Archives quotidiennes : 12 septembre 2010

Quand la nouvelle est prête à boire

Ce n’est un secret pour personne que Les 7 du Québec gèrent le journal CentPapiers. La semaine dernière, CentPapiers a fait l’objet de plusieurs attaques concertées sur divers plans, qui ont culminé en un changement forcé en catastrophe  de ses serveurs-hébergeurs. Il en est découlé divers inconvénients, particulièrement sur le plan du calcul des visites et autres statistiques, mais, surtout, certains des fils RSS qui fournissent  CentPapiers en mots et en idées ont cessé de fonctionner. Plusieurs de nos collaborateurs réguliers n’ont pu être publiés sur le champ. Nous avons perdu la dimension « scoop »  dont le folklore populaire, diffusé par la télévision, a fait l’essence du journalisme.

Des articles de nos auteurs chevronnés, Bonnet, Cabanel, Jules et autres, tous a l’affut de la réalité quotidienne dans cette période survoltée que vit la France, ont été retardés et nous sont parvenus avec trois ou quatre jours de retard. Cataclysme ?  Coup fatal porté à CentPapîers par ceux qui n’aiment pas que soient dites les choses que nous disons ?   Au contraire, cet incident a été une bénédiction. Une épiphanie !

Nous avons eu une révélation, qui est venue confirmer ce que, bien sûr, nous savions deja : notre mission n’est en aucune façon de tenter de faire concurrence au Journal de 20 heures, ou au Téléjournal de Radio-Canada.  Nous pourrions gagner un sprint à la nouvelle, en nous transformant en fil de presse, auquel cas, bien sûr, ce sont les médias liés a des horaires qui ne seraient plus dans le coup….  Nous pouvons tout publier en temps réel et les autres médias devraient adopter la même stratégie, avec des coûts autrement plus lourds…

Mais est-ce la mission d’un journal citoyen ? Un journal en ligne, comme CentPapiers, n’a absolument pas pour vocation de publier la nouvelle à la vitesse de la lumière, avant n’importe qui, mais de mettre la nouvelle en ligne quand elle semble avoir une signifiance, être porteuse de reflexion…

Avec l’Internet tout est aujourd’hui transparent. Les vrais  scoops, ce ne sont plus des faits :  ce sont les liens entre les faits et leurs agencements.  Un scoop, en 2010, c’est « voir ce que personne n’a vu » comme dirait Albert Londres. . .  C’est l’interprétation qui compte. Nous ne voulons donc pas annoncer la nouvelle; ce que nous publions est et sera toujours une REFLEXION sur une nouvelle.

Et cette réflexion même ne se prétend pas définitive, au contraire, mais le premier énoncé d’un dialogue qui doit se poursuivre, entre un auteur qui prend l’initiative d’ouvrir un debat en donnant  une nouvelle en pature à la  volonté populaire de la commenter… et TOUT LE MONDE.

Le défi est que se poursuive ce débat en s’enrichissant, commentaire par commentaire, jusqu’à ce qu’il en naisse une pensée populaire.  Pensée indefiniment perfectible, prenant la forme d’opinions.   La mission d’un  journal citoyen est de  donner une interprétation des faits, qui se raffine au cours des jours par l’ajout de commentaires. Il est souhaitable que cette interprétation commence aussitôt que possible après les faits, mais elle doit s’enrichir en continu des apports de tout le monde. C’est ça, la révolution de l’internet.

Dans cette optique, les articles vieux de quatre jours sont toujours d’actualité.   Ils ont muri, comme du bon vin!  Ceux qui n’ont pas gardé leur pertinence, ce  sont ceux qui n’avaient pas vraiment de place sur CentPapiers dès le départ. Ceux qui ne devraient avoir  de place dans aucun journal, ni aucun médium écrit, sauf un fil de presse. Le scoop, au palier des faits, c’est à la télé.

Ceux qui veulent des scoops de faits les y trouveront… à la vitesse de la lumiere. Mais ce sont des scoops pour grand maman… Un vrai scoop, en 2010, c’est au palier de la pensée innovante. La pensée qui est plus vite que la luniere… mais qui grandit et qui dure.

Vous avez, dans l’édition de CentPapierss aujourd’hui, une exemple de cette nouvelle vision, avec des articles qui parlent de la grève de la semaine dernière… , mais n’est-ce pas le moment d’y penser et de comprendre ? Des articles qui parlent des liens entre Tapie et la Présidence…, mais n’est ce pas le moment d’y penser davantage, de peur de l’oublier ?   Et quand les Américains se retrouvent confrontés, 9 ans plus tard, à cette histoire du 911 qui fait de moins en moins consensus,  n’est-ce pas le temps de revoir tout ça à tête reposée ? Comme il ne faut pas cesser de penser à cette horreur récurrente des soldats américains en Afghanistan qui tuent pour s’amuser…

Aujourd’hui, lisez ATTENTIVEMENT les articles de CentPapiers. La nouvelle est tirée… et elle est prête à boire.

Pierre JC Allard

Pierre JC Allard

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Veuillez mourir poliment, s’il-vous-plaît

Yan Barcelo, 10 septembre 2010

Le Québec vit à l’heure de la mort «digne ». Lors d’une des rencontres de la commission chargée d’explorer toutes les nuances et les euphémismes de ce mot, une dame qui entend aller en Suisse se faire euthanasier dans quelques années disait qu’on n’était pas responsable de notre entrée dans ce monde, mais qu’on pouvait au moins assumer la responsabilité de notre sortie.

Alors voici qu’à la « dignité » de mourir, certains entendent y ajouter la « responsabilité » de mourir. Et c’est justement ce thème qui m’inquiète dans ce débat. Car j’entends des gens autour de moi parler de personnes qu’ils connaissent et dont la vie, selon eux, ne vaut plus la peine d’être vécue : alzheimer, sénilité avancée, confinement à un lit d’hôpital, etc. Et après une courte description de la condition de ces vieillards amenuisés, ces personnes concluent immanquablement avec quelque chose comme : « Moi, je ne veux pas finir comme ça. Qu’on me fasse mourir avant. »

Évidemment, c’est ce qu’une légalisation de l’euthanasie va permettre de faire : qu’on les achève à l’heure de leur choix. Est-ce à dire qu’ils veulent prendre la responsabilité de leur mort? Certains vont se gargariser de ces belles paroles, mais dans les faits, ce qu’ils prévoient demander, c’est que quelqu’un d’autre prenne cette responsabilité, que quelqu’un d’autre – un médecin, plus probablement – accomplisse le geste de les achever. Le plus doucement possible évidemment. La douleur fait tellement peur.

Mais si ces gens veulent vraiment prendre la responsabilité de leur mort, il y a une façon très simple d’y parvenir: ils peuvent se suicider par surconsommation de pilules ou ils peuvent se laisser mourir de faim ou de froid, ou les deux, comme cela se pratiquait dans certaines cultures. Ce n’est évidemment pas facile, mais qui a dit que prendre ses responsabilités est facile.

On va objecter, bien sûr, que certains n’ont tout simplement pas la possibilité physique de s’emparer d’une bouteille de pilules pour mettre fin à leurs jours. Mais tout le monde a la possibilité de ne pas manger et de refuser toute nourriture et tout breuvage. Pas facile, j’en conviens, mais pour une personne qui a vraiment perdu la volonté de vivre, un tel geste devient plus facile, presque allant de soi.

C’est la seule forme de « suicide assisté » légalisé auquel je serais prêt à souscrire : le privilège qu’a chacun de se laisser mourir si tel est son choix, sans que personne intervienne. Si quelqu’un veut mettre fin à ses jours dans les derniers milles de sa vie, qu’on n’intervienne pas : qu’on ne cherche pas à le gaver, qu’on ne lui injecte pas des solutions nutritives, qu’on le laisse simplement s’éteindre à sa guise. C’est sa mort, il en prend l’entière responsabilité et il exécute l’action pour lui-même.

Ce serait un peu l’équivalent du non-acharnement thérapeutique. Plusieurs pensent que le fait de débrancher une personne d’un appareil médical qui la tient en vie est l’équivalent d’une euthanasie ou d’un suicide assisté. Pas du tout. Il s’agit tout simplement de ne plus maintenir en vie par des moyens extérieurs un organisme qui n’a plus les moyens d’assurer par lui-même sa survie. L’interruption de se nourrir pourrait devenir un équivalent du non-acharnement thérapeutique.

Qu’une personne se laisse mourir de cette façon n’obtient pas nécessairement mon assentiment. Mais elle emporte mon admiration, car elle prend en main sa mort dans un geste authentiquement digne, en silence, sans regimber, seule avec son destin. En comparaison, ces gens qui demandent à d’autres de les achever, le plus souvent parce qu’ils ont peur de se sentir diminués ou d’avoir mal, eux me font pitié. Eux manquent de dignité.

Or, qu’on demande à d’autres – essentiellement des médecins, qui ont fait serment de servir la vie, ou des infirmières – de mettre fin à la vie de personnes qui le leur demandent, je suis en désaccord total. Pour deux raisons. Tout d’abord, pour une raison fondamentale et a priori : la conscience morale s’y objecte fermement et un tel geste est de l’ordre du meurtre. Ensuite, il y a une raison sociale : tous ces gens à qui je référais plus tôt et qui disent qu’ils ne veulent pas « finir comme ça » constituent une opinion publique de plus en plus prévalente.

Et cette opinion, si on lui ouvre la porte avec une légalisation de l’euthanasie, risque de devenir un impératif social. La grand-maman alzheimer dans un CHSLD sera considérée comme menant une vie « indigne » à qui il faudra assurer une fin « digne ». Et il y aura une pression omniprésente pour qu’elle fasse de la place, d’autant plus qu’elle coûte cher au « système », un système qui aura de moins en moins les moyens de payer. Imperceptiblement, on va passer de la possibilité de se faire tuer à la responsabilité et au devoir de se faire tuer. Et ceux qui refuseront seront jugés impolis d’abord, puis franchement malcommodes et contestataires.

On va me dire que je manque beaucoup de compassion à l’endroit de ceux qui sont saisis d’une condition de vie en déchéance ou indigne, ou qui sont saisis de douleurs excessives en parcours de maladie. Pas du tout. Je sais combien des conditions de vie peuvent devenir pénibles et éprouvantes, et je sais combien on peut perdre tout espoir. Mais voici ce que je me dis : il ne m’appartient pas de juger pour moi-même que ma vie ne vaut pas la peine d’être vécue, encore moins pour autrui.

Et dans la grande économie de la vie et de l’univers, nous ne savons strictement pas ce qu’il en est. Seule une vie spirituelle profonde et nourrie peut nous donner une réponse intime à ce mystère. Que nous demandions aujourd’hui d’être achevés comme des chevaux au nom d’une quelconque perte de qualité de vie montre seulement l’abîme de perte de sens dans lequel nous avons sombré. Notre culture est incapable de nous fournir un sens à la douleur et à la mort. Et si nous sommes incapables, chacun pour soi, de leur trouver un sens, comment espérer y trouver un sens pour autrui.

Quant à ceux qui souffrent de douleurs excessives, s’ils ne peuvent absolument pas les endurer, il y a aujourd’hui des sédatifs très puissants qu’on peut mettre à leur disposition. C’est ce qu’on fait d’ailleurs. Mais c’est au prix d’une perte de lucidité franchement navrante. Cependant, je pose la question suivante. On nous demande d’avoir de la compassion pour ceux qui souffrent en mettant fin à leur vie pour abréger leurs souffrances. Mais à quelle souffrance voulons-nous vraiment mettre fin? La leur? Ou la nôtre, celle que nous ressentons face à notre impuissance? Notre compassion est-elle réelle ou n’est-elle qu’un autre masque de notre égoisme?

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Classé dans Actualité, Yan Barcelo