Archives quotidiennes : 10 février 2010

De victor Jara à Guantanamo : la même CIA (41)

On l’a vu hier, l’Amérique du Sud a vu défiler pendant des années des cartons d’aide humanitaire avec derrière, le plus souvent des hommes qui n’avaient pas le profil d’anges, et des machines qui ont parfois servi à trafiquer des élections, art dans lequel l’Amérique a pris de l’avance sur le reste du monde en imposant le pire système qui puisse exister pour la démocratie : le vote électronique. Mais il n’y a pas que cette partie du monde qui a subi ce sort : les pays récemment envahis ont eu droit eux aussi à leur dose d’autocollants USAID. L’Afrique idem, spécialement dans les pays les plus instables, notamment le Soudan, où des avions chargés d’aide humanitaire ont ostensiblement servi à transporter aussi des armes. L’exemple récent de la Georgie est là pour nous rappeler aussi que parfois ce n’est pas le carton qu’il faut regarder, mais également l’engin qui l’apporte. Retour sur les étranges façons de l’aide humanitaire gouvernementale américaine, ou la CIA n’est jamais très loin de la porte ou de la soute du cargo, du bateau ou de l’avion apportant vivres, graines Monsanto ou couvertures.

Au Soudan, c’est le ballet des IL-76 affrétés par Victor Bout qui a amené l’aide humanitaire pendant des années. Je n’y reviens pas, ayant traité ici-même le sujet à plusieurs reprises. Au Congo, au nom de la « conservation » des forêts ou des gorilles, d’autres avions et d’autres ballets ont pris place, au nom d’organismes bidons tels que le « Central Africa Region Partnership for the Environment » (CARPE) ou le « Congo Basin Forest Partnership » (CBFP), deux programmes en forme de coquilles vides servant de paravent complet à des activités militaires et paramilitaires. Parmi les généreux donateurs « humanitaires » : Douglas C. Yearly, directeur de chez Lockheed Martin et le WWF (World Wildlife Fund)… WWF et ses gorilles (de vrais gorilles !), dont ceux de la fondation Dian Fossey, qui n’a pas vraiment vu l’argent qui lui était destiné, reconverti en … Kalashnikovs.

Victor Bout sera pisté par certains membres d’USAID, qui n’hésiteront pas à jouer aux espions jusque sur le net pour dénoncer ses activités…(1) En ignorant visiblement son rôle réel. En 2004, ce sont bien les avions de Bout qui avaient pris en charge 99 tonnes de pistolets (? ??) à bord de l’Ilyushin 76 ER-IBV, destinés aux policier irakiens, via notre ami Stoffel, de la Wye Oak Technologies…. dont on avait perdu la trace… ainsi que celle des 99 tonnes d’armes transportées ! Les avions d’Air Almaty tronaient sur les aéroports des Emirats, avec devant eux les cartons d’USAID… et dedans des chargements d’armes ! Les photos destinées à la propagande humanitaire montraient parfois d’étranges coïncidences…

Au Pakistan, comme on vous l’a déjà expliqué ici, sous USAID (*2), il y avait bien du Blackwater qui se cachait, avec le cas pendable de Craig Davis dont je vous ai déjà parlé ici. Via tout un montage passant par Creative Associates International, Inc. (CAII), une toute petite firme, quasi inconnue, qui était l’employeur réel de Davis. Une société qui ne vit encore aujourd’hui quasiment que des contrats passés par USAID : 90% exactement de ses revenus sont liés à l’agence gouvernementale. Après être intervenue en Bolivie, puis en Haiti ou où elle a fait de sérieux ravages comme nous le verrons bientôt, CAII a obtenu un contrat de 157 millions de dollars pour remettre sur pied parait-il le système éducatif irakien. En fait de stylos et de blocs-notes, CAII apportait surtout… des espions sur place, de façon fort discrète.

En Afghanistan, c’est un autre problème : celui de Scott « Max » Anthony Walker , un « coordinateur de sécurité » pour un programme d’infrastructure de routes et d’approvisionnement en énergie d’ 1.4 milliard de dollars, obtenu par l’ US Agency for International Development. Des infrastructures créées par des sociétés privées américaines, dont le Louis Berger Group et Black & Veach, sous contrat avec l’armée américaine. L’homme a tout simplement obtenu 250 000 dollars en pots de vin pour que son entreprise, Black & Veach, hérite d’une partie du marché de la reconstruction : au pays de la corruption, USAID n’échappe pas non plus à la dilapidation de l’argent des contribuables américains ! Car il est vrai qu’en Irak on s’est avant tout servi, avant même de poser le premier parpaing de reconstruction ! Ce qui importe en Irak, pour la CIA, ce ne sont pas les parpaings, mais ce qu’on dit des parpaings dans les médias :  » USAID, cette même agence nord-américaine qui a consacré, en 2008, plus de 45 millions de dollars pour tenter de déstabiliser la Révolution cubaine, gère en Irak une vaste campagne de propagande destinée à présenter l’occupation du pays comme une opération humanitaire réussie. »

Car c’est simple : sous la direction d’USAID, les « assistants humanitaires » se retrouvent vite estampillés espions locaux, sous le vocable de PRT : » À force de rapports biaisés, de statistiques manipulées et de fausses prétentions, la USAID tente de convaincre le public nord-américain des succès des « Équipes provinciales de reconstruction » (PRT, en anglais) qui tentent de se manifester hors de la Zone Verte, où ses cadres résident, sous la protection d’escortes paramilitaires de la Blackwater (…) La réalité est que les PRT sont, en grande majorité, incrustés dans l’armée mercenaire, ne fonctionnent pas hors des zones les plus protégées du pays et se consacrent à corrompre de petits entrepreneurs et des agriculteurs alors convertis en informateurs des services secrets nord-américains. » Un USAID qui n’hésite même pas à présenter telle quelle la chose : « Selon Front Lines, publication officielle de la USAID, tous les agents de la USAID, étiquetés « conseillers au développement », entretiennent des relations étroites avec les troupes d’occupation dans leurs secteurs d’activité ainsi que le système de renseignement et de contre-insurrection ». Parmi les fameux projets de « reconstruction » du pays, nous vous avions déjà cité le cas d’une gigantesque.. prison, qui ne sera jamais terminée : « exemple de cet effort « reconstructif » célébré par l’agence : la prison de Khna Bani Saad, une installation pour 1 800 détenus dont le projet a été octroyé à la firme Parsons et qui ne sera jamais terminée. Depuis qu’ont commencé à s’élever les murs de l’édifice maintenant abandonné, l’entreprise a cependant empoché 333 millions de dollars. »

En Afghanistan, c’est autre chose (mais le même résultat !) pas de problèmes pour délivrer l’aide humanitaire signée USAID. De forts jolis petits avions s’en chargent parfaitement. Des CASA 212 avec un air de déjà vu ici à plusieurs reprises. Le 17 avril 2009, USAID annonçait qu’elle cherchait un fournisseur pour délivrer ses matériels de reconstruction dans le pays. Quelques semaines après, c’était Blackwater/Xe qui était sélectionné : la même firme qui vient d’avouer avoir participé à des « opérations spéciales de la CIA« … Parmi les éléments à transporter, ceux nécessaires à la réalisation d’écoles, via la micro-société Creative, déjà décrite ici. Pour des projets tels que « RISE », pour « Revitalization of Iraqi Schools and Stabilization of Education« , supporté par USAID à équivalence de 157,1 millions de dollars sur trois ans. En 2003 ; Creative s’était déjà goinfré 60 millions de dollars pour une « educational reform » et reconstruire 1 000 écoles, former 30 000 enseignants et apporter pour 15 millions de dollars de livres scolaires. Ce à quoi on peut ajouter 55 millions pour une « assistance technique » fumeuse au ministère de l’éducation afghan. A ce jour, on en est loin de ses objectifs, mais l’argent versé a bel et bien disparu. On ne sait pas si entre les cahiers d’écoliers étaient glissés les fameux fusils-mitrailleurs transportés, on le sait, par les agents infiltrés de Blackwater. En toute impunité, et hors de vue du Congrès.

Mais pour les incrédules qui ne voulaient pas voir encore les intrusions manifestes de la CIA au sein d’USAID, l’histoire relativement récente de la Georgie est exemplaire. C’est celle de l’envoi d’aide humanitaire après les combats, où le choix du navire transporteur résume à lui seul les dessous du fonctionnement de la politique américaine. Nous vous l’avions déjà signalé ici-même« À signaler que lorsque les Américains envoient un bateau d’aide humanitaire en Géorgie, après les combats, l’U.S. Coast Guard Cutter Dallas (WHEC 716), ils l’intègrent à la Combined Task Force 367 et le font suivre par un destroyer lanceur de missiles, l’ USS McFaul (DDG 74). Ou mieux encore : on apprend le 5 septembre qu’une nouvelle livraison humanitaire sera faite non pas par un bête cargo, mais par l’USS Mount Whitney. Un bateau à l’allure anodine, mais bardé d’antennes et de capteurs : ce n’est autre que le meilleur navire d’écoute que possède les États-Unis ! « Chargé d’intercepter les communications, de collecter le renseignement, de coordonner les actions avec les autres unités américaines et enfin de lancer les opérations dans la région » nous apprend un site informatif. Les livraisons humanitaires d’USAID tournent à la provocation pure et simple. Ce qui n’a pas échappé aux Russes, restés vigilants, qui invoquent à juste titre la convention de Montreux de 1936 sur les détroits en rappelant à l’ordre la Turquie. » Le transporteur des cartons d’aide humanitaire était le meilleur bateau d’écoute et d’espionnage que puisse posséder les USA : son choix résume à lui seul la technique américaine pour s’immiscer dans la vie d’un pays. Ici, dans le domaine particulier et pointu de la surveillance électronique, dénoncée inévitablement alors par Moscou.

Les pays grugés par ses interventions humanitaires déguisées ont décidé aujourd’hui, enfin, de réagir, à l’initiative du Vénézuela qui est logiquement devenu la bête noire des Etats-Unis, pour cette raison de plus. Il y a un an, la création d’un « Centre d’Alerte pour la Défense de la Souveraineté » (ou CADES) qui se consacrera, selon ses statuts, à « développer un réseau continental d’enquête sur les projets d’ingérence, de déstabilisation et d’espionnage américain contre les peuples d’Amérique latine »,annoncée à Caracas, semble avoir été un pas décisif. Tout est parti d’un ouvrage fondamental, « La Telaraña Imperial : Enciclopedia de Injerencia y Subversión » (« La toile d’araignée impériale : encyclopédie de l’ingérence et de la subversion ») signé Eva Golinger et Romain Migus, qui analysait en détail l’ingérence américaine en Amérique du Sud, (et pas seulement là) via USAID et la NED : « Entre autres choses, Golinger et Mingus expliquent la connection entre les Bilderberg, les groupe d’entreprises, politiciens et dirigeants les plus importants du monde, et les canaux de télévision privés au Venezuela ; la relation entre des étudiants vénézuéliens, les militaires étasuniens, l’OTAN et le multimillionnaire George Soros ; le lien entre les mouvements séparatistes de Santa Cruz en Bolivie, ou de l’état de Zulia au Venezuela, ou de Guayaquil en Équateur, et de jeunes en Ukraine et en Georgie et comment les architectes de l’agression contre l’Irak sont membres d’un think tank yankee qui a prépare un plan semblable contre le Venezuela. » On retombe bien sur les mêmes…

A Cuba, le même travail de fond de déstabilisation se fait encore aujourd’hui, avec toujours la NED et sa myriade d’organisations dites humanitaires. On en dénombre 11 différentes, ayant touché au total 1 435 329 dollars en 2008. « La grande majorité de cet amas hétéroclite d’organisations, groupes et groupuscules ont été lies dans le passé à des activités de l’Agence centrale de renseignement (CIA). » précise cette fois encore la chercheuse vénézuelienne Eva Golinger. Sous Bush, la présence au Sénat de M. Mel Martínez, d’origine cubaine et de bonne vieille droite plutôt fascisante, n’a pas été dans le sens du changement. L’homme a participé à l’élaboration de la Commission for Assistance to a Free Cuba (« Commission de soutien à une Cuba libre« ), destinée à carrément anéantir l’existence de Cuba en qualité de nation indépendante. La nomination d’un « proconsul » destiné à remplacer Fidel Castro a dans ce sens représenté un sommet, comme si ici l’on désirait envahir la Belgique, en nommant à l’avance un lointain descendant dela monarchie comme futur roi. Caleb McCarry, nommé par G.W. Bush « Coordinateur pour la transition à Cuba » avait même fait le tour des capitales européennes pour tenter de les séduire, non sans difficulté parfois, il est vrai. L’homme s’est distingué autrement, notamment par son action en Haïti, où il avait des amitiés nettement mafieuses. USAID a eu en effet une influence énorme et calamiteuse en Haïti, en y mêlant une autre dimension : la dimension religieuse, tout aussi… insidieuse. Le « travail silencieux » de la CIA a en effet aussi fait des ravages dans cette partie du monde parmi la plus défavorisée, où les coups d’états se sont succédés, quand ce n’est pas un prêtre-président devenu pire que le dictateur qu’il remplaçait. Mais de cela nous parlerons dans les jours à venir, si vous le voulez bien, tant Haïti la miséreuse a pu focaliser et résumer à elle toute seule l’action insidieuse d’USAID…

(1) « Bout’s subcontractor has some notable business partners of his own. According to the United Nations, one of Kossolapov’s business partners is Zieleniuk, who runs News Air and is the director of Mega Manufacturing Holdings, which was set up by Rosvooruzheniye, the Russian state weapons manufacturing company, to build a client base for arms deals. Zieleniuk owns an Antonov-12 aircraft stationed at Entebbe in Uganda and has military connections in the Congo and Zambia. One U.N. report said Bout is « strongly suspected to be connected to Russian organized crime, » and the African intelligence document obtained by ICIJ alleged that Zieleniuk, Sidorov and Bout all belonged to the same Russian organized crime syndicate »

(2) « In Pakistan, certainly in Afghanistan, and definitely in Iraq, CAII appears to operate under the auspices of contracts let by USAID, in support of the agency’s regional goal of promoting « a thriving economy led by the private sector, as stable political and economic conditions prevent terrorism from flourishing in fragile or failing states. In order to improve economic policy and the business environment, USAID aims to continue to promote macroeconomic reform, revenue collection, and privatization of state-owned enterprises. »

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Classé dans Six de l'Hexagone, Stéphane Bouleaux

De victor Jara à Guantanamo : la même CIA (40)

De tout cela, il ressort que la CIA a œuvré quasiment partout dans le monde. Avec une facilité déconcertante pendant des années, car elle disposait d’une arme imparable car invisible. Oh, ce n’est ni un bel avion « stealth », ni des ordinateurs cachés au fond des réseaux mondiaux, ni le recours à une équipe de mercenaires couleur passe-muraille. Non, ce sont des cartons, fixés la plupart du temps sur des palettes, ou des sacs de blé ou de riz. Déposés par une… association d’entraide, une sorte d’ONG, ce à quoi on ne s’attendait pas vraiment. Une « ONG » (« Organisation Non Gouvernementale ») un peu spéciale… car elle est…bien gouvernementale celle-là, justement. USAID, le meilleur paravent d’activités d’espionnage qu’ait pu inventer la CIA, et un phénomène gravissime, car son existence a elle seule sème le doute sur toutes les autres organisations humanitaires dans le monde, régulièrement accusées de servir de plastron à une action étrangère. USAID est une plaie véritable, n’ayons pas peur des mots, car elle s’est retrouvée mêlée ces dernières années à toutes les entreprises de déstabilisation de pays. Les derniers en date étant le Vénézuela, le Honduras et la Georgie. En Irak et en Afghanistan elle est aussi bien présente, ce qui explique qu’il n’y a pas si longtemps encore le staff de Barack Obama n’avait toujours pas nommé son nouveau responsable, et ce plusieurs mois après son élection (depuis, il a choisi le 11 novembre dernier Rajiv Shah). Trop liée à la CIA, l’organisation humanitaire requiert en effet un homme sûr, appliquant les directives gouvernementales de discrétion sur les opérations qu’elle masque et rien d’autre. La perle rare a mis du temps a être recrutée par la nouvelle administration. Ce qui est bien symptomatique des difficultés actuelles de la CIA. Et de ses déguisements habituels. Rajiv Shah, l’heureux nouvel élu, provenant lui de la Bill & Melinda Gates Foundation… on ne pouvait mieux choisir : Microsoft, sous Bush, à touché 65 millions de dollars pour loger des pointeurs au sein de son système d’exploitation, au nom du Homeland Security… pas vraiment une réussite, à vrai dire.

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En fait, l’histoire des liens entre la CIA et USAID ne date pas d’hier : déjà, au Viet-Nam, lors de l’opération Phoenix, c’était la firme humanitaire qui apportait le matériel nécessaire aux tortionnaires, (*1) et ceux nécessaires pour découvrir et ficher les supporters des Viet-Congs, notamment des radios émettrices-réceptrices des ordinateurs à cartes perforées. L’agence avait été créée quelques années auparavant, le 3 novembre 1961, par un décret présidentiel signé par John Kennedy. Elle faisait suite à la création par un décret‑loi de mars 1961 du Peace Corps, un organisme mettant à disposition des agents humanitaires des jeunes américains désireux de s’engager dans le domaine. Kennedy avait requis et exigé que ces derniers ne devaient en aucun cas être mêlés à la vie politique locale ou à la CIA, mais son beau-frère, Sargent Shriver Jr, nommé responsable du mouvement, n’avait pu assurer l’étanchéité totale avec les intrusions gouvernementales. Le livre fondamental de Wise et Ross de 1974 évoque cette période avec brio dans son chapitre « Purity in the Peace Corps ». (le livre est téléchargeable intégralement, profitez-en !) Finalement, Shriver échouera : chez le Peace Corps, la CIA fera aussi tranquillement son nid (*2). Les espions, on les prend parfois au berceau.

Plus tard, sous Donald Reagan un autre organisme est venu épauler USAID : la « National Endowment for Democracy » (NED, la « Fondation nationale pour la démocratie »), créé le 6 novembre 1982, qui se chargera d’aider spécialement les syndicats ou les partis politiques. C’est elle qui fait la promotion, par exemple, de l’usage du vote électronique dans les pays visés, système de vote dont on connaît les détournements possibles, via un autre organisme tout aussi tortueux, celui de l’IFES. En ce sens, le doublement en 2004 de son budget par G.W.Bush est très significatif : après avoir volé l’élection du pays, on a exporté le modèle, notamment en Georgie. « Or comment fonctionne l’IFES et qui la soutient financièrement ? Est-elle une association indépendante ? La réponse est simple : pas du tout ! Si on regarde la provenance de ses fonds, on est assez vite éclairé : en tout premier… le gouvernement américain, et le Département d’Etat directement, dont la responsable affiche son sourire inimitable sur le site : c’est Condolezza Rice. Mais aussi le secrétariat aux élections de la Virginie… dont une élection récente en 2006 a démontré que ce n’était pas vraiment l’Etat à montrer en exemple à l’étranger. « 

L’histoire de la NED peut se résumer à ces responsables, tous liés de près ou de loin à la CIA : Otto Reich, John Negroponte, Henry Cisneros et Elliot Abrams. En 2002, Bush nommera Reich, un cubain fils de déportés autrichiens morts en camp de concentration, ancien Secrétaire d’Etat pour l’Hémisphère Sud, à la tête de la NED. Reich ayant lui-même dirigé USAID de 1981 à 1983. Negroponte a un lourd passé de responsable de coups douteux en Amérique du Sud, notamment, avant de devenir administrateur de l’Irak ou de jouer les intermédiaires au Pakistan auprès de Pervez Musharraf, pour veiller à la mise en œuvre discrète des fameux drones Predator. Cisneros est l’ancien maire hispanique de San Antonio, un démocrate dont la carrière a été ruinée par une histoire de maîtresse, pardonné en 2001 par Bill Clinton. Enfin, le sommet sera atteint en la personne d’Elliot Abrams, qui a été lui mouillé jusqu’au coup dans l’histoire des contras en 1991, alors qu’il avait démarré sa carrière comme « Assistant Secretary of State for Human Rights and Humanitarian Affairs » sous Reagan. Son règne à ce poste et à la tête de la NED s’est soldé par une suite ininterrompue de clashs avec les associations humanitaires, Abrams ayant passé son temps à couvrir les pires exactions reaganiennes, notamment au Salvador, au Honduras, au Guatemala et au Nicaragua. Aucun nommé au poste de responsable de la NED, à part peut-être Cisteros sous Clinton, n’a échappé à des liens étroits avec la CIA et ses actions douteuses d’ingérence politique dans les pays où l’organisation intervenait.

La NED est en fait une entreprise privée et non gouvernementale, mais ses liens avec le pouvoir en place sont tels que ce n’est qu’une façade. Sous Bush, son budget est devenu exponentiel, passant de 40 à plus de 100 millions de dollars en 2008. Depuis janvier 2009, l’agence est dirigée par le démocrate Richard Gephardt, qui fut un temps le possible second d’Al Gore en candidat-président, avant de devenir le supporter d’Hillary Clinton et non d’Obama. A peine nommé, Barrack Obama a bel et bine fait le ménage, en éjectant surtout Abrams, surnommé par Newsweek« le dernier neocon a être encore debout ». Abrams, pendant sa carrière marquée par des décisions de l’homme de droite dure qu’il a toujours été, avait, entre autre, refilé argent et armes au Fatah afin de tenter d’enrayer la montée du Hamas. C’est tout ce qu’il avait trouvé d’intelligent à faire : distribuer des Kalachnikovs au milieu d’une poudrière !

Le projet d’Abrams ne tenait pas debout, et surtout disséminait les armes à un endroit du monde où il ne devait certainement pas en avoir davantage. « Durant l’année écoulée (en 2007), les Etats-Unis ont fourni des armes, des munitions et un entraînement aux activistes du Fatah palestinien en vue de sa prise de contrôle des rues de Gaza et de Cisjordanie sur les partisans du Hamas. Un grand nombre d’activistes du Fatah ont ainsi été formés dans deux camps (un à Ramallah, l’autre à Jéricho), dont ils sont sortis « diplômés ». Les fournitures d’armes et de munitions, qui ont commencé par un simple goutte-à-goutte, s’assimilent plutôt aujourd’hui à un torrent (Haaretz écrit que les Etats-Unis ont budgété la somme astronomique de 86,4 millions de dollars pour la seule sécurité d’Abou Mazen (alias Mahmoud Abbâs, ndt) ». Au sein même de la CIA, certains y étaient opposés. Après quoi, le président donna son feu vert au programme, dans un « relevé de conclusion » de la CIA, et il stipula que la réalisation en soit supervisée par Langley (c’est le siège de la CIA, ndt). Mais le programme a rencontré des problèmes, dès le début. « La CIA n’aime pas ça, et elle pense que ça ne marchera pas », nous a-t-on indiqué, en octobre dernier. « Ce truc sortait par les yeux du Pentagone, l’ambassade américaine en Israël l’avait en horreur, et les Israéliens y étaient tout à fait opposés ». Un éminent responsable militaire américain en poste en Israël l’a qualifié de « stupide » et de « contreproductif ». Mais le programme s’est poursuivi, en dépit de ces critiques, même si la responsabilité de sa réalisation a été mise entre les mains de responsables de la lutte anti-terroriste travaillant étroitement avec le Département d’Etat ». Faire pire que les faucons israéliens, voilà quel était donc le projet d’Abrams ! Jamais homme n’avait autant jeté d’huile sur le feu au Proche-Orient ! Et c’était celui nommé à la tête de la « Fondation nationale pour la démocratie » !!! Drôle de vision de la démocratie !

En Amérique du Sud, c’est une évidence, USAID a servi les intérêts américains en premier, notamment au Venezuela, où l’ineffable Chavez a eu la partie facile pour démontrer les nombreuses intrusions de la CIA via le canal de l’organisation humanitaire. Sans avoir à forcer, le président vénézuélien a dressé un tableau assez apocalyptique de cette intrusion perpétuelle dans les affaires du pays. Selon des observateurs, c’est l’ Office of Transition Initiatives » (OTI) qui a versé la bagatelle de 26 millions de dollars pour financer des entreprises de déstabilisation du pays, notamment en finançant les partis ou mouvements d’opposition (*4) . Ceci en liaison avec la « Development Alternatives Inc » (ou DAI) « Parmi les dons mentionnés on trouve : 47 459 dollars pour une « campagne pour un leadership démocratique » ; 37 614 dollars pour des réunions de citoyens afin d’aborder leur « vision commune » de la société, et 56 124 dollars pour analyser la nouvelle constitution Vénézuelienne. »Ceci indique qu’il y a beaucoup d’argent, et une grande volonté à renverser ou neutraliser Chavez, » a déclaré Larry Birns, directeur du Conseil des Affaires Hémisphériques (Council on Hemispheric Affairs COHA) hier à Washington ». La conclusion de Birns était claire : « Les Etats-Unis livrent une guerre diplomatique contre le Venezuela. » Pour y arriver encore mieux, USAID a créé avec l’aide de la NED une organisation-paravent locale, intitulée « Súmate » (qui signifie « Rejoins-nous » !), dirigée par Maria Corina Machado, entièrement payée par les deux organismes, pour servir de relais direct aux idées américaines sur la direction du pays. « La crédibilité du groupe à travers le Venezuela s’en trouva amoindri après qu’il fut révélé que le National Endowment for Democracy, financé par le département d’État des États-Unis d’Amérique, lui avait attribué 53 400 dollars pour l’« enseignement de la démocratie ». » La signature de Machado sur un bout de papier partisan de l’existence d’une junte « de transition » à la place d’un Chavez élu, révélée par la presse, a sévèrement entaché son engagement qui se voulait soi-disant a-politique et a signé la fin de ses espérances, en fait. L’explication donnée par Machado comme quoi « elle avait signé un papier sans savoir ce qu’il y avait dessus » à été pitoyable. Elle était effectivement prête à soutenir un coup d’état dans le pays ! L’action menée par Machado au nom de la liberté n’est autre qu’une resucée complète de celle des anti-Sandinistes et de leur fameux front « démocratique » Via Civica, qui s’attaquait en priorité à l’éducation… téléguidé par la NED, USAID… et la CIA ! Sumate, c’est tout simplement un Via Civica bis ! Toujours les mêmes vieilles recettes !

Toujours les mêmes en effet : un superbe mémo intercepté, rédigé le 20 novembre 2007, par Michael Middleton Steere, le responsable de la CIA à l’ambassade des États-Unis au Venezuela, et ayant pour destinataire Michael Hayden, son patron à la CIA, avait mis au parfum tout le monde sur les méthodes de déstabilisation tentées ou à mettre en place.. Les consignes données ce jour-là par Middleton Steere étaient très claires sinon limpides : « selon l’auteur, il faut continuer à renforcer les activités qui visent à empêcher la tenue du référendum tout en préparant en même temps les conditions pour en contester les résultats. Sur ce dernier point, il est important de créer dans l’opinion publique le fait que le NON est en nette avance sur le OUI et qu’il est assuré de la victoire. C’est en ce sens qu’il faut continuer à travailler avec les maisons de sondage contractées par la CIA.. Il faut discréditer autant faire se peut le Conseil national électoral (CNE) de manière à créer dans l’opinion publique la sensation de fraude. » De la contestation, on passe rapidement à la révolte en passant par la case médias, froidement manipulés :«  Il faut commencer à donner de l’information sur les résultats du vote dans les premières heures de l’après-midi, utilisant les sondages préliminaires déjà disponibles Telle que planifiée, cette opération requière une coordination avec les médias de communication au niveau international. L’implantation sur le territoire national de groupes de protestation préparant au soulèvement d’une partie substantielle de la population »... tout était prévu ! Même les projets d’assassinat, façon tentatives contre Castro, qui a échappé à des dizaines de tentative, comme ceux que racontera en 2005 Felix Rodriguez, ancien agent…. de la CIA. De quoi raccrocher ici nos propres wagons, et en revenir à cet épisode.

Après le Vénézuela, c’est la Bolivie qui est l’objet de toutes les attentions d’USAID, comme par hasard (*3). Là, l’accent a porté sur l’aide.. à l’autonomie d’une région, entièrement manipulée par les extrémistes nostalgiques d’Hitler comme nous avons déjà pu le préciser dans un autre épisode. 97 millions de dollars ont été ainsi attribués à l’aide à la « décentralisation » bolivienne, en fait une aide financière directe à un mouvement purement séparatiste, où l’extrême droite est largement majoritaire ! En Bolivie, l’Office for Transition Initiatives (OTI) s’est appuyée sur un organisme privé, Casals & Associates, à la place de la DAI Vénézuélienne, qui s’est beaucoup démené pour mettre en place des « séminaires » et autres « réunions » prônant en fait le séparatisme. « En résumé, Casals & Associates, Inc, a réparti en plus de trois ans d’opérations en Bolivie, 18,8 millions de dollars à plus de 450 organisations. Les organisations bénéficiaires de cet argent de l’USAID ont travaillé avec la tâche de combattre les initiatives de l’Assemblée Constituante, promouvoir le séparatisme ou dans les régions de Santa Cruz et Cochabamba, influer sur les communautés indigènes et saper l’appui de celles-ci au gouvernement de Evo Morales. Certains projets ont été consacrés à la diffusion d’information pour créer dans l’esprit de la population une image négative de Evo, de la situation du pays et la direction révolutionnaire qu’il a lui-même impulsé. En Bolivie, USAID a en effet aussi promu le recours au mouvement indigène, qu’elle a tenté de manipuler, comme le démontre un document secret découvert en mai 2009 grâce aux investigations d’Eva Golinger et Jeremy Bigwood, agissant au nom du Freedom of Information Act (FOIA).

L’Amérique du Sud (sujet extrêmement sensible depuis des lustres pour les américains) en a vu défiler des cartons d’USAID. Avec toujours derrière une forte suspicion de porteur en forme d’espion plus ou moins déguisé. Il n’y a pas que cette partie du monde qui a été touchée par le phénomène, mais cela nous le verrons demain si vous le voulez bien.

(1) « USAID has worked closely with the CIA in the past, both in Southeast Asia and in Latin America. During the Vietnam War, for example, USAID worked together with the CIA in « Operation Phoenix, » where it was « responsible for material aid. » The operation was responsible for the assassination of thousands ».

(2) « Pendant la campagne de 1960, John F. Kennedy avait promis, s’il était élu, d’instituer un corps de jeunes Américains envoyés dans les pays sous‑développés pour y apporter une aide désintéressée. Il tint parole. Par un décret‑loi de mars 1961 il créa le Peace Corps et demanda à son beau‑frère, Sargent Shriver Jr, de le diriger. Shriver accepta, mais il ne tarda pas à comprendre qu’un tel organisme, avec ses milliers de jeunes volontaires répartis à la surface du globe, pourrait bien avoir l’air d’une « couverture » idéale pour un service de renseignement à l’affût de la moindre occasion de se camoufler. En outre, Shriver savait que le Peace Corps, étant donné qu’il offrirait une aide authentique et sincère aux nouvelles nations du monde, serait une cible non moins tentante pour la propagande communiste qui ne manquerait pas de le discréditer.En conséquence, il proclama en privé sa détermination de faire tout son possible pour immuniser le Corps des volontaires pour la Paix contre tout ce qui, de près ou de loin, pourrait dégager un fumet d’espionnage. Il se doutait bien que si un seul volontaire était impliqué dans une affaire pareille, c’en serait fini du corps tout entier. »

(3) « Six years after their first assignment for USAID, in which they were hired to help develop women in Bolivia, CAII had become a multi-million dollar operation. Today, they have offices in 11 countries. Among other contracts for USAID, CAII provided civilian re-training for the Contras, supplied « media assistance and civic education » in Haiti, and are currently in the process of executing a $157 million contract to revitalize the Iraqi education system. A probe involving irregularities in this last contract led Sen. Joe Lieberman to arrive at « the inescapable conclusion is that there was essentially no competitive bidding at all. »

(4) « Recently declassified documents obtained by investigators Eva Golinger and Jeremy Bigwood reveal that the US Agency for International Development (USAID) has invested more than $97 million in “decentralization” and “regional autonomy” projects and opposition political parties in Bolivia since 2002. The documents, requested under the Freedom of Information Act (FOIA), evidence that USAID in Bolivia was the “first donor to support departmental governments” and “decentralization programs” in the country, proving that the US agency has been one of the principal funders and fomentors of the separatist projects promoted by regional governments in Eastern Bolivia ».

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Paul versus Sarah

Jean Gagnon Dossier Actualité économique

Depuis le dépôt du budget de l’administration Obama la semaine dernière, la question du déficit budgétaire et de ses conséquences à long terme sur l’économie américaine ont pris beaucoup de place dans l’actualité financière. Et pour cause. Il s’agit là d’une question épineuse, pas nécessairement facile à comprendre, et pour laquelle les opinions peuvent facilement différer.

Sarah Palin, l’ex-candidate à la vice-présidence américaine lors de l’élection de novembre 2008, a soulevé un enthousiasme délirant de la part d’une foule de partisans du sud des États-Unis samedi dernier à la réunion nationale du Tea Party. Elle tentait d’expliquer que la gestion budgétaire de l’administration actuelle allait mener les États-Unis tout droit à la faillite.

C’est que les États-Unis devront absorber un déficit gigantesque cette année, soit 1,3 trillions de dollars, et un autre probablement aussi grand l’an prochain.

Mme Palin évoque une croissance à outrance des dépenses du gouvernement, principalement les programmes de sauvetage du système financier, ainsi que les subventions aux entreprises et les programmes de relance économique pour expliquer les déficits. Elle, qui pourrait bien tenter sa chance à la prochaine élection présidentielle en 2012, exige entre autres choses la fin de ces programmes et la mise en place immédiatent d’une réduction des taxes pour tous les américains.

Agenda politique

Paul Krugman, récipiendaire du Prix Nobel d’économie en 2009, n’est pas du tout de cet avis. Il qualifie d’hystérie tous les discours enflammés autour du déficit, et craint que cette attitude pousse le gouvernement dans la mauvaise direction.

Il ne faut pas mettre fin aux programmes de relance, mais les augmenter selon lui. Une des principales raison de l’augmentation du déficit est la crise économique elle-même qui sabre dans les revenus du gouvernement. La hausse sensible du taux de chômage réduit d’autant les recettes fiscales. Mettre fin aux programmes de relance et diminuer les dépenses du gouvernement ne feraient que décupler le problème.

Il serait suicidaire que le gouvernement se retire maintenant, selon Krugman. Plus l’économie est faible, plus le gouvernement doit être pro-actif.

Pour lui, l’hystérie autour du déficit n’est là qu’en fonction d’un agenda politique, celui du parti républicain. La complexité de la question du déficit fait en sorte que pour plusieurs, il devient difficile de départager entre le cynisme des uns et l’argument économique sérieux des autres.

Et ce qu’il y a de plus tragique, selon lui, c’est que cette hystérie du déficit gagne suffisamment d’adeptes et fait en sorte qu’à Washington on ne cherche plus qu’à couper quelques milliards de dépenses par-ci par-là et qu’on oublie de s’attaquer au vrai problème, celui de l’emploi.

 

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