Et puis, le 2 décembre dernier le couperet tombe… pour Eric Prince. Un article vengeur du Vanity Fair déballe tout : Eric Prince, ancien Navy Seal ayant créé Blackwater, s’il avait été autant vu en compagnie de gens de la CIA, et si à de nombreuses reprises ces hommes avaient semblé bénéficier d’une étrange sollicitude de l’administration, surtout en cas de massacres intempestifs, c’était pour une raison simple : Eric Prince était bel et bien un agent de la CIA ! Ce qu’on pressentait depuis pas mal de temps dans cette série ! Attention cependant au scoop : selon Prince, interviewé par Adam Ciralsky, s’il l’avoue aujourd’hui, c’est que cela s’intègre dans sa nouvelle stratégie de défaussement. « Je me suis mis à a a disposition de la CIA pour certaines missions risquées » dit -il, « mais quand il est devenu politiquement pratique de m’évincer, quelqu’un m’a envoyé sous un bus (*1) « . Eric Prince tente-t-il avec ses révélations de sortir la tête un peu plus haute qu’il ne l’espérait ? En tout cas, son aveu mine le système élaboré par un seul homme : au travers de ces aveux, c’est l’effondrement du rôle de Dick Cheney qui se fait jour. L’homme qui pousse les autres sous les bus, après les avoir utilisés. Retour sur ce qui est déjà là-bas un énorme scandale.
Car le pouvoir précédent en place à du mouron à se faire, avec les possibles révélations à venir d’Eric Prince. Cet interview lui vaudra certainement une convocation pour venir s’expliquer devant une commission sénatoriale, si une enquête est déclenchée, sur ces actes délictueux notamment. ll a déjà témoigné pour ses employés, il risque d’avoir à le faire pour lui-même. Notamment lors de ces dernières semaines, où l’on avait appris le 10 novembre dernier que Blackwater avait tenté de soudoyer le gouvernement irakien après le massacre de Nisoor. Prince, protégé de la CIA avait-il crû que l’on pouvait acheter un ministère irakien dont la réputation de corruption n’était plus à faire ? En tout cas, la tentative a bien eu lieue !
Dans cette interview fleuve on y apprend beaucoup sur les liens entre Blackwater et la CIA, ce qui rend sa déposition du jour crédible. On y apprend aussi qu’Eric Prince avait aussi failli disparaître en septembre 2008. Selon ses dires en effet, il a échappé de peu à l’attentat dévastateur de l’hôtel Mariott à Islamabad. Or, cet aveu tardif et intempestif nous a tout de suite interloqué : selon Eric Prince, cet évangéliste, c’est « Dieu » qui l’aurait sauvé en lui trouvant un avion direct vers sa destination finale sans arrêt à Islamabad ! Nous, nous dirons autre chose : bizarrement, cette explosion imputée aux islamistes nous avait intrigué, comme nous avait intrigué la présence dans l’hôtel de forces spéciales américaines la veille encore de l’explosion. Nous avions alors cité le 717 Special Operations Squadron de Floride sur la base de Tarbella, présent pour entraîner les Frontier Corps... ces mercenaires pakistanais chargés de faire la chasse aux talibans. L’explosion elle-même, où des traces de poudre d’aluminium étaient partout présentes respirait le coup monté par des services secrets reproduisant le contenu d’une Daisy Cutter. Hamid Gul, l’ancien responsable de l’ISI avait fait part lui aussi de ses doutes sur l’attribution aux seuls talibans de l’attentat. Aujourd’hui qu’Eric Prince nous évoque le rôle de la main de Dieu pour lui sauver la vie ce jour-là, pensez bien que le doute reprend. Si ce ne sont pas les talibans, il ne reste, comme auteurs potentiels de l’attentat, que l’ISI… ou la CIA !
Ou a-t-on plutôt cherché ce jour-là à faire payer aux américains une aide à l’entraînement de ces « proxy xarriors » de l’armée pakistanaise ? En tout cas, elle en emploie aussi, des mercenaires. Blackwater aurait-t-il servi à entraîner les mercenaires pakistanais ? Très certainement dirons-nous, au vu des sources diverses que l’on possède. Ce qui est aussi mettre le doigt dans un dangereux engrenage : là-bas, on les appelle des « lashkar » (*2) (groupe armé de volontaires ou milice armée). Or des « lashkar », on en connaît d’autres, au même endroit. Celui du Lashkar-e-Toiba, notamment, de sinistre mémoire ici-même. Sachant qu’on a trouvé sur eux les mêmes téléphones Turaya qu’utilise Blackwater en Irak et en Afghanistan, on se dit que les opérations de Mumbaï, qui ont parait-il été « suivies par la CIA » qui aurait « averti » l’Inde sans qu’elle ne prenne la menace au sérieux, là encore sonne bizarre aujourd’hui avec les aveux tardifs d’Eric Prince.
Blackwater a été recruté par l’armée US après l’attentat contre l’USS Cole (*3), pour remettre à niveau les membres de la sécurité de la Navy. Puis les autres contrats sont tombés juste après Et puis sont arrivés aussi les incidents : des morts, irakiens, en grande partie oubliés pour la plupart en raison de l’immunité pour ses mercenaires obtenue par Blackwater auprès des gouvernements américains et irakiens. Aujourd’hui, apprend-t-on, Eric Prince paye deux millions de dollars par mois d’avocats pour freiner les enquêtes et les procès en cours sur les meurtres et les exactions de ces employés. Et aujourd’hui également, il a été nommé par Léon Panetta comme responsable d’une unité d’assassins de la CIA pour débusquer et supprimer les leaders d’Al Quaeda, un programme terminé avant d’avoir commencé ou presque, selon Panetta, faute de résultats tangibles. Ce qui, à la lueur de notre enquête et des épisodes précédents est faux. A Shkin, on a bien trouvé des mercenaires déclarés morts au nom de la CIA. C’était la National Resources Division de la CIA qui les avait recrutés en 2004. Dans l’interview, Prince cite William “Wild Bill” Donovan comme exemple de ces activités : or c’est le père de la CIA, fondée par lui sur les bases de l’OSS de la seconde guerre mondiale ! Une admiration pour l’homme qui va jusqu’à lui faire baptiser son plus jeune fis actuel du nom du fondateur : il s’appelle Charles Donovan Prince.
Particularité étrange du business de son père : selon lui, c’est lui-même qui finançait ces opérations de la CIA : on reste interloqué une nouvelle fois. Et on se dit tout de suite que oui, c’est possible, en échange de compensations. Et pas des moindres. Pas piquées des hannetons. Connaissant le prix de ce genre d’opérations et celui des petits avions Casa 212 qui ont servi, on ne voit qu’un moyen de paiement compensatoire, à la barbe du Congrès et du Sénat US. Vous l’avez compris, ce ne peut être que la drogue (*4) . Pour ce faire, Prince a hérité du ravitaillement des postes avancés, de la sécurité de l’ambassadeur Karl Eikenberry … et de l’entraînement à la lutte anti-drogue de la police afghane, apprend-t-on. Si c’est le même schéma que celui appliqué par la CIA en Colombie, ce qui est obligatoirement le cas, on tombe dans le cas de figure d’une police menée aux endroits où… Blackwater n’est pas en train de ramasser l’opium…
Restent les fameuses cibles décidées : Mamoun Darkazanli, le trésorier syrien d’Al Quaeda, vivant à … Hambourg, et arrêté là le 15 octobre 2004. Et relâché faute de preuves l’année suivante ! L’homme aurait été en contact avec Mohammed Atta. Les fonds dont disposait Darkazanli provenaient d’une firme saoudienne, la Twaik Group. Or Darkazanli, pour tous les observateurs, était aussi un agent des services secrets d’Arabie Saoudite, un homme très lié au prince Turki al-Faisal, lui-même à la tête des services secrets pendant 25 ans. Un homme aux deux visages, extérieurement, et farouche partisan de l’existence d’un état palestinien. Ancien ambassadeur de juillet 2005 à décembre 2006 et ancien ministre des affaires étrangères, où il a remplacé le prince Bandar ben Sultan, ce familier de Washington qui n’est pas tendre depuis avec ses anciens amis. Leur rappelant amèrement que les actions menées depuis 2001 n’ont eu de vertu que le radicalisation des mouvements islmistes. Darkazanli aurait été mêlé aux attentats contre les troupes américaines à Dhahran, contre les tours Khobar, le 25 juin 1996. La façade du bâtiment avait été soufflée par une bombe de forte puissance, tuant 19 soldats et en blessant près de 500. La façade détruite faisait penser à…. l’hôtel Mariott ! Déjà, à l’époque, la CIA est déjà remontée jusque Hambourg, grâce à des numéros de téléphone portés par un des terroristes du Kenya, Sadek Walid Awaad (ou Abu Khadija). Quatre ans avant le 11 septembre, la CIA avait déjà tracé de tout le réseau. Et avait décidé alors de ne rien faire : or on est sous Clinton encore, et non sous G..W. Bush… L’autre ciible désignée est A. Q. Khan, le père de la bombe pakistanaise… que l’on tentera d’assassiner à Dubaï. Juste avant que Musharraf ne décide de l’enfermer à résidence… lui épargnant ainsi d’être traqué par la CIA. Pardon, par les hommes de Blackwater !
Pour ces cibles, Prince avait monté au sein même de Blackwater une direction parralèle, dont la tête était Ric Prado… ancien de la CIA, déboulé en 2004 chez Blackwater. Aujourd’hui, avec le recul on sent que cette défection et se raccolage sent le téléguidé. Prado aurait débarqué avec ce projet tout ficelé… envoyé par l’homme qui tirait en douce les ficelles de toutes ces opérations douteuses : Dick Cheney bien entendu. En cas de problème, raconte Prince de façon candide, « l’ambassadeur serait venu nous sortir du pétrin »… (*5) C’est bien la preuve d’un implication de la CIA et de l’Etat, tant on a vu des ambassadeurs couvrir des actions plus que douteuses. Rappelons-nous les relations pendables d’Ephraïm Diveroli, marchand d’armes a vingt ans, fournisseur de l’armée fournissant aussi les talibans, avec l’ambassadeur d’Albanie !!
Autre dernière révélation de Prince : Blackwater aurait aussi été de l’aventure ratée contre Abu Ghadiyah (Badran Turki Hishan Al-Mazidih) en Syrie, en octobre 2008. L’incursion en territoire Syrien de quatre hélicoptères Blackhawk noirs, sans aucun signe distinctif, avait fait grand bruit à l’époque. Donald Rumsfeld avait promis un jour de privatiser la guerre : on vient de constater avec cet interview-aveu que la CIA l’est aussi devenue. On s’en doutait un peu, depuis plusieurs épisodes, Eric Prince, désavoué, et qui s’estime aujourd’hui trahi, en est l’exemple parfait !
(1) « I put myself and my company at the C.I.A.’s disposal for some very risky missions,” says Erik Prince as he surveys his heavily fortified, 7,000-acre compound in rural Moyock, North Carolina. “But when it became politically expedient to do so, someone threw me under the bus.”
(2) « Another tribe in Khyber Agency Friday raised lashkar (armed volunteer squad) to purge the area of miscreants. Elders of the Kalakhel decided to raise an armed lashkar to assist security forces in maintaining law and order in the area, also decided to demolish the houses of those found sheltering the militants. The jirga also decided to impose a fine of five millions on those violating the agreement. It is decided that the volunteers would patrol the area alongside security forces. They also decided that the personnel of the armed lashkar would also be deployed at the security check posts ». Shafeerullah Khan, political agent, Bajaur Agency, briefed the media about the role of tribal Lashkars of Salarzai and Utmankhel tribesmen against the militants. The elders of Salarzai and Utmankhel tribes also informed the media about the activities of their respective armed Lashkars against the militants. »
(3) “I was looking at creating a small, focused capability,” he says, “just like Donovan did years ago”—the reference being to William “Wild Bill” Donovan, who, in World War II, served as the head of the Office of Strategic Services, the precursor of the modern C.I.A. (Prince’s youngest son, Charles Donovan—the one who fell into the pool—is named after Wild Bill.) Two sources familiar with the arrangement say that Prince’s handlers obtained provisional operational approval from senior management to recruit Prince and later generated a “201 file,” which would have put him on the agency’s books as a vetted asset.
(4) « Since 2006, Prince’s company has been conscripted to offer this “turnkey” service for U.S. troops, flying thousands of delivery runs. Blackwater also provides security for U.S. ambassador Karl Eikenberry and his staff, and trains narcotics and Afghan special police units ».
(5) « As Prince puts it, “We were building a unilateral, unattributable capability. If it went bad, we weren’t expecting the chief of station, the ambassador, or anyone to bail us out.” He insists that, had the team deployed, the agency would have had full operational control. Instead, due to what he calls “institutional osteoporosis,” the second iteration of the assassination program lost steam ».
(6) « As a Financial Times article on Turki’s op-ed notes, « The prince’s article recalls the letters that King Abdullah, as crown prince, sent to George W. Bush in 2001, warning that the kingdom would review relations with the US unless the administration adopted a forceful push for Middle East peace. The letters rang alarm bells in Washington but were soon overshadowed by the September 11 attacks, which involved a group of Saudis. It was only after Riyadh launched its own campaign against terrorism two years later and started addressing the root causes of radicalism that ties with the US improved again. » In other words, we’ve been down this road before, to little effect ».