La leçon de Bathurst

Imagineriez-vous une bande d’Américains forçant la ville d’Hiroshima à hisser bien haut leur drapeau à tous les 6 août, afin de célébrer le bombardement atomique ayant tué des centaines de milliers de personnes? C’est pourtant le coup de force qu’a réussi à accomplir la Anglo Society du Nouveau-Brunswick, qui a convaincu la ville de Bathurst, en Acadie, de hisser leur drapeau anti-français à l’hôtel de ville le 18 septembre afin de célébrer la fin officieuse de la présence française en Amérique du Nord et de marquer leur opposition au bilinguisme néo-brunswickois. Le fanatisme anglo-saxon est sans limite.

Soyons sérieux rien qu’un instant. Pour les francophones en Amérique du Nord – ou ce qu’il en reste – la fin de la présence française marque un point tournant; il s’agit d’un traumatisme collectif possiblement aussi pire, sinon davantage, que les bombardements atomiques au Japon. La société de nos ancêtres a été décapitée, on a interdit notre langue, on a déporté plus des deux tiers de la population d’Acadie. On a volé des terres. On a tué. On a détruit. Et ces anglophones voudraient, aujourd’hui, célébrer cela?

À la limite, si le français se portait bien au Canada, et si les francophones exigeaient, au sein de cette seule province bilingue du Canada, d’interdire complètement l’anglais, on pourrait comprendre. À la limite, je dis bien. Célébrer un événement douloureux pour l’autre, ce n’est jamais quelque chose de très respectable. Un peu comme si les Allemands hissaient le drapeau nazi à Auschwitz à tous les ans, si vous me pardonnez la boiteuse comparaison.

Or, le français au Canada hors-Québec en est au stade terminal, et il se porte extrêmement mal au Nouveau-Brunswick. Le taux d’assimilation des francophones y dépasse les 10% et leur nombre ne cesse de décroître. Ils ne forment même plus un tiers de la population de la province. À l’ouest, ils ont bien les régions faiblement peuplés du Québec pour les aider, mais au sud et à l’est, on ne parle que l’anglais.

Mais pour les extrémistes anglophones, un mot en français est un mot de trop. Lors d’une précédente manifestation contre le bilinguisme à Moncton, ils se promenaient avec des pancartes du genre « Bilingue aujourd’hui, français demain » où ils avaient apposé une fleur de lys sur l’image du Canada. Voyez-vous, le français, avec peut-être 3% de locuteurs de langue maternelle dans l’ensemble de l’Amérique du Nord, constitue une terrible menace pour les anglophones! Si rien n’est fait, l’anglais va disparaître! Imaginez-vous à quel point ces gens sont mentalement atteints? On pourrait sûrement en rire et leur suggérer une bonne dose de médicaments si les élus de Bathurst ne les prenaient au sérieux.

La leçon

La leçon de ces événements doit être claire pour tous les francophones: ce pays n’est pas et ne sera jamais le leur. La simple égalité constitue un affront pour les anglophones et ils feront tout en leur pouvoir pour s’y opposer. S’ils doivent interdire les écoles francophones comme ils l’ont fait pendant près d’un siècle, ils le feront. S’ils doivent fouler de leurs pieds nos valeurs, notre histoire, notre désir de survie, ils n’auront pas de remords.

Qu’on cesse un peu, nous, Québécois, de considérer les Acadiens comme des gens d’ailleurs. Les francophones de l’Acadie sont nos frères. Nous sommes Canadiens-français, comme eux, et si nous sommes devenus Québécois, c’est seulement parce que nous avons compris qu’il n’y avait pas de futur pour la langue française en-dehors d’une province où ses locuteurs pourraient être majoritaires. Nous sommes Québécois par défaut, parce que nous n’avons pas le choix. Nous sommes Québécois parce qu’on nous a volé tout le reste de notre identité.

Ce combat pour l’égalité et pour la survie du français doit se poursuivre partout, d’une Acadie où on insulte les francophones en hissant un drapeau anti-français au Québec où on sur-finance des écoles et des hôpitaux anglophones. Nous sommes tous ensemble.

Il faut se presser. Les nôtres disparaissent rapidement et la prochaine génération de francophones, éduqués dans la sacro-sainte admiration débile de tout ce qui est anglais et à qui on apprend à dire « thank you » avant même qu’ils sachent accorder un participe passé, ne sera peut-être pas à la hauteur pour défendre ce qui reste de notre francophonie. Si nous avions un gouvernement qui a des couilles, il demanderait des explications, voire des excuses, à Bathurst pour avoir permis cette insulte.

Mais si nous avions un gouvernement qui a des couilles, nous serions déjà indépendants et nous ne dépenserions pas 1,5 milliards pour un méga-hôpital anglophone et nous ne financerions pas un réseau universitaire pour anglophone sau triple de leur poids démographique.

Savez-vous quoi? Si nous n’agissons pas maintenant, nos descendants seront peut-être ceux qui exigeront qu’on hisse un drapeau anti-français et qu’on en finisse avec un peuple qui a préféré vivre à genoux plutôt que d’avoir le courage de se tenir comme se tiennent les vrais peuples: debout, le regard vers un futur où ils représentent autre chose qu’une note de bas de page dans le Grand Livre de l’Histoire.

Louis Prefontaine

http://louisprefontaine.com/2010/07/16/bathurst-anglo-society

2 Commentaires

Classé dans Actualité, Louis Préfontaine

2 réponses à “La leçon de Bathurst

  1. Aimé Laliberté

    Le prétendu conflit anglais -vs- français est une application du principe ‘diviser pour régner’.

    Le véritable conflit est tyrannie -vs- liberté.

    Ces histoire sur la langue, la religion, l’orientation sexuelle, les coutumes de chaque ethnie etc… sont des distractions pour emppêcher les gens de se concentrer sur les choses vraiment importantes.

    Quant aux acadiens, on pourrait plutôt se rappeler qu’ils sont nos cousins, et que leurs descendants sont présents dans plusieurs États du Sud des É-U. D’ailleurs le terme ‘cajun’ provient du mot ‘acadian’.

    Quand on voit les gens de la Louisiane se faire abuser de diverses façons, ou que leur équipe de football gagne le Super Bowl, on devrait se rappeler de ça.

    Pourquoi on ne voit jamais dans les journaux d’ici que ces gens sont liés à nous?

    C’est plus facile d’entretenir des petites guéguerre anglais -vs- français.

    D’ailleurs, Louis je me demande ce que tu fais et ou tu t’en vas avec ta croisade contre les anglais.

    L’article que tu citais en référence ne disait pas la même chose que ton billet. On disait plutôt que la décision de la ville pourrait être révoquée et effectivement, il appert que la ville de Bathurst a modifié sa décision et que le drapeau de l’Anglo Society ne sera pas hissé.

    Mais, cela tu n’en feras pas mention, car tu ne réponds pas aux commentaires.

    Ça ne vole pas haut ton affaire.

  2. Il s’en trouvera toujours des individus pour susciter la haine.

    Si nous donnons prise à cette forme de provocation, alors ils auront obtenu exactement ce qu’ils veulent.

    Je crois qu’il serait grandement préférable d’éviter d’ être en « réaction » tout en essayant autant que possible de rester concentrés sur l’essentiel. Écrire, lire, parler la langue de Voltaire, Vigneault, Sand, dans notre propre État. À ce juste titre, appuyer résolument tout effort qui est fait pour assurer la pérennité du fait français en sol d’Amérique, en tissant des liens privilégiés, avec toutes les communautés francophones.

    Le Québec est le reflet de ce que nous sommes. Il est l’État francophone d’une nation francophone. Ceci est un fait. Tous les francophones de la terre ont un lien spécial avec nous, nous ne sommes pas seuls. Si les canadians « souffrent » du syndrôme du conquérant, nous ne sommes pas forcés de penser en colonisés pour autant.

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