820 intellectuels québécois viennent de signer le « Manifeste pour un Québec pluraliste ». C’est peu, mais c’est beaucoup. Peu, parce qu’on en trouvera certes vite tout autant pour dire le contraire; beaucoup, parce qu’il a toute de même fallu les trouver, les grouper, les convaincre de lancer ce pavé dans la mare.
Le lancer, sachant bien qu’on déplacerait la vase et qu’on dérangerait les brochets, mais qu’il n’en sortirait rien d’autre. Rien d’autre de constructif, s’entend, car il en sortira assez de querelles, d’insultes, de hargne et de vociférations pour nous faire gagner du temps. Gagner tout ce temps qu’on veut perdre, pour NE PAS régler les problèmes.
Je ne veux même pas discuter du pluralisme sur le fond, car le « fond », ici, est presque anodin. Le fond dont on voudrait discuter n’est que paroles, arguments, arguties, expression des mêmes préjugés, de part et d’autre, qui sont les motifs des vrais convaincus. Personne ne changera d’opinion suite à ce Manifeste. Pour ou contre, les jeux sont faits.
Le sens comme les effets du « pour » comme du « contre », d’ailleurs, semblent de bien peu importance à côté du fait FONDAMENTAL qu’ils sont irréductibles. Le fondamental, c’est que cette bataille du pluralisme ne sera jamais gagnée, car elle n’est qu’une facette d’une guerre qui ne finira jamais. Elle durera une éternité, pendant laquelle nous serons tous perdants. Ce débat sur le pluralisme ne changera rien. Il ne sera qu’un épisode, une péripétie de la preuve récurrente que le Québec n’est PAS une nation.
Pas une nation, car ce ne sont pas les similitudes qui font une nation; c’est la priorité qu’on leur accorde. Une nation est là, s’il existe sous les partis, les dogmes et les intérêts, un sentiment d’identité et d’appartenance qui transcende les différences : le germe d’une union sacrée. Or, il n’y a pas au Québec un consensus sur ce que nous sommes, ni sur ce que nous voulons être. Il n’y en a plus.
On ne parle pas ici de divergence sur les moyens, mais sur les objectifs fondamentaux de la société québécoise. Deux référendums l’ont prouvé et, s’il y en avait un troisième, il confirmerait certainement ce clivage. Pluralisme ? Quoi d’autre pour dépasser la dualité ? Comment aurions-nous un consensus sur l’opportunité ou la manière de défendre une identité, alors que la moitié d’entre nous en mettent l’existence en doute ?
Il ne faut pas penser, surtout, que « gagner » un référendum résoudrait le problème. Le problème n’est pas que le Québec soit, ou ne soit pas, dans la fédération canadienne ; le problème est que nous soyons irrémédiablement divisés entre nous. Le désaccord qui tue n’est pas entre « Québécois » et « Canadiens », mais entre deux factions de Québécois pour qui ce qui les sépare est plus important que ce qui les unit.
Il ne semble plus y avoir de socle identitaire qu’on pourrait atteindre en creusant. Pas de drapeau ni de Marseillaise qui nous ferait tous bondir ensemble. Tous les symboles ont été instrumentés. Ils sont devenus partisans. Feuille d’Érable, Fleur-de-lys, n’apparaissent pas pour nous rassembler, mais pour nous dresser les uns contre les autres.
Dans ce pays de factieux, tous les clivages prennent une importance démesurée. Tous les conflits sont insolubles, car c’est à l’opposition à l’autre qu’on s’identifie. C’est la désunion qui est sacrée. On préfère que le Québec ne soit pas, plutôt que de penser qu’il pourrait être autre chose que ce qu’on l’a rêvé. C’est pour ça que la nation québécoise n’existe pas.
J’ai fait mon deuil du Québec. Il ne sera ni laïque, ni missionnaire, ni pluraliste, ni vraiment français. Il ne sera rien. Juste une barque sans barreur, dans un espace tiède, entre chaud et froid, dérivant au gré des vents qui le feront changer de cap, mais sans avoir la force de gonfler ses voiles. Le Québec ne veut pas vraiment naviguer et, si certains voulaient briser ses amarres, il se trouverait toujours 820 lucides pour les retenir… et des milliers d’autres pour les applaudir
Notre révolution bien tranquille, qui avait cru faire l’économie de trancher quelques têtes, nous a laissé un pays décapité où il ne semble plus rester un seul chef qui pense, qui espère et qui ose. Nous sommes devenus un pays équivoque, veuf d’une nation, divisé contre lui-même. Un pays sans projet de société et qu’on pourra maintenant faire dessiner au jour le jour, pour des desseins qu’on dira « pluralistes », par des gouvernants sans desseins.
Pierre JC Allard