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SIDA de civilisation : la société (11 / 11)

Yan Barcelo, 24 mars 2010
Cette fois-ci, il s’agit bel et bien du dernier volet de la série commencée il y a quatre semaines sur le sujet des problèmes de notre système d’éducation.
La pensée bande dessinée. – Un professeur de cégep, qui avait vu couler de l’eau sous les ponts puisqu’il avait enseigné aussi au collège classique, me disait il y a quelques années : “Il y a une désorganisation de la pensée. Les jeunes pensent en flashes, en discontinu. » En effet, nombre de jeunes parlent comme s’ils étaient toujours en train de relater une bande dessinée qui se déroule dans leur esprit, comme une série d’images discrètes, de petits instantanés découpés, où les connecteurs logiques ne sont jamais explicites. Leur pensée est analogique, non logique. Une image fait penser à autre chose, et on bondit ainsi de sujet en sujet, sans continuité.
Un tel constat confirme un des plus grands échecs de notre système d’éducation : son incapacité à former l’habileté de penser. On est très fort dans les feelings, les impressions, les flash et tout ce qui relève de la pseudo-intuition, mais élever l’esprit à une de ses capacités les plus fines, la capacité de penser, on ne peut parler de réussite. Il faut bien reconnaître que, loin d’être la principale coupable, l’école doit travailler à contre-courant de tout l’environnement médiatique et informatique qui oeuvre à la crétinisation du citoyen.
C’est que, pour s’élever jusqu’à cette altitude de penser, les fondements manquent. Les jeunes, souvent issus de foyers désunis, sont affectivement désorientés; ils ont grandi devant un téléviseur ou, aujourd’hui, devant un écran d’ordinateur, et nourris par les mécanismes de gratification instantanée des ces environnements; ils ont peu le sens de la discipline, de l’effort et de l’ascèse requis par l’étude. Leur faible capacité d’attention et de concentration est organisée autour d’une sorte de zapping mental : dès que ça devient un peu trop exigeant, on coupe le lien, on part dans la lune, on zappe.
Paul-Émile Roy, auteur du livre Une révolution avortée écrivait que « la très grande majorité de nos élèves, à leur arrivée au cégep, sont des illettrés et des incultes… Dans 90% des cas, la faute de grammaire que vous trouvez dans la copie d’un étudiant n’est pas un problème de grammaire, mais un problème d’attention, d’application, de concentration, de culture, de motivation, d’intérêt, d’initiation à la vie de l’esprit. La preuve, c’est que vous réglez le problème grammatical et le lendemain tout est à recommencer. »
Malheureusement, toute cette problématique s’enracine à un niveau plus profond que l’école. C’est tout le milieu familial et, du coup, la civilisation qui sont en cause…
Le mal « parent ». – On se désâme constamment dans les médias au sujet de la déperdition de notre système scolaire, du décrochage systématique, de l’érosion du français et des grandes matières d’apprentissage. Ce sont de réels problèmes. Mais ils sont essentiellement les symptômes d’un mal plus profond. Un mal de civilisation. Et ce mal loge dans l’ensemble de la société et tout particulièrement chez les parents. Ainsi, le principal problème des enfants à l’école tient dans une très grande mesure à leurs parents.
Tout ce culte de la facilité, tout ce manque d’exigence, tout ce mépris pour le rôle éminent du professeur, toute cette faveur donnée à la licence, au manque de contrôle de soi, à l’absence de caractère, c’est chez les parents qu’il loge au départ. C’est à cause d’un manque profond de conviction chez les parents à l’endroit de l’acte éducatif que les falsificateurs pédagogiques du ministère de l’éducation ont pu perpétrer le crime éducationnel qu’ils ont commis.
Et ces parents, qui sont-ils? Ils sont la « société ». Ils sont tous ces formulateurs d’opinions et d’idées, tous ces citoyens porteurs d’une « civilisation » qui croit de moins en moins à l’éducation. Et cette faible pratique qu’on appelle éducation n’a plus rien à voir avec l’éducation et son régime d’exigence et d’efforts… et de plaisirs intellectuels réels. Aujourd’hui, on dit « éducation » et on veut dire en fait un processus terne d’instruction auquel on se soumet pour avoir un job. Certes, il faut qu’une éducation mène à un emploi, mais ce n’est pas là que se situe son rôle primordial. Ce rôle, il est de mener un jeune vers la vie, de l’inspirer pour qu’il trouve quelque chose qui le soulève et l’enthousiasme.
Or, combien de jeunes se défilent en classe devant leurs devoirs et leurs examens, combien décrochent simplement parce que leurs parents ne les ont jamais vraiment « accrochés » à leur devoir d’étudier. Je suis toujours ébahi par le nombre de jeunes qui travaillent pendant leurs études, en fait, qui travaillent plus qu’ils n’étudient. Pourquoi? Pour toutes sortes de gratifications secondaires : avoir un cellulaire, un ordinateur, une auto, et quoi encore. Mais où sont leurs parents??? Le premier devoir d’un jeune est d’étudier! Pas de travailler! Son devoir à l’endroit de la société est de se préparer du mieux qu’il peut en vue d’y remplir son rôle plus tard. Mais nous avons cette idée farfelue qu’un emploi va former le jeune. C’est vrai dans une certaine mesure, mais une bien petite mesure. Ce qui va le mieux le former, c’est un labeur d’étude exigeant et assidu.
Or, dans bien des cas, la nouvelle école, c’est le lieu de travail. On a réussi à repousser la confrontation à la réalité jusqu’au seuil des entreprises qui doivent maintenant traiter avec une cohorte de jeunes imbus de leurs privilèges, de leurs droits et du respect qu’on leur doit. Mais qu’en est-il de leur devoir à l’endroit de l’entreprise et de la société? Or, cette revendication des « privilèges » et du droit à la gratification la plus immédiate, elle a maintenant envahi l’ensemble du tissu économique, tout particulièrement la sphère financière. Comment ne pas se désoler quand un vieux routier de l’investissement déplore l’extrême courte vue qui étreint les plus jeunes générations de financiers et leurs exigences de profits aussi immédiats que substantiels. Cet homme me disait récemment: « Que voulez-vous, on a élevé une génération qui veut être millionnaire avant trente ans et avoir le moins de responsabilités possible. » ¸
Bienvenue dans l’univers mental de ceux qui génèrent les crises financières à répétition.

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