Yan Barcelo, 8 mai 2010
Une nouvelle controverse est apparue en France autour de la mort de Freud, mort « annoncée » par la parution du livre du philosophe Michel Onfray, «Le crépuscule d’une idole : l’affabulation de Freud ». Dans cet ouvrage, que je n’ai pas lu, l’auteur fait une critique de Freud sur trois plans, dont voici un résumé tiré du magazine L’Express :
En premier lieu, Freud aurait eu un comportement malhonnête. En deuxième lieu, sa thérapie n’a pas fait ses preuves. Progressiste ou révolutionnaire, Freud ? En aucun cas, objecte Michel Onfray, qui tient à le mettre également en cause sous l’angle politique. C’était un fieffé conservateur, gardien des bonnes moeurs et partisan de régimes autoritaires.
Dans les milieux intellectuels en Amérique du Nord, surtout aux États-Unis, voici belle lurette que Freud a été enterré, terrassé par les attaques d’un grand nombre de critiques. On peut donc s’étonner que la France ne fasse que commencer à prononcer ses obsèques. Car, après les élucubrations d’un Lacan qui ont hypnotisé toute la génération intellectuelle du post-modernisme, Freud et la psychanalyse occupent une place considérable dans l’espace intellectuel français.
Je répète que je n’ai pas lu le livre d’Onfray, mais il me semble faire une attaque qui ne touche qu’à la périphérie de Freud : le père de la psychanalyse est un charlatan, un shaman en habits scientifiques; sa thérapie n’a aucune efficacité avérée; et il est un conservateur misogyne crasse.
J’ai fait une partie de ma thèse de doctorat en philosophie sur Freud, en me concentrant sur ce que je crois être l’essentiel de ses écrits : son livre Cinq Psychanalyses. C’est ici que Freud nous livre à la fois sa « science », sa méthode et sa façon de les opérer.
Or, ma proposition pour déboulonner Freud est plus simple et directe que celle d’Onfray. Peu m’importe l’homme Freud, peu m’importe sa « saveur » thérapeutique, si on s’était occupé de simplement lire les écrits de Freud, on aurait constaté qu’il s’agit d’un immense canular scientifique, et d’une superbe réalisation de fiction littéraire. Dans ma thèse je me suis concentré sur sa « fameuse » psychanalyse de « l’homme aux rats ». Voici ce qu’on peut en résumer :
Le concept d’inconscient que Freud dit avoir « découvert » est une pure fabrication fictive. Son propos est que l’inconscient est un complexe d’images-mots-affects qui « irradie » dans la sphère consciente, à distance, pour dérouter celle-ci. Le point de départ de ce complexe tient toujours à une scène de traumatisme originelle ayant un contenu sexuel quelconque. Dans le cas de l’homme aux rats, il s’agit d’un moment où le père aurait sévèrement châtié le patient au moment où celui-ci s’adonnait à quelque méfait d’ordre masturbatoire (à 6 ans !), épisode dont le patient ne se rappelle jamais lui-même et qu’il tient de souvenirs racontés par sa mère – qui assignait l’épisode à l’époque où le patient avait 3 ou 4 ans…
À travers un montage extraordinairement touffu et farfelu de mots et de glissements de sens d’un mot à l’autre, d’une image psychique à l’autre, cette scène primordiale agissait, selon Freud, dans la sphère consciente de l’homme aux rats totalement à son insu pour lui infliger une névrose en bonne et due forme. Or, en lisant bien le texte de Freud, on constate quelques données très malcommodes : a) à aucun moment, la scène traumatisante primordiale à l’origine inconsciente de la névrose, ne parvient-elle à la mémoire du patient; celui-ci, à aucun moment, n’en a la remémoration. b) Freud s’acharne avec une insistance très peu scientifique à repérer cette scène primordiale dans les souvenirs de son patient, pourtant ce souvenir ne se matérialise jamais. c) Bref, l’inconscient si essentiel à la théorie freudienne, de même que la matière sexuelle qui le compose, sont de pures fabrications de la part de Freud. Jamais – jamais! – un quelconque contenu inconscient que Freud tente désespérément de lire dans le psychisme de son patient, et dont Freud a cruellement besoin pour « fonder » sa théorie, ne se dévoile-t-il. d) Ces constations tiennent pour les quatre autres psychanalyses du livre de Freud qui, toutes, opèrent selon le même schéma.
Bref, les deux concepts fondateurs du freudisme (l’inconscient et lorigine sexuelle des traumatismes)sont des impostures ou, plus précisément, des fabulations.
Par ailleurs, Freud réclame la paternité conceptuelle d’une foule de mécanismes qu’il attribue à l’inconscient et qu’il dit être de nature « énergétique ». En fait, ces mécanismes (déplacement, transfert, sublimation, etc.) sont les mécanismes même du psychisme conscient. Pourquoi créer du « mystère » là où il n’y en a pas et assigner à un concept très fumeux « d’inconscient » toute une mécanique qu’on ne saurait en aucun lieu lui assigner puisqu’on ne le rencontre jamais. (Notez que je ne nie pas l’existence légitime d’inconscient, mais il s’agit d’une dimension autrement plus vaste que le petit concept étriqué que Freud met de l’avant).
Certes, en cherchant un peu, on peut assigner quelques originalités à Freud, par exemple, sa découverte de la sexualité infantile. Mais là encore, il imprègne à un phénomène mieux identifié sous le nom d’érotisme infantile son obsession sexuelle particulière.
Finalement, je caractérise Freud comme un pygmée intellectuel et scientifique dont le cadavre a été pour moi enterré il y a belle lurette. Mais il y a deux questions-clé que soulève le « phénomène Freud » : pourquoi cette fable freudienne a-t-elle eu une telle faveur, dont l’ampleur est inversement proportionnelle à la richesse scientifique de ses élucubrations? Et surtout, pourquoi les concepts et les idées freudiennes continuent-elles d’opérer encore à notre époque encore, même si le corpus théorique de Freud a été si abondamment désavoué. Car les idées de Freud ont imprégné tous les niveaux de notre organisation sociale et continue d’y opérer d’une façon invisible et souterraine. Quelles sont ces influences encore si virulentes?
Ce sont des questions auxquelles je tenterai de répondre la semaine prochaine. Entre temps, j’invite les réponses et les propositions de ceux qui me liront.