Archives quotidiennes : 27 juin 2010

SIDA de Civilisation – Le syndrome Halak

Yan Barcelo, 25 juin 2010

Si j’avais été amateur de hockey et un fervent du club Canadien, je ne le serais plus. Après avoir vu comment le club a éliminé le héros du jour, Jaroslav Halak, je vendrais mes billets de saison, je n’allumerais plus mon poste de télévision pour regarder les parties de hockey. Et je changerais de marque de bière.
S’il fallait de nouvelles preuves que le sport professionnel n’est plus qu’une cynique et froide machinerie mercantile, l’échange à bon compte que le Canadien a récemment fait de son gardien de but en est la confirmation éclatante.
Revoyons très brièvement la séquence des événements.
À cause d’une piètre performance en saison régulière, personne ne croit que le Canadien pourra se classer en éliminatoires. Et contre toute attente, voici que l’équipe réussit, avec une énergie et une détermination exceptionnelles, à se hisser au seuil des finales. Grâce à qui ? Tout le monde en convient : Jaroslav Halak. Bien sûr, les équipes d’attaque se sont requinquées, et plus encore les équipes de défense. Mais la palme revient incontestablement à Halak, un obscur gardien auquel on avait donné peu de chances de briller et qui, au moment crucial, se dresse comme un demi-dieu devant l’adversité. Il est une nouvelle incarnation de tous ces héros inattendus de l’histoire qui, face à des défis considérables, se hissent au niveau des plus grands en faisant appel à des capacités que personne ne leur soupçonnait.
Et tout le Québec a vibré pendant une saison au diapason de ce nouveau dieu du stade. Halak le méritait d’autant plus qu’il est toujours demeuré modeste en faisant rejaillir les éclats de sa gloire sur ceux qui l’entouraient. Si jamais un athlète devait être tenu en exemple devant une génération entière de jeunes gens, Jaroslav Halak est cet homme-là. Pourtant, il n’est pas Québécois pure laine et on ne peut pas en faire un icône nationaliste, mais l’espace d’un quinzaine de matchs, il est devenu un des nôtres. Il n’est plus seulement un gardien de but, il se hisse au rang d’un symbole de ce qu’il y a de plus vital et de plus précieux dans une communauté.
Et voici que la direction du club viole ce lien presque sacré et, au nom d’obscurs échafaudages stratégiques et financiers, lance son gardien de but en exil vers un autre club. C’est dire combien cette machine à sous ne voit plus dans le sport qu’elle exploite aucune valeur humaine, aucun lien communautaire. Les héros du stade sont des pions, grassement payés, qu’on associe temporairement à une ville, le temps de faire mousser les revenus publicitaires. Bien sûr, on sait qu’il en est ainsi depuis des décennies, et qu’il en est ainsi de plus en plus, mais on aurait pu croire que ces businessmen du sport auraient la décence de préserver un semblant de vernis humain à leurs affaires. Pas du tout.
Et ce geste scandaleux n’est qu’un autre épisode de cette vaste supercherie qu’est devenu le sport, tant dans son incarnation professionnelle que dans l’olympisme amateur. Les super-athlètes qu’on monte en épingle sont des machines à performance gonflées au stéroïdes et aux excitants de toutes sortes ; ils sont des pions interchangeables dans des mécanismes multimilliardaires ; ils sont des faire-valoir qu’on agite dans la grande foire commerciale où on donne au bon peuple du pain et des jeux. Sont-ils les demi-dieux que l’imagination populaire tente toujours de voir en eux ? Laissez-moi rire. D’ailleurs un d’entre eux pourrait-il se hisser hors de cette indécente médiocrité du business du sport pour établir un lien vital avec sa communauté, comme l’a fait Halak, vivement on l’expédie ailleurs pour rétablir la grande grisaille du pognon, du lucre, de la soif de l’or.
(À cause d’une absence d’une semaine, ma chronique ne paraîtra pas la semaine prochaine. Bon été et bonnes vacances!)

51 Commentaires

Classé dans Actualité, Yan Barcelo