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SIDA DE CIVILISATION : Les grandes hypothèses (suite)

Yan Barcelo, 17 juillet 2010

(Avec cette série de chroniques « les hypothèses de vie », j’arrive dans les derniers milles de l’essai intitulé SIDA de CIVILISATION que j’ai débuté il y a environ 1,5 an sur ce site. Il s’agit d’un long chapitre qui se composera d’une dizaine de chroniques toutes liées les unes aux autres. Je débute cette deuxième chronique en rappelant le dernier paragraphe de la précédente.)

Aux prises avec son désert intérieur, il est très probable que la sainte de Calcutta ait connu des jours très angoissés à la fin de sa vie, peut-être autant que Louis, peut-être davantage. Il n’est pas du tout certain qu’elle soit morte dans la sérénité. Mais il est permis de croire que sa vie de dévouement et de dévotion lui aura gagné une place, ou tout au moins une trajectoire heureuse dans les dimensions de l’après-vie (en supposant que de telles dimensions existent, bien sûr).
D’un côté, nous avons un homme qui s’est consacré à une hypothèse de vie très conventionnelle, vouée aux devoirs et aux plaisirs les plus courants. De l’autre, nous avons une femme dont l’hypothèse de vie exprimait la fine fleur du destin chrétien : la vie consacrée au secours d’autrui de façon à gagner la faveur de Dieu.
Qui peut dire vraiment si Louis a eu tort ou raison d’organiser sa vie selon une hypothèse de bonheur terrestre qui laissait très peu de place aux considérations spirituelles? Qui peut dire si Thérèse de Calcutta a eu tort ou raison de se vouer à l’hypothèse du service à autrui?
Tout dépend de la façon dont on répond pour soi-même à la question suivante : ai-je une âme engagée dans un cheminement cosmique après la vie et dont je devrai répondre devant Dieu ou devant tout autre grand ordonnateur universel? S’il n’y a pas d’âme et pas de Dieu, alors le problème est réglé : on peut s’adonner à n’importe quelle hypothèse de vie, même la plus déréglée et meurtrière, sans le moindre souci. Tout finira à la tombe et le seul critère de réussite de cette vie aura été la jouissance qu’on aura pu coûte que coûte extraire du fruit terrestre. En fait, comme je l’ai dit ailleurs, si on ne souscrit pas du tout à l’idée d’une après-vie, alors il n’y a que les exploiteurs, les brutaux et les égoïstes finis qui ont raison en ce monde : ils ne s’enfargent pas dans les fleurs du tapis pour se payer les plaisirs et les jouissances que leurs pulsions et instincts commandent. En fait, tous les autres qui craignent la loi, la police ou l’opinion dans leur envie de se payer du bon temps – fut-ce aux dépens d’autrui – ne sont que des poltrons.
Mais s’il y a une âme, s’il y a Dieu, si on est appelé à répondre de notre conduite de vie, alors vaut mieux privilégier certaines hypothèses de vie, notamment celles qui ont une certaine teneur morale et spirituelle, et en éliminer d’autres, surtout les plus égoïstes et avides. C’est un peu en ces termes que Pascal posait son fameux pari…
Mais il reste que la validation d’une hypothèse de vie ne saurait être « objective ». Aucun tribunal cosmique ne nous apparaît à intervalles réguliers (à tous les 10 ans, par exemple), terrible et magnifique, drapé d’éclairs et d’aurores boréales, pour nous informer des hypothèses de vie les plus rentables sur un plan cosmique et nous détaillant les conséquences plus ou moins éprouvantes, ou plus ou moins béatifiques, dont chacun écopera ou jouira selon l’hypothèse avec laquelle il a mené sa vie.
S’il existe une mesure de la validité d’une hypothèse de vie, elle serait sans doute très intime et subjective : c’est une certaine paix intérieure qui vient du sens du devoir accompli. Il est permis de penser que la personne de vertu connaîtra une telle paix intérieure, même si ses conditions de vie extérieures sont par ailleurs dénudées de prospérité ou malheureuses. Par ailleurs, on peut penser que même l’homme très fortuné, entouré de tous les richesses terrestres, n’aura aucune paix intérieure s’il a la sensation intime d’avoir failli à ses devoirs d’être humain.
Mais il reste que rien ne nous garantit que le saint a raison et que l’exploiteur a tort. Donner raison à l’un et tort à l’autre relève d’un pur geste de foi, sans aucune garantie. Et quand on saurait les immenses sacrifices personnels au prix desquels le saint a pu atteindre à son statut exalté comparé à tous les objets de luxe et de jouissance que l’exploiteur a pu accumuler, il n’est pas dit que plusieurs préféreraient probablement emprunter la voie de l’exploiteur et… fermer les yeux.

Selon la logique que j’ai tracée dans les textes précédents, il semble impossible de dire objectivement, au plan individuel, si une hypothèse de vie est supérieure à une autre. Le seul compas auquel on peut se fier est celui de la conviction et de la foi personnelle. Toutefois, au plan de sociétés entières, certaines observations au niveau des cultures et des civilisations peuvent peut-être nous éclairer. C’est ce que je vais explorer dans les prochains textes.

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Classé dans Actualité, Yan Barcelo