Yan Barcelo, 21 août 2010
Dans ma dernière chronique, j’affirmais que l’injonction fondatrice du Christ d’aimer son prochain comme soi-même était constituait le ferment essentiel de la civilisation occidentale. Sans cette impulsion totalement originale, et sans la valorisation éthique du monde matériel qu’elle recouvrait, les grandes créations qui caractérisent l’Occident n’auraient pas vu le jour : la démocratie, l’égalité devant la loi et, plus loin encore, la science, la technologie , l’industrialisation et le capitalisme. Même certains fruits contestables de notre héritage, comme le communisme et le féminisme, sont impensables – et n’ont d’ailleurs pas été pensés – en dehors des équations d’altruisme mises de l’avant par le Christ.
Voilà autant de propositions que je vais tenter de démontrer. Mais auparavant, tentons de repérer quelques axiomes qui ont émergé et se sont consolidés à partir de la proposition du Christ et dont l’affirmation sert de base au reste de la démonstration.
L’affirmation éthique du monde. – Il est difficile d’exagérer cette notion fondamentale issue des Évangiles et qui anime de son souffle toute l’évolution de l’Occident. Certes, cette affirmation paraît incertaine dans les paroles qui sortent de la bouche du Christ, par exemple quand il dit « Mon Royaume n’est pas de ce monde ». Cependant, à partir de l’insistance que le Christ donne à l’aide au prochain par les actions charitables, il en a résulté cette affirmation éthique du monde qui est une marque distinctive de l’Occident. Tout l’effort des penseurs de l’Église, dans leur confrontation aux systèmes antiques de pensée (judaisme, gnosticisme, platonisme, aristotélisme, etc.) a œuvré dans ce sens. C’est peut-être une erreur d’interprétation et de compréhension des paroles du Christ, mais on peut définitivement parler d’une erreur fertile.
Valeur absolue de l’âme individuelle. – En même temps que l’Église catholique tentait de préciser sa compréhension de l’âme et les liens de celle-ci au corps et à l’esprit, elle imposait lentement l’idée que chaque âme vaut totalement et entièrement aux yeux de Dieu. Ce travail de sacralisation de l’âme individuelle a été mené tout au long du Moyen-Âge, surtout durant la période qui va du 4e au 13e siècle après Jésus-Christ, soit de Saint-Augustin à Thomas d’Aquin. Le protestantisme est ensuite venu solidifier cette notion en établissant un lien direct entre l’âme et la conscience individuelle et Dieu.
Aujourd’hui, cette notion de la valeur absolue de l’âme individuelle et de son lien sacré et personnel à Dieu (chez ceux qui s’en préoccupent un peu, évidemment) semble aller de soi. Mais tout au long de l’histoire avant le Christ, des systèmes de pensée très éminents ont maintenu, par exemple, que s’il y avait une âme, celle-ci n’était guère mortelle, et mourait avec le corps. C’était la pensée des matérialistes grecs. Un autre système de pensée, le gnosticisme, très présent aujourd’hui dans la pensée Nouvel-Âge, affirmait que seule une élite spirituelle était dotée d’une âme immortelle appelée à jouir de la contemplation éternelle de Dieu dans le plérome. Au bas de l’échelle, où se situe la grande majorité de l’humanité, il n’y a pas d’âme comme telle et la mort du corps est définitive.
Harmonie entre pensée humaine et ordre divin. – C’est chez Thomas d’Aquin qu’on trouve la plus haute expression de cette idée que la raison humaine est en continuité avec l’ordre divin et qu’elle peut, à l’intérieur de ses limites, comprendre cet ordre. Une telle idée, qui reprend certains jalons de la pensée grecque antique, est franchement révolutionnaire. La plupart des systèmes intellectuels et religieux dans l’histoire on affirmé que l’univers matériel– en supposant qu’il ait une quelconque réalité légitime, ce qui est nié dans les grands systèmes orientaux – échappe entièrement à la compréhension humaine. L’univers est irrationnel, il est sujet aux caprices des dieux, et la seule façon de gouverner sa barque dans ce monde désordonné est de se gagner la faveur de ces dieux capricieux.
C’est sur ces fondements que les grandes réalisations de la pensée occidentale se sont érigés. Et c’est que je m’occuperai d’articuler plus en détail dans ma prochaine chronique.