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SIDA de civilisation : la société (10 / 11)

Yan Barcelo, 20 mars 2010
Je poursuis cette semaine avec le thème des problèmes du milieu de l’éducation, une exploration qui va se poursuivre encore la semaine prochaine!
L’abandon de la langue et de la culture.- Il y a 60 ans, au temps des collèges classiques, l’étude du français (incluant la littérature), sans compter le temps consacré au latin et au grec, occupait 1 044 heures dans une année scolaire qui comptait sensiblement le même nombre d’heures qu’aujourd’hui – environ 4 540 heures.
Aujourd’hui, le français n’accapare que 750 heures. Une diminution d’environ 30%. Si on additionne le temps passé autrefois à l’étude du grec et du latin, le temps consacré aujourd’hui aux langues accuse un recul de 45% à 50%.
Au cours des dernières décennies, le français a été remplacé par les mathématiques à titre de matière-phare. Paradoxalement, c’est une matière beaucoup moins accessible à l’ensemble des jeunes – à une époque qui se targue pourtant d’égalitarisme.
Or, loin de moi de vouloir dévaloriser les mathématiques, mais cette discipline s’avère beaucoup moins pertinente pour former l’esprit et la pensée. Pourquoi? Tout d’abord, le français, contrairement aux mathématiques, colle davantage à la vie. En mathématiques, à un problème donné, il existe déjà une solution, et une seule. En français, comme dans la « vraie vie », les problèmes ont multiples facettes et il faut les aborder de plusieurs côtés. L’apprentissage des langues et de la littérature oblige à exercer des choix entre plusieurs options, à être attentif aux détails, à faire preuve de finesse, à articuler les mots pour leur faire rendre compte de la pensée avec le plus de clarté et de précision possible.
Mais, comble de malheur, il n’est pas évident que le français enseigné est du même calibre aujourd’hui que ce qu’il pouvait être à l’époque. Sans compter qu’il a été ravalé au simple rang d’une discipline parmi d’autres et qu’on le considère comme un simple « outil de communication ». De plus, le professeur de français, qui doit pourtant corriger devoirs et travaux, et qui pour cette raison devrait dominer au sommet de la pyramide professorale, n’est pas plus valorisé que celui d’éducation physique (qui n’a pas d’autres travaux à corriger que les push-ups qu’on exécute devant lui!)
De plus, nous sommes dans le règne de l’approximation et les modèles qu’on met de l’avant manquent souvent… d’inspiration. Il n’y a pas très longtemps encore, le programme d’un cours de français au secondaire III se composait ainsi : 1) Apprendre à lire un mode d’emploi. 2) Rédiger un mode d’emploi. 3) Lire un fait divers. 4) Analyser un fait divers. 5) Rédiger un fait divers. 6) Lire un roman dans la traduction. On sent d’ici l’enthousiasme que cela pouvait susciter dans la classe.
Les mauvais professeurs. – C’est un thème que j’ai déjà abordé, mais qu’il importe de revoir. Un récent article du magazine Newsweek (15 mars 2010) faisait valoir que la clé pour sauver le système d’éducation américain était de se départir des mauvais professeurs. Là-bas, comme ici, un appareil syndical sclérosé empêche l’évaluation des professeurs et le congédiement des mauvais éléments.
Dire que c’est la « clé » de la solution est un peu court. C’est certainement un élément important, mais un élément seulement. Cinq autres éléments doivent absolument être mis en place parallèlement :
1) Le rehaussement du statut et du prestige social du professeur.
2) Un rehaussement du salaire des professeurs, et le faire à un point tel qu’un professeur, pour améliorer ses conditions de vie, ne soit pas tenté de passer du côté de l’administration, ce que plusieurs font aujourd’hui. En fait, il faudrait faire en sorte que le salaire d’un administrateur ne soit jamais supérieur au salaire professoral le plus élevé, sauf peut-être le salaire du directeur lui-même.
3) Donner priorité aux facultés d’éducation pour qu’elles recrutent dans les 10% à 15% de candidats supérieurs à l’université. En Finlande, un pays très comparable au Québec par la taille de sa population, c’est parmi les 10% supérieurs qu’on recrute en éducation, apprend-on dans le rapport de Newsweek.
4) Donner en priorité aux jeunes professeurs une formation à la discipline! Un professeur qui n’arrive pas à asseoir son autorité dans une classe… n’est pas à sa place.
5) Faire en sorte que les programmes pédagogiques concoctés à Québec soient formulés en premier lieu par des professeurs de grande expérience et reconnus par tous pour leur très grand calibre de pédagogue… et d’inspirateur! Tous les Ph.D. et autres « spécialistes » de la chose pédagogique ne devraient être que des consultants à l’endroit de ces comités de professeurs.

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