Archives quotidiennes : 29 août 2010

Bastarache : le nom d’une rupture

Qui aurait pensé que le Juge Bastarache passerait à l’Histoire ? Enfin, son nom, plutôt, mais qu’est-on dans l’Histoire sauf un nom !  Oświęcim serait une petite ville industrielle de Pologne sans histoires, si ce n’était  de la mauvaise réputation qu’elle traîne et qui en a fait plus qu’un détail de l’Histoire…

Important un nom. Dans un siècle, au Québec, on confondra peut-être les 2 ou 3 Johnson et même les 2 Bourassa – et qui sait, « les » Trudeau –  mais Bastarache est un nom qui ne s’oubliera pas. C’est le nom d’une rupture.

Pour ceux hors Québec, un mot d’explication. On a tiré le Juge Bastarache de sa retraite pour qu’il préside une Commission d’enquête sur le processus de nomination des juges, processus dont on a contesté l’intégrité.  Important, mais encore bien plus qu’on ne le pensait, car on s’aperçoit  que cette Commission arrive comme la proverbiale paille, pour craquer le dos du chameau.

Il y a longtemps que la confiance se perdait, mais c’est cette Commission en trompe l’œil qui a poussé les citoyens à faire un bilan.  75%  des Québécois ne croient plus  la parole du Premier Ministre; on croit son accusateur.  C’est un seuil dans le rejet du pouvoir. On dira désormais « Bastarache »,  pour marquer la ligne de partage des eaux de l’Histoire du Québec.

Avant, il y aura eu une population jocrisse qui croyait en tous et en n’importe quoi. Ses curés, ses élites, ses journalistes, ses  politiciens, ses syndicats, une affirmation  nationale  progressive et un enrichissement constant dans une économie prospère.

Après, la religion sera apparue une affaire d’enfants ou d’étrangers, les élites comme des intellectuels déphasés ou des bourgeois profiteurs. Les journalistes – à de rares exceptions près – auront été perçus comme les larbins des groupes de presse ou d’inoffensifs protestataires qu’on aura mis au trottoir quand ils refusaient de le faire.  Politiciens et syndicats ? Une même omniprésente corruption. Affirmation nationale ?  En veilleuse.  Enrichissement constant dans une économie prospère ?  Parlons d’autre chose…

Avant, le citoyen lambda, malgré les rumeurs qui volaient parfois de-ci de là, croyait encore qu’il existait un havre  d’honnêteté dans la structure de la société ; une justice rendue par des juges.  Il voyait les avocats comme des exploiteurs sans conscience, mais il croyait fermement qu’il y avait, dans toute cour de justice, un juge  qui agissait de bonne foi. Un homme incorruptible qui cherchait la vérité et voulait la justice. Il pensait que, même accablé par l’argent et le pouvoir, le bon droit pouvait prévaloir.  Il avait des doutes, mais il le croyait. Maintenant, il ne le croit plus.

Maintenant, le citoyen lambda a déjà porté son verdict, avec ce total désintérêt pour les procédures qui est le propre de la justice populaire : il croit que les juges sont nommés arbitrairement par le gouvernement, sur l’avis de gens peu recommandables et qu’ils jugent en fonction des intérêts de ceux qui les ont nommés ou fait nommer. Des preuves ? Le citoyen se contrefiche des preuves formelles.

Il regarde autour de lui et il voit un monde de totale injustice où règne aussi la corruption.  Il fait des liens et des rapports  entre l’injustice qui est partout  et une Justice qui ne semble plus être là.  Il ne donne pas le bénéfice du doute ; il n’a plus de doutes.  Peu lui importe que les trafics d’influence, en supposant qu’il y en ait, ne s’appliqueraient que dans des dossiers « importants ».   Il est maintenant persuadé que même « ses » petites causes à lui ne sont pas jugées impartialement elles non plus.  Il découvre que le type en robe noire qui en décide du sort est un être humain qui a des amis, des parents, des intérêts… peu-têtre des faiblesses.

On vient de tuer ce qui restait de confiance dans l’esprit et le cœur du monde ordinaire. En élargissant l’enquête à la période péquiste – en soi un geste équitable –  Bastarache ne dédouane pas les Libéraux ; il  fait seulement qu’après avoir dit au peuple  « je t’ai trompé », le pouvoir  – qui reste UN, dans l’esprit des gens, quelle que soit sa couleur – lui ajoutera perfidement « …et je t’ai toujours trompé ! », rendant le divorce inévitable.  Bastarache va présider à un divorce.

Quel divorce ?  Le divorce entre  la population – qui prend le nom de peuple dans les grandes occasions – et  une certaine caste dirigeante qui la contrôle, la manipule et l’exploite sous couvert d’une pseudo démocratie qui n’est qu’un leurre. La désacralisation du pouvoir judiciaire qui résulte de l’inouïe stupidité qu’est cette enquête vient compléter, dans l’esprit des gens, la fusion des trois pouvoirs de l’État dans une même turpitude.   Si notre « démocratie », demain, était attaquée, qui prendrait sa défense ?

Dommage pour Bastarache, qui n’a rien à y voir ou si peu, mais il a eu la mauvaise fortune d’être celui dont on a choisi le nom pour désigner cet événement qui marque la rupture.  Dommage.   C’est sérieux, un nom et ça dure.  Monsieur le Juge devrait peut-être en changer …  comme cette petites ville des années quarante – Auschwitz – qui n’avait pas choisi les « industries » qu’on y avait installées.

Pierre JC Allard

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SIDA DE CIVILISATION : Les grandes hypothèses – 7

Yan Barcelo, 28 août 2010
Quels sont les grands fruits de l’Occident tributaires du message évangélique du Christ? Nous les connaissons tous (et, bien sûr, plusieurs sont contestés), mais leur insertion dans la tradition chrétienne ne saute pas nécessairement aux yeux.
Démocratie – Il peut sembler abusif d’associer démocratie et théologie chrétienne, mais il ne fait pas de doute que sans la matrice chrétienne, nos grands systèmes de démocratie politique n’auraient pas vu le jour. Car la démocratie – un système par lequel la volonté populaire s’exprime via le vote individuel – avait besoin pour naître de la matrice de la notion d’âme individuelle, telle que l’a pensée le christianisme.
Avant même qu’émerge l’idée du citoyen – l’entité politique fondamentale des systèmes démocratiques – il fallait penser la valeur de la personne humaine individuelle. Et avant de penser cette individualité sociale, il fallait penser la valeur incontestable de l’individualité, l’idée que l’âme de chacun vaut absolument, que chaque personne est sacrée. C’est ce que le christianisme a permis de penser à partir du message du Christ. De là, nous en sommes arrivés à donner valeur à chaque individualité et à la l’expression de chaque individualité.
Il est remarquable que c’est en Angleterre, principal réceptacle du mouvement protestant et de son affirmation du lien direct de l’âme individuelle à Dieu, sans l’intermédiation des prêtres, que s’est produite la première révolution démocratique sous la forme très embryonnaire de la monarchie parlementaire. Puis, c’est dans les colonies britanniques d’Amérique, encore là tributaires de la ferveur protestante, que la première grande révolution démocratique a pris forme, avant même la révolution française de 1789. Ne nous méprenons pas, cependant : le protestantisme est simplement venu fixer un ensemble de lignes de force qui avaient déjà été mises en place par le catholicisme.
Aujourd’hui, nous baignons littéralement dans l’individualisme de telle sorte qu’il semble une évidence absolue. Mais cette évidence est loin d’être… évidente. Elle constitue une nouveauté récente dans l’histoire intellectuelle et spirituelle du monde. Il est notable que cette notion, si fondamentale à l’Occident, échappe encore à la majorité de l’humanité (en Inde, en Chine, dans tout l’extrême-orient et en Afrique). Certes, dans ces zones géographiques, on préserve à divers degrés la notion d’une certaine sphère d’autonomie individuelle, mais elle est très secondaire. Ce qui prévaut, c’est un impératif « communautariste » dans lequel l’individu se définit essentiellement par sa fonction dans le groupe, nullement par une valeur intrinsèque. Dans ces systèmes de pensée, la partie n’a que très peu de sens et de valeur; elle est rapidement subjuguée par la logique de la totalité du corps social. Il est difficile pour un occidental de soupeser la profondeur à laquelle plongent le conformisme social de ces systèmes où l’individu n’a de valeur que par les devoirs qu’il assume.
Et cette façon de penser qui caractérise la plus grande part de l’humanité aujourd’hui domine aussi la quasi-totalité de l’histoire humaine. La notion de la valeur sacrée de la personne, de ses attributs de créativité uniques, de ses dons particuliers susceptibles de l’entraîner dans un parcours social qui peut traverser toutes les classes sociales, cette notion est une conquête occidentale qui n’a triomphé qu’au cours des 200 ou 300 dernières années. C’est un acquis extrêmement fragile.
On voit d’ailleurs cette fragilité dans la frénésie hystérique qui caractérise cette notion aujourd’hui, où l’individualisation et ses liens nécessaires à la communauté donnent lieu à une atomisation croissante d’individus isolés, parcellaires, déstructurés. Nous souffrons de plus en plus de formes aberrantes de l’individualisme, pourtant il demeure que cette notion est une des conquêtes fondamentales de l’Occident.
(La semaine prochaine, j’enchaînerai avec le thème suivant de la science et de la technologie comme fruits privilégiés de notre héritage occidental et chrétien.)

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