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Fragile planète financière 1

Yan Barcelo, 20 février 2010

L’économie donne des signes de vie, clame-t-on partout. C’est tant mieux. Mais gare au vampire financier, prêt, à la première occasion, à sucer tout le sang possible du convalescent économique.

La crise grecque a été l’occasion pour moi de refaire un petit tour du jardin financier et d’en constater toute la flore vénéneuse. Tout d’abord, on a vu à l’œuvre dans cette crise les jeux de dérivés financiers dont on a abondamment parlé, tous des swaps dette-contre-devise que Goldman Sachs a mis en place pour le gouvernement grec et qui ont contribué à masquer la pleine ampleur de cette dette. Rien là de très étonnant, les dérivés financiers ayant été créés dans une grande mesure pour contourner les lois et règles et maquiller tout détail financier qu’on pourrait considérer quelque peu déplacé ou… obscène.

Et il y a eu les jeux de CDS (credit default swaps ou swaps sur défaillance) auxquels se sont livrées les banques de Wall Street et quelques autres géants financiers. Voilà une des créatures les plus originales et pernicieuses de la pharmacie financière contemporaine. N’entrons pas dans le fin détail physiologique de ces créatures et contentons-nous de savoir qu’il s’agit d’un produit d’assurance tout à fait inouï : on peut acheter un CDS pour assurer un actif financier qu’on ne détient pas et qu’a n’a jamais détenu! C’est un peu comme si on détenait une assurance sur la vie d’un voisin. Un telle assurance est une invitation à l’assassinat!

Et c’est à un tel jeu d’assassinat les banques se sont livrées avec les obligations de la Grèce pour en écraser la valeur. Elles ont acheté des CDS en masse auprès d’une foule d’acteurs financiers (fonds de pension, fonds mutuels, fonds de couverture, etc.) et, disposant de ceux-ci en poche, ont attaqué systématiquement les obligations du gouvernement grec, faisant ainsi augmenter la valeur de leur « assurance ». Évidemment, une foule de gens à Wall Street y gagnent… tandis que le gagne-petit en Grèce verra ses taxes et son coût de la vie augmenter.

Mais la crise grecque m’a permis de rafraîchir le sens du mot « contagion » tel qu’il s’applique dans le monde financier. Au niveau le plus superficiel, il y a eu contagion dans les marchés obligataires où, dès que le président grec a annoncé que son pays pourrait faire défaut en avril et mai sur le remboursement de dettes venant à échéance, les investisseurs se sont mis à vendre en bloc les obligations d’autres pays présentant des risques de défaut : les fameux autres PIGS européens (Portugal, Irlande, et Espagne). À ce niveau, la contagion s’est donc propagée très rapidement et le rhume grec a réussi à contaminer les obligations des autres PIGS.

Mais il y a bien d’autres risques de contagion qui flottent dans l’air financier. À l’Est, la crise grecque risque d’obliger les banques de ce pays de retirer les sommes qu’elles ont prêté à des pays d’Europe de l’Est. Ça pourrait faire mal, très mal, surtout quand on sait que les prêts grecs de 19 milliards $US en Roumanie représentent environ 16% du marché de capitaux dans ce pays, selon la Banque des règlements internationaux, alors que les 10,5 millions prêtés en Bulgarie y accaparent 30% du marché des capitaux. Toute la stabilité économique de l’Europe de l’Est, déjà très précaire, pourrait être ébranlée.

Les problèmes sont pires à l’Ouest. Les banques allemandes et françaises détiennent entre 40 et 50% de la dette grecque, alors que la part qui incombe aux banques suisses représente 11,5% du PIB de l’Helvétie (selon un étude de Morgan Stanley). On peut comprendre que ces banques – par leur pays interposés – poussent très fort pour que l’Union européenne vole au secours de la Grèce. Évidemment, les choses ne se résument pas à la Grèce. Les banques espagnoles détiennent 51% de la dette du Portugal, tandis que les banques allemandes et françaises détiennent respectivement 32% et 25% des 748 milliards de dettes du gouvernement espagnol. Et n’oublions pas que l’Espagne touche à cet autre chaudron où se gonfle une super bulle, le Brésil, essentiellement par le biais de la banque Santander, principale banque d’Espagne qui est aussi première banque au Brésil. Ah, ces délicats tentacules de la pieuvre financière!

Mais on ferait erreur de voir la contagion s’arrêter aux portes des banques européennes. Car, la menace de défaut de la Grèce s’infiltre via les banques européennes dans tous les échafaudages de prêts titrisés qu’ont diffusé ces banques aux quatre coins du monde. Et la forme que prennnent toutes ces titrisations sont la pléthore des dérivés financiers de genre CDO, CLO, ABMS et PCAA qui ont mis à terre nos économies au plus fort de la crise du subprime. Bien sûr, tous ces circuits obscurs des transactions interbancaires résident totalement dans l’ombre, de telle sorte qu’on n’a parlé nulle part des risques de contagion qui logent dans leurs replis. Mais le plus grand danger de contagion, c’est là qu’il se tapit.

(Suite la semaine prochaine…)

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