Yan Barcelo, 13 mars 2010
La semaine dernière, j’ai commencé à explorer certains des problèmes fondamentaux de notre système d’éducation. Je poursuis cette réflexion.
Une école anti-intellectuelle. – Par un prodigieux cheminement dont il serait trop long d’établir ici la genèse, nous en sommes arrivés à cette situation paradoxale, et malheureuse : d’un côté, nos écoles et collèges sont devenus des institutions anti-intellectuelles, de l’autre, nous avons négligé et traité avec mépris tout le volet majeur des métiers.
Que nos écoles soient devenues des antres d’anti-intellectualisme saute aux yeux de n’importe qui porte un certain amour à l’endroit des idées et des mondes de la pensée. La connaissance et la réflexion comme chemins d’accès à la réalité et au sens ont été totalement éviscérés et, surtout, ils ont été instrumentalisés. Notre hédonisme nous amenés à croire qu’il n’y a aucun plaisir en soi à l’étude et à l’acquisition de connaissances. Ne croyant plus qu’aux plaisirs des sens et de la matérialité, nous en sommes venu à considérer les produits de la pensée comme les fruits de névroses diverses; pour utiliser le langage freudien qui était tellement prévalent à un moment, ils n’étaient que les « sublimations » d’une énergie sexuelle qui cherche à s’exprimer plus directement.
La connaissance a donc été instrumentalisée et son acquisition, forcément lente et parcellaire, ne sert plus qu’à « obtenir un diplôme ». Ainsi, il n’est plus question de tenter de comprendre l’aventure intellectuelle de géants comme Kepler, Leibniz ou Einstein pour essayer de refaire de l’intérieur leur cheminement intellectuel et intuitif. Il n’est plus question non plus d’explorer de l’intérieur l’univers poétique d’un Victor Hugo ou l’univers dramatique d’un Shakespeare ou d’un Balzac. On se contente d’empiler des petits fragments décousus d’information sur l’un ou l’autre de ces monuments du passé, quand on se donne la peine de faire le détour, pour commencer. Car dans notre pédagogie de « l’expérientiel » et du « vécu », on s’empresse toujours de réduire toute grandeur d’une autorité passée pour la ramener aux dimensions étriquées de nos petits esprits égalitariens.
Quant à notre mépris des métiers, il montre la déroute de notre culture hyper-cérébralisée. Dans notre survalorisation des occupations cérébrales, nous avons placé sur un piédestal l’université en reléguant aux orties tous les métiers. Pourtant, Dieu sait que nous avons autant besoin de machinistes et de mécaniciens que d’ingénieurs ou d’avocats. J’oserais même dire plus que d’avocats!
Et, bien sûr, une culture se mesure à la valeur de ses meilleurs intellectuels et créateurs, mais elle ne s’arrête pas là, au contraire. La vraie culture est un esprit qui imprègne autant le travail de l’intellectuel que celui du manœuvre. Je me rappellerai toujours cette rencontre au Japon avec un chef technicien que j’avais rencontré chez le fabricant de pianos Yamaha. Il disait à un groupe de gens dont j’étais que Yamaha comptait 10 degrés de techniciens et que lui-même occupait le niveau 8. Quelqu’un lui a demandé qui occupait le niveau 9, ce à quoi il a répondu qu’un technicien avait occupé ce niveau il y a plusieurs années, mais qu’il était maintenant à la retraite. Avant celui-ci, personne n’avait été promu au rang 9. « Et y a-t-il eu un technicien de niveau 10? » quelqu’un du groupe lui a demandé. Notre technicien de répondre : « Non, le niveau 10, c’est la perfection, et personne n’a atteint à la perfection. » – « Alors pourquoi garder ce niveau? » a lancé une autre personne. « Vous n’y pensez pas, de répliquer le spécialiste en pianos. Quel serait notre idéal? »
La culture, à mes yeux, c’est ça : cette aspiration constante pour les plus hauts sommets. Ce n’est pas ce vernis insignifiant auquel on essaie de nous faire croire comme une énumération de petites bouts d’information historiques dénués de profondeur. Ce sens et ce goût de la perfection, ce sont des valeurs fondamentales que le Japon, au début des années 1990, entretenait encore même chez ses plus humbles techniciens de piano. Mais aujourd’hui, au Québec, chez notre jeunesse issue d’un système d’éducation qui met le quant-à-soi, le « c’est pas grave » et « l’expression de soi » au-dessus de toute recherche de vérité et de sens, quelle place laissons-nous au dépassement et à la recherche de perfection?
Une école mixte et dévoyée. – Regardons dans les couloirs d’une école, qu’est-ce qui saute aux yeux? Tout d’abord, aucune tenue, ou si peu. Le costume « officiel » est tout ce qu’il y a de plus débraillé : jeans, souvent troué, t-shirt, et les savates traînent beaucoup. Chez les jeunes filles, c’est la concurrence de la pin-up chez une quasi-majorité : tenue très moulante, seins bien en évidence. Nous sommes pourtant dans une école, mais les modèles de référence pour tant de ces jeunes semble être le hobereau du tiers-monde du côté des garçons, la pute du côté des filles.
Une autre caractéristique de ces jeunes, c’est qu’ils sont incroyablement affairés. Mais pas affairés à étudier. Affairés à coordonner leur vie de travail rémunéré et leur vie sociale. Dans toute cette hyperactivité, les études sont bien secondaires. Notre tolérance pour ce travail à temps partiel tient à mes yeux d’un pur scandale. Là encore on ne se pose pas du tout d’élémentaires questions. Quel est le rôle fondamental d’un jeune. Est-ce de travailler et de gagner des sous pour payer son cellulaire, son iPod et ses soutien-gorge plongeant? N’est-ce pas plutôt d’étudier et de se former en vue de sa contribution future à la société? Si tel est le cas, que fait-il à travailler aujourd’hui et à brûler un temps précieux qui serait mille fois mieux investi dans sa formation?
Dans ce couloir d’école, une autre chose devrait nous sauter aux yeux – mais on la prend pour acquise : la mixité garçon-fille. C’est une des pires initiatives que nous ayons prises dans notre hâte de parfaire la « révolution sexuelle ».
Or, cette école où tant de jeunes filles se dandinent le derrière et les seins est un des pires régimes que nous ayons infligé aux garçons. Il était inévitable qu’ils dépérissent et, pour sauver leur peau, décrochent. Car à l’adolescence, le garçon est éminemment en position d’infériorité et de faiblesse face aux filles, car son développement est plus long et demande un encadrement plus sévère.
Essayons de nous retrouver dans l’esprit d’un jeune homme à 15 ans. Son principal souci est d’affirmer sa virilité, et voici qu’on le jette en pâture à un auditoire de jeunes filles devant lesquelles il doit se montrer à la mesure. Et, c’est bien connu, les filles, plus dociles, ont à cet âge une plus grande facilité dans l’apprentissage, surtout pour les matières liées au langage. Or, comment notre adolescent en mal d’affirmation va-t-il réussir à s’affirmer? Les stratégies sont multiples – et aucune n’est propice à l’étude et à un climat propice aux études : par exemple, il va jouer le « gars cool » bien trop « hot » pour perdre son temps à étudier, ou encore il va se réfugier dans les rêves des mondes virtuels ou… il va décrocher. Ce que 40% des garçons font dans notre système d’éducation, un bilan triste à mourir.
Vivement l’école unisexe! Et cette ségrégation devrait être en vigueur au moins jusqu’au collège, et je dirais même idéalement jusqu’à l’université.
À une telle proposition, psycho-pédagogues et féministes de tous crins vont sans doute jeter les hauts cris en demandant qu’est-ce qu’on fait de l’apprentissage essentiel de la relation à l’autre sexe? À cela je répondrai que le jeune a des choses plus pressantes à faire à son âge qu’à faire l’apprentissage de l’autre sexe, apprentissage qu’il aura toute sa vie d’adulte pour parfaire. De toute façon, l’extrême fragilité et précarité de tant de couples jeunes aujourd’hui nous démontre que cet apprentissage de l’autre sexe n’a pas été jusqu’ici un grand succès. Si les mariages de nos ancêtres n’étaient guère exemplaires, ceux des jeunes ménages d’aujourd’hui n’en ont à remontrer à personne.
J’espérais pouvoir clore dans cette chronique mes réflexions sur le système d’éducation, mais je me rends compte qu’il m’en faudra au moins une autre. À ceux que cela intéresse, rendez-vous la semaine prochaine.