-funded Iraqi Media Network, who was standing on a balcony across an open traffic circle. Another guard rushed to his colleague’s side and was fatally shot in the neck. A third guard was found dead more than an hour later on the same balcony ».
(2) « The latest case accuses Blackwater founder Erik Prince of personally directing murders from a 24-hour remote monitoring « war room » at the private military company’s Moyock, N.C., headquarters.Prince was well aware that his men, including top executives, « viewed shooting innocent Iraqis as sport, » the suit says. In fact, « those who killed and wounded innocent Iraqis tended to rise higher in Mr. Prince’s organization than those who abided by the rule of law. »
(3) « On more than one occasion, the suit says, Prince’s men went « night hunting » in helicopters after 10 p.m. over the streets of Baghdad, wearing night goggles, killing at random ».
(4) » In what looks like a « straw deal, » Blackwater financed the purchase of 17 AK-47 rifles and 17 Bushmaster XM15 E2S rifles for the sheriff in the country where the company’s headquarters is located and gave the sheriff « unlimited access to those rifles for training and qualification, and state of emergency use » — but stored the weapons in Blackwater’s own armory ».