(NDLR: Yan Barcelo est en vacances. Ici, nous reprenons un texte de lui dont la première partie, publiée en février sur « Les 7 », ne l’avait jamais été sur Cent Papiers. 4 mois plus tard, avec la Grèce hier et l’Espagne demain, ça ne va vraiment pas mieux pour la fragile planète du fric) PJCA
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L’économie donne des signes de vie, clame-t-on partout. C’est tant mieux. Mais gare au vampire financier, prêt, à la première occasion, à sucer tout le sang possible du convalescent économique.
La crise grecque a été l’occasion pour moi de refaire un petit tour du jardin financier et d’en constater toute la flore vénéneuse. Tout d’abord, on a vu à l’œuvre dans cette crise les jeux de dérivés financiers dont on a abondamment parlé, tous des swaps dette-contre-devise que Goldman Sachs a mis en place pour le gouvernement grec et qui ont contribué à masquer la pleine ampleur de cette dette. Rien là de très étonnant, les dérivés financiers ayant été créés dans une grande mesure pour contourner les lois et règles et maquiller tout détail financier qu’on pourrait considérer quelque peu déplacé ou… obscène.
Et il y a eu les jeux de CDS (credit default swaps ou swaps sur défaillance) auxquels se sont livrées les banques de Wall Street et quelques autres géants financiers. Voilà une des créatures les plus originales et pernicieuses de la pharmacie financière contemporaine. N’entrons pas dans le fin détail physiologique de ces créatures et contentons-nous de savoir qu’il s’agit d’un produit d’assurance tout à fait inouï : on peut acheter un CDS pour assurer un actif financier qu’on ne détient pas et qu’a n’a jamais détenu! C’est un peu comme si on détenait une assurance sur la vie d’un voisin. Un telle assurance est une invitation à l’assassinat!
Et c’est à un tel jeu d’assassinat les banques se sont livrées avec les obligations de la Grèce pour en écraser la valeur. Elles ont acheté des CDS en masse auprès d’une foule d’acteurs financiers (fonds de pension, fonds mutuels, fonds de couverture, etc.) et, disposant de ceux-ci en poche, ont attaqué systématiquement les obligations du gouvernement grec, faisant ainsi augmenter la valeur de leur « assurance ». Évidemment, une foule de gens à Wall Street y gagnent… tandis que le gagne-petit en Grèce verra ses taxes et son coût de la vie augmenter.
Mais la crise grecque m’a permis de rafraîchir le sens du mot « contagion » tel qu’il s’applique dans le monde financier. Au niveau le plus superficiel, il y a eu contagion dans les marchés obligataires où, dès que le président grec a annoncé que son pays pourrait faire défaut en avril et mai sur le remboursement de dettes venant à échéance, les investisseurs se sont mis à vendre en bloc les obligations d’autres pays présentant des risques de défaut : les fameux autres PIGS européens (Portugal, Irlande, et Espagne). À ce niveau, la contagion s’est donc propagée très rapidement et le rhume grec a réussi à contaminer les obligations des autres PIGS.
Mais il y a bien d’autres risques de contagion qui flottent dans l’air financier. À l’Est, la crise grecque risque d’obliger les banques de ce pays de retirer les sommes qu’elles ont prêté à des pays d’Europe de l’Est. Ça pourrait faire mal, très mal, surtout quand on sait que les prêts grecs de 19 milliards $US en Roumanie représentent environ 16% du marché de capitaux dans ce pays, selon la Banque des règlements internationaux, alors que les 10,5 millions prêtés en Bulgarie y accaparent 30% du marché des capitaux. Toute la stabilité économique de l’Europe de l’Est, déjà très précaire, pourrait être ébranlée.
Les problèmes sont pires à l’Ouest. Les banques allemandes et françaises détiennent entre 40 et 50% de la dette grecque, alors que la part qui incombe aux banques suisses représente 11,5% du PIB de l’Helvétie (selon un étude de Morgan Stanley). On peut comprendre que ces banques – par leur pays interposés – poussent très fort pour que l’Union européenne vole au secours de la Grèce. Évidemment, les choses ne se résument pas à la Grèce. Les banques espagnoles détiennent 51% de la dette du Portugal, tandis que les banques allemandes et françaises détiennent respectivement 32% et 25% des 748 milliards de dettes du gouvernement espagnol. Et n’oublions pas que l’Espagne touche à cet autre chaudron où se gonfle une super bulle, le Brésil, essentiellement par le biais de la banque Santander, principale banque d’Espagne qui est aussi première banque au Brésil. Ah, ces délicats tentacules de la pieuvre financière!
Mais on ferait erreur de voir la contagion s’arrêter aux portes des banques européennes. Car, la menace de défaut de la Grèce s’infiltre via les banques européennes dans tous les échafaudages de prêts titrisés qu’ont diffusé ces banques aux quatre coins du monde. Et la forme que prennnent toutes ces titrisations sont la pléthore des dérivés financiers de genre CDO, CLO, ABMS et PCAA qui ont mis à terre nos économies au plus fort de la crise du subprime. Bien sûr, tous ces circuits obscurs des transactions interbancaires résident totalement dans l’ombre, de telle sorte qu’on n’a parlé nulle part des risques de contagion qui logent dans leurs replis. Mais le plus grand danger de contagion, c’est là qu’il se tapit.
À présent, voyons un peu la géographie d’endettement dans laquelle circulent tous ces actifs de la finance virtuelle. On nous parle de pays où le taux d’endettement est immense, par exemple en Italie, où la dette du gouvernement s’élève à 115% du PIB. Mais ces chiffres « officiels » qu’on nous lance à la figure sont passablement aseptisés. Car le vrai niveau de la dette en Italie n’accapare pas 115% du PIB de ce pays, mais bien plutôt 364%, comme le révèle une étude de 2009 du National Policy for Financial Analysis, à Washington (http://www.ncpa.org/pdfs/st319.pdf).
Ce que les chiffres habituels négligent d’indiquer c’est tout l’endettement dénué de provisions que représentent en Italie les fonds de pension, les systèmes de santé et quoi encore. C’est ainsi qu’en Allemagne, l’endettement total atteint 418% du PIB, en France, 549%, en Grèce, 875%, en Pologne, 1500%! Aux Etats-Unis, l’endettement total, tel que le calcule la firme de Toronto Sprott Asset Management, s’élève à 110 trillions $US, soit environ 730% du PIB. Quel sera le prochain pays à ne pas pouvoir honorer la part de ses dettes venant à échéance à court terme?
Peut-être qu’un prochain choc ne viendra pas d’un pays souverain incapable d’honorer ses dettes. Peut-être que ce choc viendra de la Chine, par exemple, où plusieurs observateurs voient une bulle immobilière et financière de proportion homérique se gonfler depuis quelques années déjà. Et c’est sans compter la course d’investissement dans laquelle le gouvernement chinois a lancé son économie avec des rendements qui vont décroissant de plus en plus. C’est ainsi qu’on trouve en Chine une ville comme New Ordos, construite pour accueillir environ 1,5 million de citoyens, mais où personne n’habite. On trouve aussi le South China Mall, un centre commercial à peu près dix fois plus gros que n’importe quel centre commercial dans le monde – pratiquement désert.
Toute cette frénésie de construction a contribué à tenir dans la stratosphère la croissance du PIB chinois, mais il viendra inévitablement un moment où les coûts de soutien de ces installation et infrastructures inutilisées vont faire imploser les finances chinoises. Ce jour-là, un choc venant d’Orient se répercutera dans des réseaux bancaires et gouvernementaux surendettés. Par exemple, la Chine n’achètera plus les bons du Trésor américain, forçant la Réserve fédérale à augmenter démesurément son taux directeur, un geste qui enfoncera l’économie américaine dans un gouffre plus profond encore.
Pour l’instant, ces montagnes de dette sont bien dissimulées, et peuvent le demeurer un bon moment encore. Mais un jour, elles ne pourront qu’éclater au grand jour. Le jour, par exemple, où quelques gouvernements, en Europe ou aux Etats-Unis, s’avéreront incapables de payer les versements de pension de leurs citoyens. Ou qu’ils devront hausser les taxes de façon prohibitive simplement pour continuer à faire fonctionner quelques services publics devenu rachitiques.
Allons-nous passer au travers de tous ces écueils qui s’accumulent à l’horizon? C’est possible. Mais très-très peu probable. Nos jours d’abondance sont comptés.