Archives quotidiennes : 5 août 2010

L’Arcade de feu, ce groupe étranger

Arcade Fire ceci, Arcade Fire cela. Ces jours-ci, pas moyen de ne pas entendre parler de ce groupe de musique anglo-canadien. Les critiques de leur nouvel album, « The Suburbs », sont dithyrambiques. On les acclame, on les idolâtre. Et on se les approprie. Parce qu’ils sont bons, parce que leur musique est inventive, mélodique, excellente, on tente d’en faire ce qu’ils ne sont pas: un groupe québécois.« Je suis fier d’être Québécois quand j’écoute un groupe d’ambassadeurs de notre culture comme Arcade Fire » me disait un contact sur Facebook. Et moi de lui répondre que je suis fier d’aller manger de la nourriture indienne sur la rue Saint-Denis, mais que ça ne me fait pas croire pour autant que le poulet au curry qu’on y sert est typiquement québécois. Arcade Fire, c’est un groupe apatride qui habite dans notre ville francophone mais qui a fait le choix de ne jamais réellement s’y intégrer. Ce n’est pas un groupe québécois et encore moins un ambassadeur de notre culture.

Régine Chassagne, originaire d’Haïti et ayant grandi sur la rive-sud de Montréal, a fait le choix d’étudier en anglais. « Je voulais apprendre l’anglais. J’aime me fixer des défis » qu’elle affirmait. 1 On ignore quels objectifs elle espérait atteindre, mais le résultat est d’une inouïe tristesse: sur trois albums d’Arcade Fire, une seule chanson porte un titre français. Une sur trente-sept. « J’aurais très bien pu m’en aller du côté français, mais le hasard en a voulu autrement » qu’elle ajoute. 2 Quand on a besoin du hasard pour avoir envie de chanter dans sa propre langue et de refléter sa propre culture, c’est dire à quel point celle-ci est faible.

Et ses copains, font-ils mieux? Pas du tout. Win Butler, le mari de Chassagne, est originaire du Texas et est venu profiter d’une éducation anglophone à bas prix en s’inscrivant à McGill au tournant du millénaire. Près d’une décennie plus tard, il s’adressait principalement en anglais aux spectateurs venus voir Arcade Fire au Festival d’été de Québec. Il a bien disséminé par-ci par-là quelques mots dans la langue des sauvages comme un empereur s’abaissant devant ses sujets, mais Chassagne a dû traduire pour lui lorsqu’il a demandé aux gens d’envoyer des dons à Haïti.

Français, langue seconde, même au coeur de Québec.

Et Richard Reed Perry, lui? Originaire d’Ottawa, il était présent lors du célèbre « love-in » à la veille du référendum sur la souveraineté, en 1995. Sarah Neufeld; elle vient de Vancouver. Tim Kingsbury, de Guelph, en Ontario. Jeremy Gara, d’Ottawa lui aussi. Et le frère de Butler, Will, également du Texas. Et tous sont venus à Montréal non pas pour y parler français, mais simplement parce que c’était « cool ». Un groupe québécois, vous dites?

Évidemment, on pourra m’objecter, avec raison, qu’on ne définit pas l’appartenance à la nation québécoise par l’origine d’un individu. « Je ne veux pas savoir d’où quelqu’un vient, mais où il va » disait Falardeau. Reste que de savoir que la quasi-totalité des membres d’Arcade Fire viennent d’en-dehors du Québec, qu’au moins un de ceux-ci s’est clairement identifié contre la nation québécoise en 1995 et qu’ils ont, pour plusieurs, de la difficulté à parler un bon français tout en enregistrant des albums pratiquement unilingues anglais, voilà qui donne une indication de la direction qu’a choisi le groupe et de l’absence de sentiment d’appartenance à la nation québécoise. Arcade Fire ne vient pas d’ici et ne donne pas l’impression de vouloir aller dans la même direction que nous. Un groupe québécois, vous dites?

« Oh, mais ils habitent Montréal, sur le territoire du Québec, alors ils sont Québécois » qu’on m’objecte aussi. Légalement, oui. Mais légalement, le nouvel arrivant qui vient d’obtenir sa citoyenneté canadienne, qui ne parle pas un seul mot de notre langue et qui croit que René Lévesque est le boulevard où il doit aller chercher son passeport, celui-là aussi est Québécois. Appartient-il pour autant à la nation québécoise? Pire: a-t-il seulement conscience de l’existence d’une telle nation?

Deux visions différentes de la nationalité

Ce dont il est question, ici, c’est de l’affrontement entre deux visions de la citoyenneté. La citoyenneté multiculturelle à la canadienne, qui constitue un fourre-tout insondable où les ghettos ethniques ne sont pas seulement acceptés, mais souvent valorisés, et la citoyenneté intégrante québécoise, qui souhaite créer une nation cohérente où l’ensemble de la population possède une langue commune et s’identifie à des symboles communs. D’un côté, on te considère comme Canadien parce que tu habites ici et on se fout de savoir si ta femme est voilée de la tête au pied, si tu fomentes une révolution islamique dans ton sous-sol ou si tu méprises l’ensemble de ta société d’accueil; les valeurs communes n’existent que très peu. D’un autre côté, on désire t’intégrer à la société québécoise et te permettre de t’épanouir tout en respectant les valeurs traditionnelles du Québec. Ce sont là deux visions irréconciliables.

Or, quand même des souverainistes affirment qu’ils sont fiers d’un groupe comme Arcade Fire, un groupe ne chantant ni ne parlant ni ne représentant la langue française, quand ils affirment que ce groupe représentent leur réalité, ils nagent dans une mer de contradiction. On ne peut pas vouloir à la fois l’indépendance du Québec – et donc respecter la spécificité d’une nation ayant des valeurs communes – et encenser les produits d’un multiculturalisme allant jusqu’à nier l’existence de l’importance d’une telle langue et de telles valeurs. On ne peut pas affirmer à la fois qu’Arcade Fire nous représente parce que ses membres habitent ici et en même temps vouloir se séparer du Canada parce qu’il existerait quelque chose de plus important que l’ensemble des individus désolidarisés habitant au Québec. On ne peut pas s’enorgueillir de la réussite individuelle de n’importe quel groupe d’individus vivant dans un ghetto et se réclamer d’une nation luttant pour sa survie et utilisant l’indépendance comme un moyen d’y arriver. On doit choisir.

Arcade Fire est un groupe fascinant. De la musique extrêmement inventive. Des individus originaux qui ont su toucher les gens. Mais il ne s’agit pas d’un groupe québécois et il ne représente pas davantage le Québec que Michael Jackson, les Black Eyed Peas, Metallica, Madonna, ou n’importe quel autre produit d’une culture anglophone omniprésente, envahissante, étrangère à la spécificité québécoise et qui prospère dans le ghetto de l’université McGill, l’institution universitaire la plus sur-financée du Québec.

Arcade Fire habite ici, mais ce n’est toujours qu’une plante exotique dans un pot oublié au milieu de la forêt laurentienne.

C’est ici, mais ça ne représente rien de nous.

Ou si peu.

Louis Préfontaine

http://louisprefontaine.com/2010/08/03/arcade-fire

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La futilité de l’interventionnisme étatique

Hier, j’ai eu une plaisante discussion avec un collègue pour lequel j’ai une grande estime, même si nous ne partageons pas les mêmes opinions sur tout. Ce que je préfère des gens auxquels je m’associe, c’est qu’ils aient des convictions et qu’ils les assument, même si je ne ne partage pas ces convictions. Les débats sont d’ailleurs beaucoup plus intéressants lorsque votre interlocuteur n’est pas 100% d’accord avec vous. Je ne le nommerai pas, mais je sais qu’il se reconnaitra instantanément. Toujours est-il que quelque part dans la conversation, nous avons touché le sujet de l’interventionnisme.

Ceux qui comprennent la philosophie libertarienne comprennent bien que les libertariens s’opposent farouchement aux interventions de l’état, mais peut-être ai-je négligé d’expliquer clairement pourquoi nous y sommes si opposés. Je pourrais probablement vous offrir une longue dissertation de mon propre crû, mais je suis en vacances, alors je me permet quelques petits raccourcis. Je cèderai donc la place à Ludwig von Mises sous la forme d’un article paru dans la revue « Christian Economics » en 1964 mais qui, comme vous le constaterez sûrement, est encore plus d’actualité aujourd’hui.

Ludwig Von Mises (1881-1973)

L’illusion de l’intervention gouvernementale

Publié pour la première fois dans Christian Economics, 4 février 1964.

Les facultés intellectuelles et morales de l’homme ne peuvent s’épanouir que là où les gens s’associent entre eux de manièrent pacifique. C’est la paix qui est à l’origine de toutes les choses humaines, et non — comme le disait le philosophe antique grec Héraclite — la guerre. Mais la nature humaine étant ce qu’elle est, la paix ne peut être établie et préservée que par un pouvoir capable d’écraser les briseurs de paix et disposé à la faire.

Le gouvernement, l’État, est l’appareil social de coercition et de contrainte. Son but est de rendre le monde sûr pour permettre la coopération humaine, et ce en protégeant la société face aux attaques des agresseurs étrangers et des bandits nationaux. La marque caractéristique du gouvernement est de disposer, dans une région donnée du globe, du pouvoir et du droit exclusifs d’avoir recours à la violence.

Dans l’orbite de la civilisation occidentale, le pouvoir et les fonctions du gouvernement sont limités. Plusieurs centaines, voire des milliers d’années de rudes conflits ont conduit à une situation garantissant aux citoyens individuels la liberté et de véritables droits, et non de simples libertés. Dans une économie de marché les individus sont à l’abri de toute intervention du gouvernement tant qu’ils ne violent pas les lois dûment promulguées du pays. Le gouvernement n’entre en jeu que pour protéger les gens honnêtes et respectueux de la loi contre des attaques violentes et frauduleuses.

Il y a des gens qui disent que le gouvernement est un mal, mais qu’il s’agit d’un mal nécessaire. Cependant, ce qui est nécessaire en vue de parvenir à une fin donnée ne doit pas être qualifié de mal au sens moral du terme. C’est un moyen, mais ce n’est pas un mal. On peut même dire que le gouvernement est la plus bénéfique de toutes les institutions terrestres car sans lui il ne pourrait y avoir ni coopération pacifique entre les hommes, ni civilisation, ni vie morale. C’est dans ce sens que l’apôtre a dit qu’ « il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu » a.

Mais l’existence même d’un appareil gouvernemental de coercition et de contrainte fait surgir un nouveau problème. Les hommes détenant cet appareil cèdent trop facilement à la tentation de mésuser de leur pouvoir. Ils tournent leurs armes vers ceux qu’ils devaient servir et protéger. Le principal problème politique de toutes les époques fut et est le suivant : comme éviter que les dirigeants ne se transforment en despotes et ne créent un État totalitaire. Défendre le liberté individuelle contre les empiètements des gouvernements tyranniques, contre les dangers d’un régime totalitaire, voilà quel était et quel est la question fondamentale de l’histoire de la civilisation occidentale.

Or à notre époque la cause du totalitarisme a trouvé une nouvelle vigueur par le biais d’une ruse. L’élimination radicale de toute liberté de l’individu à choisir sa propre voie, et ce au bénéfice de l’autorité politique suprême, est saluée sous les noms de socialisme, de communisme ou de planisme comme la victoire de la véritable liberté. Ceux qui visent à un état de fait où tout le monde sera réduit au statut de simple rouage dans les plans des « ingénieurs sociaux » paradent et s’affichent comme les successeurs des grands champions de la liberté. L’assujettissement d’une nation libre par les forces du régime le plus tyrannique qu’ait connu l’Histoire est appelé « libération ».

La politique de la voie médiane

Face au formidable défi du totalitarisme, les partis au pouvoir en Occident ne cherchent pas à préserver le système de la libre entreprise qui a offert à leurs nations le plus haut niveau de vie jamais atteint dans l’Histoire. Ils ignorent que la situation de tous les citoyens de États-Unis et des autres nations qui n’ont pas placé trop d’obstacles sur la route de la libre entreprise est bien plus favorable que la situation des habitants des pays totalitaires. Ils pensent qu’il est nécessaire d’abandonner l’économie de marché et d’adopter une politique de la voie médiane, supposée éviter les prétendus défauts de l’économie capitaliste. Ils cherchent un système qui, comme ils le disent, serait aussi éloigné du socialisme que du capitalisme et qui serait supérieur aux deux. Ils veulent éliminer, au moyen de l’intervention directe du gouvernement, ce qu’ils considèrent être insatisfaisant dans l’économie de marché.

Une telle politique d’immixtion du gouvernement dans les phénomènes du marché avait déjà été recommandée par Marx et Engels dans le Manifeste communiste. Mais les auteurs du Manifeste communiste considéraient les dix groupes de mesures interventionnistes qu’ils suggéraient comme devant conduire petit à petit au socialisme intégral. Tandis que de nos jours les porte-parole du gouvernement et les politiciens de gauche préconisent ces mêmes mesures comme étant une méthode, voire l’unique méthode, pour sauver le capitalisme.

Les avocats de l’interventionnisme ou de l’immixtion du gouvernement sur le marché se défendent de vouloir le socialisme et disent vouloir conserver au contraire la propriété privée des facteurs de production matériels, la libre entreprise et l’échange marchand. Mais ils prétendent que ces institutions de l’économie de marché pourraient facilement être utilisées de travers, et qu’elles le sont d’ailleurs souvent, par les classes possédantes afin d’exploiter de manière injuste les couches pauvres de la population. Pour éviter un tel résultat ils souhaitent restreindre la liberté d’action des individus par des ordres et des interdictions édictés par le gouvernement. Le gouvernement devrait s’immiscer dans toutes les actions des hommes d’affaires qu’il considère comme nuisant à l’intérêt public ; sur les autres aspects, toutefois, il devrait laisser fonctionner le marché et lui seul.

Selon cette doctrine interventionniste seul le gouvernement est qualifié pour décider dans chaque cas si « l’intérêt public » réclame ou non l’intervention du gouvernement. La véritable signification du principe interventionniste revient par conséquent à déclarer : Le monde des affaires est libre d’agir tant qu’il suit exactement les plans et les intentions du gouvernement. Il ne reste ainsi rien d’autre au marché que le droit d’exécuter humblement ce que le gouvernement veut qu’il fasse. Il ne reste à l’économie de marché que quelques mots, bien que leur signification ait radicalement changé.

La doctrine interventionniste n’arrive pas à comprendre que les deux systèmes — l’économie de marché et sa suprématie des consommateurs d’une part, l’économie dirigée par le gouvernement d’autre part — ne peuvent pas être combinés au sein d’un composé viable. Dans l’économie de marché les entrepreneurs sont soumis sans restriction à la suprématie des consommateurs. Ils sont obligés d’agir de façon à ce que leurs opérations soient approuvées par les achats des consommateurs et deviennent de ce fait rentables. S’ils échouent dans leurs tentatives, ils subissent des pertes et doivent, s’ils n’arrivent pas à modifier leurs méthodes, changer de métier.

Toutefois, même si le gouvernement empêche les entrepreneurs de choisir les projets que les consommateurs veulent que ces derniers exécutent, il ne parvient pas aux fins qu’il voulait atteindre par ses ordres et ses prohibitions. Producteurs et consommateurs sont tous deux forcés d’adapter leur comportement au nouvel état de choses consécutif à l’intervention du gouvernement. Mais il se peut que la façon dont eux, producteurs et consommateurs, réagissent, apparaisse encore moins souhaitable aux yeux du gouvernement et des avocats de l’intervention que la situation précédente du marché libre de toute entrave et que le gouvernement voulait modifier. Dès lors, si le gouvernement ne veut pas s’abstenir de toute intervention et revenir sur sa première mesure, il est obligé d’ajouter une nouvelle intervention à la première. La même histoire se répète alors à un autre niveau. Et à nouveau le résultat de l’intervention du gouvernement lui apparaît encore moins satisfaisant que la situation précédente à laquelle il désirait remédier.

De cette façon le gouvernement est forcé d’ajouter à sa première intervention de plus en plus de décrets d’ingérence, jusqu’à éliminer de fait toute influence des facteurs du marché — entrepreneurs, capitalistes, ainsi qu’employés et consommateurs — de la détermination de la production et de la consommation.

Note

a. Épître de Paul aux Romains (13:1). NdT.

Ça fait déjà plusieurs décennies que nous subissons la politique de la voie médiane telle que von Mises l’a décrite ci-haut. Le résultat est peu édifiant: Crise après crise nous maintient dans un état de terreur constant et les banquiers et la classe dirigeante s’enrichissent aux frais des contribuables. Profits privés et pertes socialisées et un endettement à ce point astronomiques que nous ne pourrons jamais le rembourser. Tout ça grâce à l’interventionnisme de politiciens qui ne reconnaissent plus aucune limite à leur pouvoir. Ils profitent de la naïveté des gens pour exercer ce pouvoir impunément. Une seule chose peut les arrêter: Vous!

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Classé dans Actualité, Philippe David